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Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...


Destins de femmes...

Publié par Jackie Mansas sur 7 Mars 2016, 17:01pm

Catégories : #Les femmes des Pyrénées autrefois

Hôpital mixte de Saint-Gaudens site cartes postales de Saint-Gaudens
Hôpital mixte de Saint-Gaudens site cartes postales de Saint-Gaudens
Hôpital mixte de Saint-Gaudens site cartes postales de Saint-Gaudens
Hôpital mixte de Saint-Gaudens site cartes postales de Saint-Gaudens

Hôpital mixte de Saint-Gaudens site cartes postales de Saint-Gaudens

1945-1947 : des femmes pyrénéennes au cœur du baby-boom qui s'annonce.

 

Après l’hiver froid qui avait sévi durant le début de l’année 1947, les paysans pensaient qu’un printemps doux permettrait aux blés semés en novembre dernier de repartir. Mais le gel avait fait des ravages considérables. La population regardait les champs de blé et d’orge clairsemés avec inquiétude car de mauvaises récoltes ajoutées aux restrictions ne présageaient rien de bon pour l’avenir.

 

 

Les paysans avaient semé le maïs et les haricots au mois de mai espérant que l’été ne serait ni trop chaud, ni trop humide mais ils restaient prudents dans leurs prévisions.

 

 

En cette fin de printemps, Marcelle vivait bien sa première grossesse, elle avait décidé d’accoucher à la maternité de Saint-Gaudens et non pas à la maison sur les conseils de Madame et de l’assistante sociale qui était venue la visiter. Très angoissée de nature, elle craignait d’éventuelles complications. Madame lui racontait ses deux accouchements presque quotidiennement pour la mettre en condition.

 

 

Sa mère, Catherine qui avait mis au monde ses six enfants à la maison avec uniquement l’aide d’une matrone, l’approuvait étant persuadée qu’il fallait s’adapter aux nouvelles méthodes et privilégier la sécurité. Elle aurait bien voulu être présente tout au long de cette grossesse et le jour de l’accouchement mais le curé-doyen dont elle était la bonne depuis 1930 avait quitté sa cure de Mauléon-Barousse en janvier 1947 pour une autre plus importante, Tournay, et lui avait proposé de le suivre. Elle n’avait pas hésité une seconde pensant à juste titre qu’elle avait vécu avec lui assez d’émotions durant la guerre pour continuer à le servir. Ils partirent tous deux, heureux de rencontrer d’autres personnes, de vivre dans une ville joyeusement animée.

 

 

Marcelle qui venait d’apprendre qu’elle allait donner la vie fut déçue de voir sa mère s’éloigner en ce moment si important pour elle et fit un peu la tête. Mais elle fut rassurée lorsqu’elle apprit que Catherine conservait la maison de Mauléon-Barousse qu’elle louait depuis la mort de son mari en janvier 1927. Il était donc certain qu’elle reviendrait au moins de temps en temps !

 

 

Elle savait très bien qu’elle serait seule au moment décisif, car sa mère et sa sœur devaient se rendre à la mi-août en Italie afin de clore la succession du père de Catherine née Guidotti. Elle retrouverait son village de Toscane où elle avait vécu et où elle avait mis au monde cinq de ses six enfants. Et elles seraient de retour à la fin septembre.

 

 

Est-ce que le bébé naîtrait avant leur départ ? Rien n’était moins sûr.

 

 

Marcelle se doutait bien qu’au village personne ne viendrait la voir à la maternité ; tout le monde désapprouvait son choix et elle n’avait pas d’amies parmi toutes ces dames même si dans leur grande majorité, elles l'avaient accepté. Cependant, certaines célibataires n'avaient pas été très contentes de cette union franco-italienne car tout simplement, elles avaient vu échapper « l'héritier » d'une famille plus que « convenable » !

 

 

Sans doute bien coachées par quelques personnes qui avaient intérêt à briser l'harmonie sociale du village– en majorité de gauche et très soudé – groupé autour des plus anciennes "maisons" dont l'influence était très forte, elles bavardaient beaucoup.

 

 

Peut-être Madame viendrait-elle la voir ? et encore : elle n’était que la bonne après tout ! Elle s’en était rendu compte en septembre 1945 lorsque elle dut être hospitalisée en urgence pour une péritonite.

 

 

Elle resta deux semaines à l’hôpital n’arrivant pas à se remettre de l’opération Elle ne reçut aucune autre visite que celle de sa mère la première semaine. Ses frères non plus ne se dérangèrent pas, une appendicite, ce n’était pas important. Mais il faut dire aussi que le travail passait en premier pour tous ! Ils vinrent la voir à la maison.

 

 

Quant à Simon, qui était reparti avec toute l'équipe d'avant-guerre de Bertren réembauchée par l' entreprise BTP Labardens et Francou, pour le Pic du Midi, il ne demanda pas à Labardens l’autorisation de quitter le chantier ne serait-ce qu’une journée. Peut-être la lui aurait-il accordée mais là-haut, le travail passait avant toute autre chose car le temps était compté et il n'était pas si facile que cela de perdre une journée de travail.

 

 

Mais même si cette indifférence la blessa, elle eut la chance de rencontrer des personnes qu’elle considéra comme extraordinaires et qui ravirent son cœur.

 

 

Au bout de quelques jours, elle se sentit mieux, et décida de sortir prendre l’air dans le jardin. Elle s’assit près d’une dame très maigre et très fatiguée dont les yeux mangeaient le visage mais un sourire lumineux la rendait belle. Elle était choyée par le personnel de l’hôpital car son histoire était tragique. Les deux jeunes femmes engagèrent la conversation et après les premières confidences, ne se quittèrent plus. Quand elles eurent bien fait connaissance, la dame raconta à Marcelle la tragédie qui l’avait menée à cet endroit.

 

- Je suis née en Russie, près de Moscou et avec mes parents nous avons quitté notre pays pour fuir les bolcheviks. J’étais enfant mais je me rappelle de mon village, de ma babouchka que j’aimais tendrement. Je me suis mariée en juillet 39, j’avais vingt ans et je croyais que nous allions vivre heureux à Paris. Mais la guerre et l’exode ont gâché notre bonheur. Nous sommes partis sur la route avec des milliers d’autres et nous nous sommes retrouvés à Toulouse où mon mari a trouvé un travail.

 

En 42, il commença à disparaître tous les soirs sous de prétextes futiles. Sottement, je lui fis des scènes car je croyais qu’il me trompait. Mais un jour, après une querelle où j’avais été exaspérante, il finit par m’avouer qu’il était entré dans la Résistance et qu’il était chargé de fabriquer des faux-papiers. Je fus stupéfaite et honteuse car tandis que je me berçais de sornettes, il œuvrait pour la France. Quelques mois plus tard, en 43, je lui demandais de me laisser participer à cette aventure. Il refusa et m’envoya à Cannes pour me protéger car avec ses activités, je pouvais être en danger. Je trouvais un emploi comme standardiste dans un palace où je rencontrais des gens célèbres et très riches. Beaucoup d’Allemands et d’Italiens y séjournaient. Je suis discrète de nature et on m’a élevée dans le respect des autres mais, un jour, alors qu’il y avait une importante réunion entre les hauts gradés SS et des financiers venus d’un peu partout, j’eus la chance où la malchance, c’est selon, d’entendre des bribes de conversation car je comprends plusieurs langues : russe, polonais, allemand, anglais et français. Je venais de tomber sur un secret d’État. Il me fallut un peu de temps pour me remettre de mon émotion et après mûres réflexions, je décidais de demander quelques jours de repos pour me rendre à Toulouse auprès de mon mari. Je lui racontais tout. Il ne me fit aucun reproche, me demanda plusieurs fois si j’en avais parlé à quelqu’un, si on avait pu me voir. Je répondais non à toutes les questions. Il me laissa seule et revint une heure plus tard avec deux hommes que je ne connaissais pas mais qui se présentèrent comme des personnages importants de la Résistance sur Toulouse.

Ils me questionnèrent à nouveau puis allèrent dans la chambre pour se concerter sans que j’entende. Je tremblais intérieurement car je comprenais que c’était mon avenir qui se jouait. Mon avenir dans la Résistance, ce que je souhaitais le plus au monde.

 

Voilà, Marcelle, comment je poussais la porte de ce mouvement. J’ai accompli correctement ma mission, écoutant toutes les conversations et les rapportant fidèlement aux délégués de la région de Cannes.

 

Mais en 1944, le directeur du palace me fit surveiller, sans doute, avaient-ils fini par avoir des soupçons. Je filais alors en catimini vers Toulouse où je restais quelques jours terrée dans un appartement inhabité puis mon mari m’envoya dans un village situé à la limite de l’Ariège sur les conseils d'un responsable du réseau de Monseigneur Salièges pour me faire oublier. J’ai été cachée dans une ferme par des gens formidables qui ont risqué leurs vies pour moi. Mais vers mars de cette année-là, les SS et la Milice ont fait une descente dans notre village cherchant des résistants qui avaient eu le temps de s’enfuir. Ils ont incendié la ferme, tué mes amis et moi, ils m’ont pris alors que je courais vers les bois. J’ai été traînée à la kommandantur de Saint-Gaudens où j’ai été interrogée, si l’on peut employer ces mots, battue, violée, torturée mais je n’ai pas parlé. De toute façon, je ne savais pas grand-chose mais le peu que j’aurais dit aurait pu mettre en danger mon mari et ses compagnons. De dépit et sous l’œil indifférent des gendarmes français, deux SS m'ont arraché les seins !

 

J’ai hurlé comme une bête que l’on écorche. J’étais en sang quand ils m’ont ramenée dans la cellule. Ils ne m’ont pas soignée et comble de cruauté, ils ont jeté mes seins à côté de mon grabat. Je suis tombée dans le coma, une femme qui se trouvait avec moi a tenté de me soigner. La douleur m’anesthésiait totalement et peu à peu les plaies se sont refermées. Mais certaines suintaient toujours et la pourriture de la cellule n’arrangeait rien. Les Résistants m’ont sortie de ce trou noir et aussitôt conduite ici à l'Hôpital. Oui, Marcelle, je suis là depuis le mois d’avril. On n’arrive pas à me guérir totalement ; ça suinte toujours mais moins fort à chaque jour qui passe.

 

Voilà mon histoire mon amie, je ne sais pas quand je vais sortir d’ici mais mon mari vient me voir souvent, alors, je vis dans l’attente de ses visites et puis, maintenant, je vous ai trouvée, jusqu’à votre départ, vous serez mon soleil.

 

 

Marcelle ne put contenir son émotion, elle essaya de la cacher mais les larmes noyèrent ses yeux changeants. Elle les essuya et vit devant elle, un homme très grand qui la regardait. Il tenait la main de la jeune femme qu’elle considérait désormais comme une très grande amie. Elle lui présenta son mari et ils devisèrent un court moment tous les trois puis Marcelle s’éloigna pour leur laisser un peu d’intimité.

 

 

Le jour de son départ, elles se dirent tendrement au revoir et la dame lui confia :

 

- Vous désirez avoir des enfants n’est-ce-pas ? Moi aussi, j’ai décidé de donner la vie mais nous serons différentes en une seule chose : vous, vous pourrez leur donner votre lait, moi pas. Et je suis très triste de ne pas être une maman à part entière.

 

 

Marcelle lui répondit :

 

- Ce n’est pas seulement cela qui compte, vous leur donnerez le biberon et votre amour ; vous verrez, ils seront très heureux et vous aussi.

 

 

Elles s’embrassèrent et puis Marcelle monta dans la voiture de Monsieur qui était venu la chercher. Après un dernier signe de la main, elle réalisa qu’elle ne connaissait ni son prénom, ni son nom. Pour elle, elle avait été « la dame » alors qu’elles avaient presque le même âge.

 

 

Monsieur bavardait, donnait des nouvelles de la famille, du village mais elle ne l’écoutait qu’à moitié. Ils rentrèrent à Bertren et chacun chez soi. Les garçons se précipitèrent pour la voir et se faire câliner. Elle oublia sa tristesse en les écoutant raconter leurs histoires d’enfants. Toute sa jeunesse avait été bercée par l'amitié des jeunes de Mauléon-Barousse et ils étaient nombreux ! Depuis qu'elle avait quitté le village de son enfance, elle n'avait jamais plus retrouvé la douce chaleur des paroles aimables que l'on échangeait quand on se retrouvait, des confidences murmurées à voix basse ou dans le creux de l'oreille, du plaisir de se réunir pour papoter de choses le plus souvent inutiles, de faire les magasins pour acheter de jolis vêtements et accessoires, d'aller au cinéma, au bal, au théâtre, de se passer des livres que l'on a aimé lire... et tout cela lui manquait.

 

 

En l'espace d'une semaine, elle avait à nouveau goûté au plaisir de partager de bons et beaux moments avec les autres !

 

 

Le lendemain, elle reprit son travail, Monsieur n’ayant même pas songé à lui accorder quelques jours de repos et elle à les lui demander. Mais il ne les lui aurait pas accordés de toute façon analysa-t-elle plus tard.

 

 

Elle aurait bien aimé que sa mère soit là pour l’accueillir mais Catherine avait suivi son prêtre au pèlerinage du Rosaire à Lourdes au début octobre. Il y eut tellement de monde, conséquence de la paix retrouvée, durant les deux journées que certains religieux décidèrent de rester quelques jours pour une retraite spirituelle. Les sœurs du couvent Marie Saint-Frai de la congrégation « Les filles de Notre-Dame des Douleurs » qui les avaient accueillis, se réjouirent de leur décision. Ils voulaient rendre grâces pour la libération de la France. Catherine s’était empressée d’aider les religieuses dans les actes quotidiens au service des malades. Elle pria tous les jours pour sa fille qui avait frôlé la mort, demandant à la Vierge de Lourdes de la protéger et de lui rendre la santé rapidement.

 

 

Jackie Mansas

7 mars 2016

Sources : ma mère Marcelle

Dans les années 1920 et 1930, Mauléon-Barousse avait des airs de grande ville : il y avait 4 grandes foires par an, une séance de cinéma muet puis parlant par semaine, des bals dans chaque café mais maman préférait ceux organisés chez "Nini", des troupes de théâtre qui montaient donner des représentations et les kermesses paroissiales !

Et les cirques ! Mais elle n'y allait pas souvent car elle avait peur des clowns !

Des cars étaient formés pour aller au cinéma, au théâtre, au cirque (Pinder et Amar) à Saint-Gaudens, aux représentations du théâtre de verdure au casino de Barbazan dans le parc des thermes etc.etc.

Et chaque année au moins deux pèlerinages à Lourdes étaient opérationnels pour la population !

N'oublions pas les marchés et foires à Montréjeau et Saint-Gaudens....

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O
A bas les nazis ! et tous ceux qui s'y identifient !!!!!
Répondre
J
Tout à fait d'accord ! cette histoire est vraie et horrible à lire mais si on ne sait pas, on passe à côté des horreurs de l'Histoire !

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