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Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...


Les instits, même les meilleurs et les plus passionnés, peuvent être parfois injustes...

Publié par Jackie Mansas sur 19 Mai 2017, 09:03am

Catégories : #Culture et société pyénéennes

C'est dans ce joli village du Lot, Saint-Céré, que naquit le syndicat "Union de Défense des Commerçants et Artisans"

C'est dans ce joli village du Lot, Saint-Céré, que naquit le syndicat "Union de Défense des Commerçants et Artisans"

1953 : Pierre Poujade fait le buzz...

 

La nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre dans toute la population française et à Bertren comme dans tous les autres villages de la région, les habitants ne parlaient que de cela, rien d’autre ne les intéressait. Les artisans et les commerçants dévalisaient les marchands de journaux pour être tenus au courant des développements de l’affaire Poujade, libraire-papetier du Lot qui à la tête d’un groupe de commerçants, se dressait contre l’administration fiscale qui les étranglait.

 

Leur coup de force musclé contre des agents du fisc valut à ce libraire-papetier lotois une notoriété nationale en très peu de temps.

 

Oui, le coup de force de Pierre Poujade contre le fisc enthousiasmait ce petit monde de la finance locale, les entrepreneurs se sentaient soutenus même s’ils ne comprenaient pas très bien ce qu’était cette nouvelle doctrine dite « poujadisme ». Au début du mouvement, les communistes suivant le mot d’ordre national soutinrent ce mouvement de protestation contre le fisc, contre les « gros », contre les notables et également contre les intellectuels moralisateurs et assez bonnets-de-nuit accusés de mépris envers les « petites gens », les ruraux "bruts de décoffrage" dont on célébrait le « bon sens ».

 

Certains commerçants et artisans firent le déplacement dans le Lot pour l’écouter parler de leurs problèmes et les dénoncer. Après avoir entendu le discours de Pierre Poujade, ils se sentirent violemment antiparlementaires, mais éprouvèrent comme un malaise en commentant sa dénonciation de la présence en France des Juifs et des étrangers. L’homme, excellent orateur qui réussissait à enflammer les foules, attaquait sans relâche Pierre Mendès-France parce qu’il était Juif et cela indisposa une bonne partie des artisans de Bertren, de la Barousse et des cantons alentours. Par contre, ils étaient convaincus qu’il avait raison en ce qui concernait l'engagement trop à gauche de cet homme politique contre le général de Gaulle, le héros de la Libération qui avait vaincu les Nazis ! Mais ils oubliaient de dire que P.M-F. était aussi un opposant farouche de l'extrême-droite !  Cependant, jamais personne ne fit publiquement une quelconque remarque sur sa judéité.

 

En fait, Pierre Poujade, ancien résistant et profondément sincère dans son combat contre les grandes surfaces qui menaçaient de faire disparaître les petits commerçants, contre un monde qui changeait et contre lequel personne ne pouvait rien faire, se laissait emporter par ses idées xénophobes et antisémites. Il lui fallait des boucs émissaires et il les avait trouvés.

 

Les Bertrennais le jugeaient excellent orateur car il dénonçait avec fougue les méfaits de la société nouvelle venue d’Amérique qui allait appauvrir tout le monde, néanmoins ils émettaient quelques réserves sur le fait que tout ce qui se passait était de la faute des Juifs et des étrangers. Les Juifs ? On ne savait rien d’eux sauf que durant la guerre Hitler les avait pourchassés, mais les étrangers ? Vivant depuis toujours avec des Espagnols et des Italiens, quelques Russes, des Polonais, ils ne trouvaient rien à redire à leur présence en France, ces gens travaillaient dur, parlaient le français et même le gascon pour la plupart très bien. Ils étaient de bons catholiques, allaient à la messe le dimanche, certains s’étaient mariés et fixés pour toujours en France, des enfants naissaient tous les jours de ces unions, alors, que demander de plus ?

 

Mais en voulant protéger leurs intérêts, ils oublièrent vite ce qui fâchait pour ne retenir que la lutte contre les « gros » et adhérèrent dans l’enthousiasme au syndicat de l’Union de Défense des Commerçants et Artisans.

 

Le monde était en train de changer et cela allait trop vite, il fallait par tous les moyens préserver l'avenir des artisans et des commerçants et donc de l'économie du pays.

 

Pierre Poujade  fit un score honorable dans notre région aux élections législatives de 1956 car outre son électorat tout acquis à ses idées, beaucoup d'électeurs indignés par les injustices et par peur de l'avenir et de ce fait attirés par son discours de lutte contre les "gros" et les élus, votèrent pour lui. L'arrivée du Général de Gaulle au pouvoir le 13 mai 1958 et l'instauration de la Vème République fit diminuer son influence assez rapidement, surtout que les communistes avaient cessé de le soutenir vu ses propos antisémites et xénophobes qui ne cadraient pas avec l'histoire de la France et de la Résistance....

 

De Gaulle, quelque part, le chassa de la scène politique alors que la guerre d'Algérie sévissait. Il ne faut pas se leurrer, les thèses poujadistes furent partagées dans l'enthousiasme par les soldats combattants en Algérie où les fils de commerçants et artisans, futurs commerçants et artisans, étaient extrêmement nombreux mais elles furent détournées vers un but xénophobe à l'extrême. La haine de l'autre se reporta sur les Algériens, responsables  - on leur inculquait ces théories pour justifier la guerre mais aussi pour les motiver à aller au combat (on devine les traumatismes chez ces jeunes hommes de 20 ans qui n'avaient aucunement envie de tuer "l'ennemi") -  d'un conflit meurtrier.

 

Dès la naissance de ce mouvement, les français prévirent que ce mouvement allait devenir une force électorale. A Bertren, la droite prit peur ce qui entraîna des polémiques sans fin mais Nez de Couteau et ses amis se promirent de se servir du « poujadisme » qu’ils devinaient plus adapté à la droite qu’à la gauche, lorsque le besoin se ferait sentir.

 

Et cela les motiva pour combattre le nouveau maire et ses idées laïques, égalitaires et surtout, surtout anticolonialistes....

afin de préparer, déjà, les élections de 1959 !

 

 

Le nouveau maire et sa première décision.

 

 

C’est dans cette atmosphère que Jean Castex prit ses fonctions dès le 30 avril. Joséphine rayonnait, elle avait retrouvé son statut d’épouse de maire et cela la comblait totalement. Bien évidemment, dès le 27 avril au matin, chacun dut sortir la monnaie pour pouvoir boire les chopines et les canons ! Personne ne commenta, c’était normal : « les affaires sont les affaires »

 

Dès le premier jour d’ouverture de la mairie de son second mandat, Jean Castex eut une grande conversation avec l'institutrice qui refusait cette année encore de m'inscrire en cours préparatoire sous le même prétexte  qu’elle avait trop d’élèves et que mes parents pouvaient patienter. Après tout,  dit-elle, " elle n’est que la fille d’une étrangère alors, il n’est pas important de la scolariser, cela peut attendre. En général, ces enfants-là suivent les traces de leurs parents, elle sera sans nul doute bonne comme sa mère et n’a nul besoin de s’instruire".

 

Jean Castex, figé par la surprise, la regardait débiter son discours. Mais comment une institutrice pouvait-elle parler comme cela ? Ce n’était pas le raisonnement d’une personne sensée et intelligente !  Il y vit une action "souterraine" de ses opposants "cornettes" qui savaient convaincre les esprits faibles tel celui de cette femme intelligente certes, mais sans grande personnalité et jalouse de son mari.

 

Il la laissa terminer sa diatribe tout en la fixant pour qu’elle se sente mal à l’aise. Quand il la vit déstabilisée, il porta l’estocade :

- Madame B., je suis très étonné par votre raisonnement, il n’est pas digne de la fonction que vous occupez ! Ni de vous, une femme intelligente et sensée ! Une bonne institutrice ! Si je ne vous connaissais pas depuis la rentrée d’octobre 1946, je vous renverrai tout de suite ! En 1946, vous étiez une toute jeune institutrice à Ourde, où vous aviez eu votre premier poste en 1941. Vous vous êtes mariée. Vous eu votre fille et comme votre mari voulait monter un garage, vous avez demandé un nouveau poste dans la plaine pour lui faciliter la tâche. A Bertren, Monsieur Rumèbe partait pour une retraite bien méritée, il officiait dans cette école depuis la rentrée de 1914. Vous avez obtenu votre mutation chez nous et tous les parents sont contents de vous.

 

Le silence tomba, il en profita pour jouer avec son stylo afin de la laisser reprendre un peu de contenance puis reprit en la regardant dans les yeux :

- Cependant, je pense que votre refus d’inscrire cette enfant afin de lui apprendre à lire, à écrire et à compter comme vous vous êtes engagée à le faire pour tous les écoliers dont vous aurez la responsabilité, lorsque vous avez obtenu votre diplôme ne vient pas de vous. Que pensez-vous de ma démonstration ?

 

Madame B. se sentit en faute et elle n’aimait pas cela. Elle savait bien que le maire avait raison, qu’elle avait manqué à tous ses devoirs en me refusant le droit d'aller à l'école pour la rentrée 1952 alors qu’elle avait accepté les deux autres. Elle lui répondit en hésitant :

- Bien sûr, vous avez raison mais j’ai vraiment beaucoup trop d’enfants au CP. Je vous assure je ne ferai pas du bon travail si je la prends. Il va falloir que je sois tout le temps après elle, les enfants d’immigrés ont tous des difficultés pour apprendre.

 

Jean Castex s’empourpra et la menaça :

- Madame B., si cette petite n’entre pas en classe le 1er octobre prochain, je remettrai un rapport en votre défaveur à l’Inspecteur d’Académie.

Devant la consternation de l’institutrice, le maire finit par se radoucir et sur un ton plus aimable l’avertit :

- Je sais très bien qu' ON vous explique – à tort – ce que vous m’avez rapporté. Je sais très bien qu’ON vous fournit en bonnes choses que vous n’avez pas à acheter, c’est autant d’économisé, je vous l’accorde car votre mari ne fait pas d’affaires mirobolantes mais vous n’avez pas à appliquer ce qu’ON vous dit de faire alors que vous ne le pensez pas.

Il n’est pas honorable de vous faire acheter.

Je compte sur vous pour contacter Madame Mansas qui est, mais ai-je besoin de vous le rappeler, française comme vous et moi car elle est née en France, y a toujours vécu et s’est mariée avec un français de très longue lignée. Au revoir, madame.

 

Et il se leva pour l’accompagner jusqu’à la porte. La pauvre femme était effondrée, jamais elle n’aurait cru que quelqu’un, un jour, lui parlerait de cette façon. Elle se sentait humiliée mais, au fond d’elle-même, elle savait que le maire avait raison. Elle avait compris depuis longtemps que les "conseils" avisés de l'ancienne municipalité étaient indignes mais comment refuser tous les présents qu' ON lui portait ? En regagnant sa cuisine, elle prit la résolution de demander sa mutation. Son mari pouvait tout aussi bien ouvrir un garage ailleurs.

 

Elle fit convoquer ma mère en demandant à Yvette de lui porter un message. Lorsque les deux femmes se rencontrèrent, l’institutrice se sentit fautive car son interlocutrice la regardait droit dans les yeux et cela la mettait mal à l’aise. Ces yeux gris qui ne quittaient pas son visage l’indisposaient au plus haut point. Mais elle se reprit rapidement et après un échange aimable et courtois sans plus, Madame B. m' inscrivit sur son registre pour la rentrée du 1er octobre 1953. La rentrée fut pour moi un jour magique, j'étais comme les autres enfin, mais comment pouvait-on imaginer qu'un jour tout le monde penserait qu'il aurait mieux valu pour moi de ne jamais y être allée !

 

Jackie Mansas

19 mai 2017

 

 

NOTES

 

 

En ce qui concerne Pierre Poujade qui était considéré comme un héros surtout par les artisans, cette histoire que je résume et romance un peu m'a été racontée par les artisans eux-mêmes qui avaient participé au mouvement. Je répète fidèlement ce qu'ils m'ont dit. En 1980, pour certains près de la retraite, leur admiration et leur respect perdurait toujours mais ces hommes passionnés par leur travail, par leur savoir-faire votaient... radical ! ou parfois socialiste... enfin ceux que je connaissais au village et qui voulaient bien parler.

Pour le problème d'inscription à l'école, cet épisode ne m'a pas été raconté par ma mère qui n'a fait que quelques allusions et qui n'appréciait guère Madame B. - je ne savais pas pourquoi mais en mai 2016, une personne connaissant toute l'histoire m'a renseignée sans que je lui demande - mais par quelqu'un du village décédé depuis longtemps qui n'était pas natif du lieu mais qui l'avait entendu dire.... Comme quoi, le "télégraphe" ça sert...

 

Un exemple pour expliquer le fait que de nos jours, les nouvelles peuvent arriver de loin :

 

le 29 avril dernier, j'étais en train de faire la chasse aux chenilles de la Pyrale du buis - il faut voir comment ces jolies petites cochonneries ont dévoré mes buis - en les attrapant pour les... noyer, terrible à faire mais il faut alors... et vers 5 heures du soir, je me dis que je devrais téléphoner à un des organisateurs de la fête du centenaire de l'usine de Marignac pour qu'il vienne me chercher afin que je puisse au moins voir l'exposition. Je me dirige vers le téléphone, tend la main pour le prendre lorsqu'il sonne. Surprise, je décroche et là un de mes cousins qui habite à 20 km m'annonce le décès d'une de mes voisines survenu le 24 avril...

Les obsèques ont eu lieu la veille, le vendredi 28 avril à 10 h.

 

J'ai cru que le ciel me tombait sur la tête, je suis entourée de voisins, ils sont tous allés à l'enterrement l'accompagner pour son dernier voyage et ils ne m'ont rien dit...

 

Le vendredi matin, à 10 heures, j'étais dans le jardin situé derrière l'église à 20 mètres, pas plus... Mais comme les cloches ne sonnent pas, je n'ai pas pu deviner...

Quand le glas avertissait qu'un villageois, un voisin s'en était allé, on pouvait se renseigner, maintenant, il n'y a plus personne pour sonner la cloche alors les gens ne s'avertissent qu'entre amis, les uns les autres et oublient - peut-être pas volontairement - ceux qui ne  leur servent à rien, c'est comme ça...

 

Je me suis sentie comme une citoyenne de seconde voire de troisième zone car en août 2016, il y avait eu le même "oubli" : je n'ai appris le décès de ce voisin survenu le 12 août et inhumé le 16, que le 20 septembre car j'ai demandé à son épouse comment il allait, si le traitement lui faisait du bien et ne le fatiguait pas trop... je ne vous dis pas le nombre de gens que j'ai rencontré entre temps...

 

Le samedi 29 avril, il a fallu un détour de 40 km pour que je sache qu'une dame gentille et agréable  dont une de ses maisons se trouvait à 20 mètres de la mienne était partie... Vive le téléphone ! Mais surtout merci à mon cousin qui a eu la délicatesse de penser que - peut-être - j'ignorais la nouvelle, comme quoi l'éducation a du bon mais elle n'est pas donnée à tout le monde, bien sûr.

 

C'est comme ça et on ne peut rien faire d'autre que de penser à la famille dans la peine.

 

 

 

 

 

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