Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...
Quelque part dans une de ces rues de la vieille ville de Namur, une famille a attendu le retour du couple disparu un soir de juillet 1943...
L'énigme des Belges ....
Madame sonna à 9 heures et demi et ma mère lui apporta son bol accompagné d’un litre de lait chaud. Elle s’était bien calée dans les oreillers et attendait pour déguster le breuvage brûlant que Marcelle ait ouvert les volets. Le jour entra violemment et elle respira la brise légère de l’été. Elle lui demanda pourquoi il y avait eu tous ces cris et ces bruits de coups qui l’avaient réveillée. Marcelle se tenait face au lit, Madame ne lui disait jamais de s’asseoir et elle raconta ce qui s’était passé.
Elle avala de travers et toussa faisant trembler le plateau dangereusement, en écoutant le récit de la jeune bonne. Elle se sentit frustrée et vaguement en colère car elle n’avait pas assisté à l’événement ! La curiosité la titillait. Elle vida d’un trait son bol, se leva, fonça vers la salle de bains attenante où elle fit une rapide toilette puis elle l’entraîna dans l’escalier tout en parlant :
- Je suppose que Pierre est avec Gaston, comme tous les jours ! Prenez Jean et venez avec moi, nous allons discuter avec Monsieur le Curé !
- Mais Madame et le ménage ?
- Vous le ferez demain ! Nous n’allons pas rater le mystère du village tout de même ! Je veux savoir ce qu'il se passe….
Devant le portail fermé, le curé et le maire attendaient Simone et Hortense. Le curé, très au fait des convenances s’empressa auprès de Madame pour lui raconter toutes les péripéties de la matinée.
Le maire fit remarquer qu’il fallait patienter.
La conversation tomba. Chacun regardait le « Bout du Vignaou » s’attendant à voir surgir de derrière le mur de la maison Sainte-Marie, la silhouette charpentée de Simone qui marchait toujours à grands pas en balançant son corps d’avant en arrière, personne ne comprenait pourquoi elle avait cette habitude. Mais elle était tout de même une belle plante, toujours bien coiffée et habillée joliment. Bien sûr, ses tabliers à fines rayures foncées ne lui seyaient pas mais physiquement, elle était plaisante, si ce n’était son effroyable caractère.
Le temps est long....
Le curé donnait des signes d’impatience, en fait, il n’avait pas déjeuné et son estomac malmené toute la nuit dernière criait famine. Sa bonne n’arriverait que vers dix heures pour faire le ménage et préparer le repas de midi, frugal comme tous les jours de la semaine. Les paroissiens lui offraient un ou deux jambons par an et pas mal de charcuterie que Berthe mettait au saloir dans la cave. Il cultivait son jardin et la récolte était largement suffisante. Il ne se plaignait pas de son sort, les villageois étaient généreux et aimables envers lui. Le dimanche, après la messe, il était invité par une famille aisée, chacune à son tour se réservait l’honneur de l’avoir à sa table. Il s’agissait d’une tradition, le curé et l’instituteur étant considérés comme des notables ne pouvaient être conviés à la table des paysans. C’était la loi des classes sociales dans le village depuis l’arrivée des commerçants enrichis au 19ème siècle.
Parfois, il se rendait à l’hospice où les religieuses le recevaient à bras ouverts. Le menu concocté par la sœur cuisinière était plus approprié que les autres pour soigner ses maux d’estomac. Il se confondait en compliments qui ravissaient la nonne. Il aurait bien apprécié de partager le repas des paysans mais hélas, ces derniers n’osaient pas le lui proposer sauf lors d’un baptême ou d’un mariage.
Oui, sa vie était bonne, les enfants au catéchisme étaient un peu turbulents mais même s’il n’était pas tout à fait certain qu’ils connaissaient le Notre Père et le Je Vous Salue Marie par coeur, il avait le sentiment de faire avec eux son devoir de prêtre.
Personne d’ailleurs, ne lui disait le contraire.
A la rentrée il aurait à prendre en mains les « petits » qui entreraient en première année et c’était pour lui un ravissement car ils regardaient les images pieuses avec émerveillement. Elles étaient si belles, si lumineuses !
Madame se mêle de "l'affaire"...
Il en était là de ses cogitations, essayant d’oublier les gargouillis qui montaient de son ventre douloureux, lorsque des voix se firent entendre aux Quatre-Chemins. Tout le monde se retourna pour regarder Simone et Hortense descendre la rue. Lorsqu’elles les eurent rejoints, Madame demanda sur un ton qui n’admettait pas de réplique - l'habitude dans les colonies et pour elle, la population du village se trouvait au même niveau que les "colonisés" - :
- Avez-vous la clé pour entrer ?
Hortense ne répondit pas, Madame, comme on l’appelait, ne l’impressionnait pas. Elle avait vécu à New York durant de nombreuses années et s’était frottée à plus important que cette bourgeoise qui, d’accord, ne méprisait personne, parlait avec tout le monde, ne dédaignait pas de venir manger à la table des paysans mais dont les airs de grandeur parfois lui déplaisaient grandement. Elle prit son temps, sortit le trousseau de clés de sa poche, le tendit au curé, ignorant avec superbe Madame qui ne fit aucune remarque. Ce n’était pas le moment et elle se rattraperait une autre fois.
Le curé commença à chercher la clé du cadenas avec fébrilité. Puis il l’ouvrit et ils entrèrent tous, pressés de savoir ce qui s’était passé. La porte d’entrée fut, à son tour, rapidement poussée. La cuisine était sombre avec les volets fermés et Simone se précipita pour les ouvrir. Il n’y avait personne, mais tout était impeccablement rangé, le plancher lavé, la poussière essuyée.
Les hommes visitèrent les chambres, tout aussi bien tenues, le lit n’avait même pas été défait. Les armoires étaient encore remplies des vêtements et du linge, les valises vides étaient posées dans un coin et recouvertes d’un drap pour les protéger de la poussière, tout était en ordre, par contre, remarquèrent-ils, il n’y avait aucun argent nulle part. Et pourtant ils en avaient beaucoup, tassé en liasses épaisses dans une valise en cuir râpé marron qui n'était nulle part !
Marcelle avait vu Mr Michoulin la refermer un jour qu'elle était venue chercher une jupe que Madame avait commandé... Discrètement, elle avait tourné la tête. Les bijoux de la dame en or sertis de pierres précieuses et les papiers d’identité avaient également disparu. Mais elle ne fit aucune remarque.
Jean-Marie Labardens demanda à Jean Castex, ex-clerc de notaire ce qu'il pensait de la situation et l'homme leur fit part de ses observations :
- Ils sont partis dans la nuit, comment je ne sais pas mais il est évident qu’ils ont quitté la maison précipitamment. Ils n’ont pas pu emporter les vêtements et le linge ! Cela est étonnant ; pour moi, leur départ est incompréhensible !
Marcelle se tenait derrière le groupe, écoutant attentivement les propos échangés. Jean était lové dans ses bras et semblait lui aussi, suivre la conversation. Elle laissait errer discrètement son regard autour d’elle. Elle cherchait à comprendre ce qui clochait dans l’ordonnance de la cuisine. Tout-à-coup, elle réalisa que si tout était propre, parfaitement nettoyé, s’il n’y avait pas une parcelle de poussière et si même les murs avaient été lessivés - celui attenant à la cheminée jusqu’au plafond - la vaisselle empilée dans l’évier détonnait. Et sous la table qui avait été déplacée lui semblait-elle, quelques planches du parquet étaient plus claires, plus neuves que les autres ...
Le chaudron d’eau était suspendu à la crémaillère au-dessus d’une couche de cendres encore chaudes. Il y avait sur les assiettes sales, quatre verres dont le fond était rougis par du vin et une tasse à moitié remplie de tisane. Trois personnes avaient donc fait la veillée avec le couple. Cependant elle n’avait vu personne ressortir avant le couvre-feu à 10 heures la veille au soir.
Elle restait dubitative mais décida de ne rien dire de ses cogitations. Surtout pas à Madame qui s’empresserait de poser des questions sans se soucier des conséquences.
La décision des autorités du village : maire, adjoint, curé...
Le curé prit la parole :
- Comment ont-ils pu tout abandonner malgré les patrouilles allemandes et sans que quiconque d’entre nous ne soit mis dans la confidence ? ( un silence lourd...puis...) On ne saura rien de ce qu'il s’est passé et il vaut mieux garder le silence sur cette affaire car si elle vient aux oreilles des Allemands... Bonjour les ennuis...
Il laissa tomber un silence puis reprit gravement :
- Je propose que l’on taise ce départ. On fait comme si rien n'était arrivé. Que pensez-vous de ma suggestion Madame ?
- Monsieur le Curé, votre sagesse est infinie. Bien sûr, il ne faut rien dire, cette affaire ne doit pas s’ébruiter. Pour tout le monde, les Michoulin sont partis dans la nuit vers une destination inconnue. Hortense va avertir son fils, il videra la maison et la relouera quand il le voudra. Nous ne ferons aucun commentaire. C’est une affaire qui ne nous regarde pas.
Le maire opina et conclut doctement :
- Nous tous qui sommes présents nous devons prendre l’engagement, là, immédiatement, de ne rien raconter de ce que nous avons vu. Nous devons toujours soutenir que quand nous sommes entrés, la maison était vide, que les Belges n’étaient pas là. Il ne faut absolument pas que les gendarmes apprennent quoi que ce soit. Dites-vous bien que si une quelconque rumeur leur arrive aux oreilles, ils commenceront une enquête et les allemands rappliqueront. Tous ceux qui seront entrés dans la maison seront interrogés et si un quelconque soupçon leur vient, nous risquons de nous retrouver en prison et…. Plus grave encore !
Il se tut et un frisson parcourut l’assistance. Puis dans un brouhaha, chacun jura de ne rien raconter. Madame proposa d’accompagner Hortense à l’hospice et de l’aider à téléphoner à son fils. Les religieuses qui s’y connaissaient en secrets, se chargeraient de tout camoufler. Hortense accepta mais Simone décida de suivre les deux femmes...
Ben voyons...
Il faut se taire à tout jamais : un serment est un serment.... (1)
Marcelle jeta un dernier regard vers l’évier puis sortit. Elle posa le petit garçon à terre et lui prit la main. Elle vit le maire fermer la porte à clé, puis le portail et enfin le cadenas. Elle comprit soudain que les belges avaient emporté leur clé avec eux ! Pourquoi donc ? Ils n’en avaient plus l’usage, ils auraient pu la laisser dans la serrure. Mais elle se tut encore, personne n’ayant rien remarqué.
Chacun regagna sa maison.
Elle pensa à part elle, que les Michoulin n’étaient peut-être pas partis d’eux-mêmes, qu’on les avait peut-être obligé à prendre cette décision. Mais le mystère resterait entier.
Elle allait tout de même raconter l’affaire à Françoise qui méritait bien de savoir et qui, elle en était sûre, se tairait à jamais.
Elle aperçut au fond de la rue Mr Tomps qui la regardait descendre. Elle lui fit un signe de la main, il répondit de même. Elle s’apprêtait à pousser le portail lorsqu'elle réalisa que le brave homme n’était pas monté les rejoindre. « Pourquoi donc ? », se demanda-t’elle. Habituellement, il était toujours serviable, s’intéressait à tout ce qui se passait sans toutefois manifester une grande curiosité. Elle revint sur ses pas et regarda à nouveau dans sa direction mais il n’était plus là.
Elle reprit Jean par la main et rentra dans la grande maison.
Toute sa vie, elle se posa la question, comme sans doute tous les habitants
"Mais où sont donc partis les Belges ? ".
Qui avait pu venir dans la nuit les chercher ? Elle n'avait vu personne sortir de chez eux avant 10 heures comme tous les soirs, donc, les hommes n'étaient pas venus à la veillée, cela arrivait quelques fois, surtout l'été lorsque les travaux dans les champs réduisaient les corps en un monument de fatigue...
Alors qui était venu les "enlever" dans la nuit ? Elle n'avait pas été réveillée par une voiture, elle n'avait entendu aucun bruit mais ils étaient partis quand même en catimini...
Jackie Mansas
11 février 2017
Notes
Pour ces trois articles, je répète ce que j'ai entendu et les réponses aux questions que j'ai posé mettant quelquefois mal à l'aise certains de mes interlocuteurs.
1 - mais moi, je n'ai rien promis du tout et nous sommes en 2017, il y a prescription depuis longtemps !
Les photos ont été tirées du site Wikipédia.
Ayant appris que des personnes indélicates se servent en les transformant, de mes articles à des fins personnelles, je me vois obligée de les faire protéger juridiquement.
RAPPEL :
https://www.adagp.fr/fr/droit-auteur/les-textes
Deux lois ont posé les grands principes du droit d’auteur :
- la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique ;
- la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle.
Les dispositions de ces deux lois ont été intégrées au code de la propriété intellectuelle (« codifiées ») par la loi n° 92-597 du 1er juillet 1992.
C’est aujourd’hui le code de la propriété intellectuelle, complété notamment par la loi « DADVSI »du 1er août 2006 et les lois « HADOPI » de 2009, qui constitue le texte de référence en matière de droit d’auteur.
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