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Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...

1944, la résistance "agricole" des femmes paysannes - 3

3°) L'HISTOIRE DES SOUPES

 

 Celle de Suzanne Lamoure qui nous raconte cette période de la guerre avec humour, comportait un ingrédient jugé dès les années 50 comme "herbe du pauvre" donc délaissé et oublié : les orties !

Cette plante sauvage revient à la mode. Tout bon cuisinier et bonne cuisinière qui se respecte sait maintenant, à nouveau créer des plats savoureux à base "d'herbe du pauvre" qui ne l'est plus bien sûr !

 

 

Tarte aux orties Photos De Stock Libres De Droits

 

Une bonne recette : la quiche aux orties.

Mais il y a autant de recettes que de cuisinières passionnées par les soi-disant mauvaises herbes comestibles !

 

Ortie : plante sauvage du règne végétal possédant le plus de vitamines et d'oligo-éléments. Elle envahit tous les terrains, en particulier ceux où l'on trouve de la ferraille entreposée en profondeur.

Elle se décline en recettes de cuisine mais aussi médicamenteuses.

 

                     

                                           🍀  

 

 

Nous reprenons aujourd'hui le récit que nous avions commencé en mars dernier sur les moyens mis en œuvre par « le petit peuple paysan » du village de Bertren, durant la période s'étendant de novembre 1942 jusqu'au mois d'août 1944. Il s'agissait de lutter contre la « rapacité alimentaire » des occupants nazis.

 

Suzanne Lamoure était née à Sacoué en 1899 et s'était mariée à Bertren avec le cousin germain de mon père, Jean-Marie Lamoure, cultivateur.

 

Il ne faut pas assimiler le « titre » de cultivateur à celui d'agriculteur car il était, lui, honorifique. Être agriculteur ne voulait rien dire mais être cultivateur était important. Dans le mot cultivateur, il y a le verbe cultiver caché quelque part et cela voulait dire que le paysan tirait sa subsistance de la terre. Tous les paysans tenaient à ce titre. Il était la reconnaissance de leur dur labeur.

 

Ce jour de juin 1969, Suzanne répondait gentiment à mes questions sur les réquisitions alimentaires au profit des allemands durant la guerre.

 

Dans mes derniers articles, elle nous dévoilait un secret bien gardé à savoir QUI avait eu l'idée de préparer des soupes pour les maquisards (des femmes) et QUI avait eu l'idée de flouer les réquisiteurs et donc les allemands tout en n'ayant l'air de rien... (des hommes) bien sûr.

Match nul : égalité !

 

Donc, en ce jour, nous allons apprendre comment certaines dames, cultivatrices de leur maris siouplait (1) cuisinaient les beaux et bons légumes récoltés au nez et à la barbe des collabos pour en faire des soupes appétissantes mais qui, en l'absence de vraie fraîcheur, pouvaient tourner à l'aigre, hélas !

 

 

                                              ********

                                                   ***

 

 

Moi : Quelle était la recette de ces soupes car vous viviez en temps de restrictions quand même ?

Suzanne : On essayait de faire des soupes assez consistantes pour caler l'estomac des maquisards. Mais si l'on pouvait flouer les allemands et leurs suppôts de Satan de réquisiteurs au niveau de la production de légumes, il était plus difficile de le faire pour la fabrication du pain car le blé était surveillé et par là même, la farine.

Bien sûr on allait chez le meunier, il y en avait encore par mal à l'époque, en pleine nuit en se cachant des patrouilles pour faire moudre le blé que l'on avait caché, mais il fallait faire très attention car si une seule fois on était vus, s'en était fini.

 

Elle respire un bon coup car elle n'arrive pas à endiguer le flot de souvenirs. Alors, maman, pour chasser la peur qui restait encore vivace, se tourne vers moi et dit :

 

Maman : En 40, j'ai quitté cette famille d'imprimeurs niçois qui habitait à Siradan la grande et belle demeure qui fait face au château de Sèze, car les patrons étaient devenus méchants et impossibles à vivre. La présence des allemands – ils étaient là même si nous étions en zone libre – les rendait agressifs.

Je ne sais pas pourquoi. Je les écoutais lorsque je servais à table au moment des repas, et ils étaient assez d'accord avec les idées d'Hitler. Alors j'ai décidé de rentrer à la maison à Mauléon, avec toutefois une recommandation d'une voisine des imprimeurs, des coloniaux à la retraite, qui me disait :

« Nous les coloniaux, nous sommes des gens gentils et soucieux des autres. Cherche une maison dans ce genre-là. Tu verras comme tu seras heureuse et en plus, comme les coloniaux ont de l'argent, tu vas bien manger et tu seras bien traitée ».

Quand j'ai rapporté cela à ma mère, elle n'était pas du tout d'accord !

 

Je sais que cela ne se fait pas et qu'elle va me le reprocher, mais je la coupe :

 

Moi : Mais pourquoi Mémé n'était pas d'accord avec le raisonnement de cette dame ? C'était peut-être vrai.

 

J'essaie moi aussi, à ce moment, d'ordonner mes pensées car de ce que j'ai appris sur le colonialisme, « les coloniaux gentils avec les petites gens du petit peuple » ?... !!! Je reprends le cours de mes questions.

 

Moi : Est-ce que cette dame-là était gentille ? Pourquoi ne t-a-t-elle pas embauchée ?

Maman : Elle me voulait pour quelques heures de ménage, mais j'ai refusé.

Moi : Pourquoi ?

Maman : J'en avais assez de ces riches parvenus et j'ai pensé me reposer un peu avant de chercher une autre place. A Mauléon, j'ai retrouvé mon monde qui n'avait pas l'esprit parvenu et je me suis refait une santé.

Moi : Pourquoi Mémé n'était pas d'accord ?

Maman : Parce que selon son idée, Dieu et Jésus n'avaient pas inventé le fait que des pays s'enrichissent sur le dos des peuples pauvres. Elle ne pouvait pas supporter que les africains et les asiatiques soient réduits à obéir à des gens qu'elle jugeait sans scrupules, alors qu'ils étaient chez eux.

Suzanne : Ça c'est sûr, Jésus n'a pas inventé ou pratiqué l'esclavage sur d'autres peuples. Elle avait raison Catherine, le colonialisme était une forme d'esclavage.

Maman : Je suis tout-à-fait d'accord avec vous. On doit respecter tous les peuples de la terre, ne pas les exploiter.

 

Qui a écrit que les «gens d'en-bas » et en particulier les femmes ne savaient pas réfléchir et analyser (2) ?.

 

Qui a dit que la culture populaire n'était que l'affaire de bouseux  (3) ?

 

Moi : C'était en 1940 ? Mais alors avec Mémé comment viviez-vous ?

Maman : C'est à cela que je voulais en venir quand je vous ai coupé Suzanne. Vous disiez que vous alliez faire moudre le blé, la nuit, en prenant soin de ne pas être vus. C'est ce que nous faisions avec ma mère.

Elle achetait sur les marchés des « saches » de blé pour avoir de la farine en plus car bien évidemment, elle fabriquait ses propres pâtes pour la pastachutta, les gnocchis, les lasagnes, les ravioles... Elle cuisinait à l'italienne avec les produits français, en particulier le fromage qu'elle se procurait à Sost.

Elle se fournissait en pommes de terre à Ourde chez Bourrut et la viande à un boucher-charcutier de Mauléon qui avait sa boutique après la place de Palouman, en remontant. Il achetait les animaux et les tuait derrière la maison.

En périodes fastes, on voyait le sang traverser la route et couler dans l'Ourse. C'était affreux, j'en avais l'estomac retourné.

Moi : Alors là, Maman, je te comprends. Moi, en plus, j'en aurais fait des cauchemars !

Maman : J'en faisais...

(un petit silence pour effacer le souvenir... puis).

Donc, pour avoir de la farine, il fallait faire moudre ce blé par le meunier de Troubat. Tu sais, dès 40, les collabos se sont vite positionnés. Ils ont vu dans la défaite puis l'occupation un moyen facile de se remplir les poches.

Suzanne : Sans avoir à rien faire d'autre que de surveiller les braves gens...

Maman : Et oui ! Alors, il fallait faire attention car on n'avait droit qu'à un certain poids de farine et il ne fallait pas le dépasser. Cependant, avec ce qui était permis on ne pouvait pas vivre longtemps et manger normalement.

Alors, un soir par semaine, Maman préparait son blé dans un panier en osier bien recouvert par un tissu. Elle calculait ce qu'il fallait pour la semaine suivante et à la nuit venue, après 11 heures du soir, après le couvre-feu, une fois que la dernière patrouille était passée, on partait vers Troubat par la vieille route qui n'est plus qu'un chemin au milieu des champs. On n'était pas seules bien sûr, tout le monde faisait pareil.

Au moulin, le meunier travaillait en surveillant bien que personne ne voyait un brin de lumière ou n'entendait le bruit de la meule. On attendait notre tour dans le silence, on passait, on payait et on s'en retournait de la même manière.

Le meunier avait fixé son jour, où plutôt sa nuit, et s'il faisait beau on se guidait à la lueur des étoiles et de la lune. S'il pleuvait on avait une lampe à pétrole que l'on cachait du mieux possible. Et vous Suzanne ?

Suzanne : Moi, je n'y suis jamais allée. C'était Jean-Marie qui le faisait. Il allait comme vous, tout pareil, par le chemin des champs jusqu'à Loures.

Mais nous, on gardait du blé pour nous mais aussi pour donner de la farine à Raymond (Ramon) Castillon puisqu'il y avait un grand four chez lui.

C'était Mariette, sa soeur, qui faisait le pain la nuit à la lueur d'une lampe à pétrole ou de bougies pour ne pas se faire repérer. Ensuite, quand la pâte était bien levée, dans la nuit vers 2 heures du matin, quand tout le monde dormait et que les patrouilles étaient espacées, il la cuisait en miches.

En partant au travail chez Couret aux Fours à Chaux, le matin de bonne heure, il cachait les miches dans de grandes sacoches accrochées au porte-bagages du vélo. Il s'arrêtait au bistrot et par la fenêtre (tout en surveillant les alentours), il les donnait à Finette (Mme Joséphine Castex) qui les cachait en lieu sûr. Et ni vu ni connu, il repartait.

Maman : Il était vraiment un brave homme.

Suzanne : Oui, c'est vrai et toute la famille était bien. Mariette d'ailleurs a tenu tête à Cou de Cigogne et l'a jeté dehors de chez elle.

Moi : Non ? Et pourquoi ?

Suzanne : Je te raconterai une autre fois parce que là, tu veux connaître la recette de ma soupe ? (rires).

 

                                         ********

                                              ***

 

Suzanne : On avait établi un tour de rôle avec plusieurs autres « henna » (oui, parfois, des mots gascons se glissaient dans le français, ici, cela voulait dire femmes, prononcer "ainno") : Paule Forment, Hermance Bon, les demoiselles Portes, Marie Cap, ta grand-mère Félicie, Jeanne Bon et sa mère Baptistine.  Baptistine était la sœur de ton grand-père, donc ta grand-tante et la mère de Jean-Marie Lamoure, mon mari, donc ma belle-mère. (Aparté : Baptistine et Suzanne étaient, bien entendu, fâchées à mort). Et je crois me souvenir qu'il y en avait une autre mais là, ça ne me revient pas.

Maman : Amélie Luccini peut-être, non ? Louis, son mari, était porteur et comme ils étaient métayers chez Mondon, ils avaient de la terre...

Suzanne : Oui, vous avez raison, c'était Amélie...

Moi : La recette Suzanne, s'il vous plaît !

Suzanne : J'y viens : des carottes, des poireaux, des oignons revenus à la poêle avec de la graisse de porc avant de les mettre avec les autres légumes, des navets. On y ajoutait quelques topinambours.

Maman : Beurk ! Je ne pourrai plus jamais en manger. Rutabagas tous les jours et à tous les repas... C'était pas bon du tout !

Suzanne (qui sourit au souvenir) : Mon Dieu, que c'était mauvais ! Mais bon, nous les cultivateurs on n'en mangeait qu'en cas de visites (geste du bras qui veut dire « indésirables »)...  et quelques pommes de terre. On y ajoutait du céleri, un peu de persil pour donner du goût et des orties.

Moi : Des orties ?

Suzanne : Bien sûr. C'est très bon et plein de vitamines. J'en ai mangé comme les autres toute mon enfance et à toutes les sauces. Ma mère savait les cuisiner. Ça nous donnait des forces.

En plus, on ajoutait au bouillon la carcasse du poulet du dimanche que l'on avait gardée et un bout de jambon pour donner du goût. Dans ce domaine-là on n'avait pas grand-chose à manger à part les poules, les lapins et le cochon.

Ce qu'il fallait, c'était du bouillon parce que les hommes là-haut pouvaient bien se caler l'estomac en le versant sur les tranches de pain.

À Ardoun, Célestin Bon conservait la viande et la soupe dans des sacs étanches qu'il descendait au fonds du puits. Quand il faisait chaud, l'eau baissait, alors les hommes se dépêchaient de tout avaler parce que la soupe tournait vite à l'aigre. C'est arrivé quelques fois.

Ah ! J'oubliais, chaque dimanche on gardait les pattes du poulet que l'on nettoyait bien et on les ajoutait au bouillon, comme la tête.

Moi : Beurk ! La tête et les pattes ! Beurk, beurk !

Suzanne : Ça donne du goût mais rassure-toi, avant de mettre la tête dans la marmite, on enlevait les yeux.

 

A ce moment, j'ai la nausée mais je ne le montre pas. Après tout, peut-être que c'est bon...

 

Moi : Vous les leur donniez ?

Suzanne : Non. Une fois la soupe cuite, on les retirait et on les donnait au chien.

 

Je préfère entendre ça. Suis-je escafinouse ? (mot gascon, dans le français : chichiteuse).

Bon, quand on a faim... Elle continue :

 

Suzanne : Puis on portait le tout au bistrot. Finette se chargeait du reste.

 

Et voilà, maintenant, chers amis lecteurs, on peut se quitter en attendant une prochaine fois.

On connaît la recette de la soupe « maquisards » de Suzanne (chacune de ces dames avait SA recette avec SES ingrédients préférés mais la base était la même) qui cuisait lentement dans la cheminée du fournil pour ne pas qu'une visite « indésirable » se doute de quelque chose.

 

Merci Mesdames d'avoir concocté ces soupes appétissantes !

 

A bientôt.

 

 Jackie Mansas

07/06/2022  

 

 

La prochaine fois, je vous raconterai comment trois femmes ont fait craquer nerveusement Cou de Cigogne qui les menaçait rien que par sa présence hostile :

 

Mariette (Marietta) Castillon accusée (après dénonciation bien sûr) de fabriquer du pain pour le maquis, injustement bien sûr...

Françoise Castéran qui protégeait son petit-fils Paul Forment. Il était dans le collimateur des SS parce que coursier depuis pas mal de temps

- Félicie Mansas, par sa présence hautaine et autoritaire, sans rien dire, rien qu'en le toisant, l'empêchait de s'approcher des champs de maïs : toute une organisation !

 

Les témoignages concordent tous : elles lui ont fait peur, il a tourné les talons sans leur répondre....

Il faut le faire !

 

 

NOTES :

 

  1. Trouvé dans les recensements – Archives Départementales.

  2. Communément établi : une femme, ça ne peut pas penser, ça ne sait pas, elle doit suivre ce que pense et dit son mari, son frère, son père, son fils.

  3. A une certaine époque (2ème moitié du XXème siècle et plus particulièrement à partir des années 80), il était de bon ton de se dire appartenir à une élite intello et de mépriser le pauvre peuple, les gens d'en-bas qui ne savaient rien. Et pourtant ! Il suffit de lire les Revues du Comminges du 19ème siècle pour se convaincre que la culture populaire est la base du SAVOIR avec un grand S.

 

 

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