Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...
Nous allons remonter le temps, oh ! pas très loin, au 17ème siècle plus précisément pour déambuler dans le bassin de Loures-Barbazan-Saint-Bertrand de Comminges.
Louis de Froidour, premier grand-maître du Corps des Eaux et Forêts réformée totalement par Colbert à partir de 1661 pour une exploitation plus juste et plus rentable, entreprend une tournée des forêts pyrénéennes pour un inventaire en vue de l'exploitation du bois pour la marine royale.
Quand il arrive à Barbazan, il est émerveillé. Dans son rapport, il écrit :
"Enfin, j'arrivay à Barbazan et après avoir passé par des lieux fort villains, n'ayant veu que des rochers et des montagnes pleines de fougères et de broussailles, je trouvay la plus agréable chose qu'on puisse s'imaginer. Vous savez qu'aux environs de Tholose, la rivière de Garonne est dans une plaine et remontant jusques au-dessus de Valentine, elle est partout bordée à main gauche par une rive assez haulte, l'autre côté étant plain presque partout, mais vis-à-vis de Monrejault, quand elle s'est développée et tirée de haultes et affreuses montagnes où est sa source avant qu'elle entre dans la grande plaine. Il y en a une petite qui a trois quart de lieue à une lieue de diamètre en figure circulaire où il semble qu'elle commence à se déverser par un grand circuit qu'elle fait. Cette plaine est bordée d'un côté par les montagnes de Barousse et l'autre par celles de Barbazan et de Saint-Pey qui sont presque toutes différentes. Les unes sont de roches toutes nues. D'autres sont garnis de bois, d'autres sont de bons pâturages. Il y en a d'autres où il n'y a que de la fougère et du buy.
Leurs différentes grandeurs font une diversité assez belle à voir.
Au sud des montagnes de Barousse est la ville de Saint-Bertrand assise sur une montagne détachée de toutes les autres qui règne sur la plaine. A l'opposite, et sur une élévation assez semblable est le château de Barbazan. La plaine est peuplée d'une espèce de villette nommée Baccabrère, du faubourg de Saint-Bertrand, qu'on appelle le Plan, des villages d'Izaourt, Sarp, Loures, Barbazan, Saint-Pey, Tibiran et Jaunac.
Tous ces lieux d'ailleurs sont remplis de prairies, d'arbres et de vignes en hautains."
Le village primitif de Barbazan était groupé autour de son château et son nom viendrait de Barbatius, noble gallo-romain. Au bas de la butte, la plaine s'étale jusqu'à la Garonne. Le hameau de Burs situé sur un plateau dominé par le Cap de la Bousigue (702 m) était à l'origine une métairie appartenant au seigneur.
Chaque quartier de la commune porte un nom se rapportant à la qualité et à l'orientation des terrains : Burs, Pé d'Arrouzlt, Avuiragnet, Soucoumer, Louncarrère, Sailhet, Campagnac, Coumanie, Pradouy, Vignau, Lac, Marcadeu, Lande, Har de Saint-Jean, Prade, Lande de Vignau, Gravier d' En-Haut, Gravier d'En-Bas, Tuilerie, Lahage, Pujioux, Camp de Plan, Lapale, Bateurte, Couzigues et Bateurte, Hount Arède et Carrères, Cap d'Aristou, Bois de la Hage Cassagniou et Mounil.
Celui de la source minérale est dit "Métairie de Vignau", puis la lande de Vignau lui succède jusqu'à la Garonne. Vue l'exposition à l'ouest, les terres alluviales riches et faciles à cultiver, l'eau à profusion, on peut penser, sans crainte de se tromper, que les parcelles en nature de pré et de terre étaient entourées d'arbres fruitiers supportant des vignes en hautains. Les paysans en tiraient un vin aigrelet appelé "piquette"....
Selon le terrier de 1750, la plus grande partie du terroir de la paroisse était cultivé sauf quelques bandes de terre de cette lande et de celle du Gravier d'En Haut. La métairie de Vignau occupait sans doute l'emplacement de l'Hôtel Beau Site et les sources qui coulaient au bas du talus appartenaient également au seigneur.
Cependant toutes les parcelles n'étaient pas totalement monopolisées par le seigneur de Barbazan. Les habitants possédaient et jouissaient de biens plus ou moins étendus dans chacun des quartiers. La plupart étaient des laboureurs, propriétaires de leurs terres et vivaient plutôt bien. A un échelon inférieur dans la hiérarchie sociale se trouvaient les brassiers, plus pauvres, parfois journaliers, parfois métayers d'un laboureur mieux pourvu ou du seigneur.
La mention de cultivateur n'apparut qu'à la fin du 18ème siècle, mais il faut remarquer qu'au fil des temps, ces appellations ne reflétèrent plus la réalité car vers les années 1750-1760, être brassier ne voulait pas dire, être "forcément pauvre". Grâce aux jeux des mariages, des héritages certains devenaient assez aisés mais conservaient leurs origines qui se transmettaient avec le patronyme et le surnom de la maison.
Tous les corps de métiers étaient représentés du plus humble sabotier au maître-charpentier, en passant par le forgeron, le tonnelier, le meunier au moulin de Patoye. Par contre aucun marchand de vin ou de boucherie n'y était installé, ils se trouvaient à Labroquère.
Barbazan était donc un petit village comme les autres, peut-être un peu plus riche et un peu mieux considéré grâce à la présence du seigneur - le comte d'Astorg, seigneur de Barbazan - mais les paysans vivaient des ressources que la nature leur permettait d'obtenir en travaillant durement de l'aube à la nuit en suivant le rythme des saisons. La vie communautaire avait ses interdits et ses obligations et tout le monde s'y pliait avec une bonne volonté évidente. La paroisse était un microcosme où toute la société du temps se retrouvait. Tout était établi selon un ordre immuable qui ne devait changer qu'avec l'assentiment de tous. Animaux et gens vivaient en symbiose : vaches, moutons, chèvres, ânes, quelques chevaux et les amis fidèles indispensables, les petits labrits teigneux mais efficaces.
Eugène d'Astorg écrit à sa mère en juin 1820 :
" Vous savez qu'ici les bestiaux passent leur vie dans les montagnes les plus hautes, ce qui fait qu'il y en a tant. Chaque paysan en a deux ou quatre qui ne lui coûtent rien à nourrir. Au point du jour elles sortent toutes de leur étable et chacune prend son sentier dans la montagne.
Elles montent jusqu'au haut et lorsque le jour baisse, elles descendent petit à petit pour se trouver en bas à l'heure de la rentrée. Alors, chacune sans se tromper prend la route de chez elle. Ce moment est même fort joli, car de quelque côté qu'on se tourne, toutes les côtes sont couvertes de bestiaux. Ce mouvement, le bruit de leurs sonnettes et le coucher du soleil, c'est vraiment un superbe spectacle". (1)
Tout ce petit monde était régi par un ensemble de coutumes, de tout temps respectées. Deux consuls, élus chaque début d'année, devaient veiller au bon fonctionnement de la communauté. On appelait ainsi les deux hommes choisis pour leur excellente moralité, leur partialité et leur honnêteté et à qui, il était interdit de refuser la charge. Le seigneur rendait la justice en son nom et au nom du roi. Il jouissait seul des droits de champart, de ban et de tor et ver.(2)
Après ce rapide survol de nos anciennes institutions, revenons à la station telle qu'elle a été jusqu'aux années 70.
L'établissement thermal a été judicieusement placé. De style italien dans son ensemble, il a sa façade ornée d'une galerie dite "des pas perdus". Il dégage une impression de grâce, d'élégance. A quelques mètres, se dresse la buvette au style très typique des années 1910-1920. L'architecte-artiste qui l'a imaginée a su exprimer toute la poésie des lieux à cette époque lointaine et qui a disparue. Tout paraît abandonné. Seul ce magnifique ouvrage trône au milieu d'un parc dont la beauté d'antan n'existe plus non plus.
Il reste des arbres majestueux mais tous les bâtiments délabrés, l'absence de parterres fleuris, de coins charmants où se réfugier pour un moment de solitude ou de méditation exsude une impression d'abandon, d'oubli, de fané. Un passé perdu dans un décor ruiné. Il n'y a plus de vie, que des soupirs que l'on peut entendre si l'on tend bien l'oreille, les soupirs de l'oubli et de l'inconséquence des hommes qui n'ont pas su garder à ce pays sa beauté ancestrale, sa joie de vivre simplement et la richesse de sa mémoire. Une incompétence générale - privée et publique - qui a tout détruit ... Est-ce irrémédiablement ? Peut-être pas.
La buvette de style baroque est une illusion du thermalisme d'autrefois lorsque les hommes étaient entreprenants et voulaient participer pleinement à l'évolution du siècle vers la modernité. Il faut dire qu'ils en avaient les connaissances et le savoir-faire.
A l'intérieur, une grosse boule de verre et de cuivre reçoit l'eau de la source et la redistribue. Tout autour de la coupole, des vitraux polychromes nous renvoient l'image de scènes végétales ou de baigneuses de "type Musha". Le lanternon est surmonté d'un dôme en bois qui a remplacé l'original en tessons de bouteilles. Devenu vétuste et dangereux au fil des ans, il fut démoli et remplacé au début des années 1960. Dès que la station fut fermée définitivement à la fin de la dernière décennie du 20ème siècle, la municipalité de Barbazan réussit à la racheter et grâce à l'acharnement des élus, la buvette usée, délabrée, vandalisée (la boule en cuivre disparue, les vitraux cassés, le fer de la structure rouillé et abîmé) fut restaurée il y a une dizaine d'années retrouvant son état originel. On ne voit plus qu'elle qui nous offre sa beauté du siècle passé, du temps des années folles où elle était le lieu où l'on se retrouvait pour partager....autour d'un verre d'eau...
Plus loin, le casino était un bâtiment sans style, terne mais il fut fort animé : concerts, théâtre, salles de jeux, bals, repas dansant, cinéma, etc...
Le parc s'étend sur huit hectares où vivaient en bonne intelligence épicéas, séquoias, sapins, cèdres, marronniers, palmiers, tilleuls et platanes au détour de belles allées se coupant à angle droit. (3)
En 1965, un sondage à une vingtaine de mètres de la source primitive qui voyait son débit passer de 65 litres par minute et sa température à 21°, fit surgir une autre source de même qualité mais coulant à un débit de 145 litres par minute à la même température.
Cette eau exceptionnelle occupant le territoire - aux environs de 400 mètres de profondeur - qui s'étend du massif des Frontignes jusqu'aux contreforts du Gert, résulte de l'infiltration des eaux de pluie dans cette vallée au climat doux et au paysage verdoyant. Elles effleurent les terrains du Trias puis la montagne séparant le bassin des Frontignes de celui de la Garonne et appelé la "Hasse de Gesset " (4), où l'on trouve des terrains de l'Albien, de l'Aptien, du Jurassique. Là, elles se chargent de calcium, de magnésium, de soufre, etc..., puis ressortent à Barbazan. La chaleur de l'eau peu élevée prouverait que la nappe ne descendrait pas à plus de 400 mètres. Le sol où sourd la source est formé de sables, de limons et de cailloux (remblaiement fluvial et marécageux).
La composition de ses eaux classe Barbazan dans la grande famille des sulfates calciques et magnésiennes comme Vittel, Contrexeville, Capvern, Bagnères-de-Bigorre, Dax, Barbotan (5).
Mais alors que ces villes ont connu un essor remarquable et jouissent d'une renommée dépassant parfois nos frontières, Barbazan a végété et est désormais oublié comme toute la région, de la plaine aux vallées.
Pourtant depuis les années 2000, le conseil municipal de Barbazan et les élus de la Communauté des Commues cherchent des solutions afin de redonner vie à ce lieu emblématique d'un art de vivre heureux... L'implantation d'un casino "tout neuf" dans le village rappelle le passé thermal et Monsieur Henri Galy, maire de la commune à l'époque, n'avait qu'un rêve, m'avait-il dit, que des investisseurs s'intéressent à nouveau à cette source "enchanteresse" dans l'avenir.
Mais voilà, comme tout le tissu économique de la région a disparu, rien ne se concrétise. Y aura-t'il un jour la volonté politique en haut lieu pour aider nos jeunes à espérer ?
Car je souhaite vraiment, qu'un jour des esprits entreprenants se mettront au service de ces lieux historiques pour les offrir dans toute leur beauté aux générations futures.
Jackie Mansas
2 août 2016
1 - J. d'Astorg : revue de Comminges - 1987
2 : le seigneur jouit seul du privilège de posséder un taureau ou un verrat.
3 - tiré du rapport classement du site en 1978
4 - carte IGN 1/25000
5 - Revue de Comminges : Docteur Paul Duran et R. Francioli