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Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...

Une maman dans la jungle cambodgienne au temps de l'infâme Pol Pot

image copiée sur un site internet spécialisé dans la cartographie des pays de l'ancienne Indochine.

image copiée sur un site internet spécialisé dans la cartographie des pays de l'ancienne Indochine.

Avant de vous raconter l'histoire de vie de cette dame cambodgienne (dont je ne me rappelle plus du nom, veuillez me pardonner) venue en convalescence après une maladie à la maison de Repos et de convalescence de Sainte-Marie à Siradan, je crois que c'était en 1979, il me semble, mais tout me semble si loin depuis quelques temps, nous allons nous rémémorer cette affreuse période du génocide cambodgien qui a duré de  1975 à 1979. 

Elle était ce que l'on nomme ces gens ayant échappé aux tortures et à la mort dans leurs pays d'origine, une réfugiée politique. Le Cambodge était sous la coupe du sinistre et sanguinaire Pol Pot et durant ces quatre années, sous son "règne", 20% à 30% de la population fut torturée et tuée avant que les Etats-Unis n'interviennent et libèrent le pays. 

Elle était directrice d'école à Phnom Penh, femme de ménage à Paris car malheureusement, la France ne reconnaissait pas la validité de ses diplômes mais elle ne désespérait pas de pouvoir enseigner à nouveau - en France et en français, langue qu'elle maîtrisait à merveille puisque le Cambodge avait été sous domination coloniale française, un protectorat - car elle étudiait le soir après avoir travaillé toute la journée pour nourrir sa nombreuse famille.

Elle avait eu huit enfants mais en avait perdu deux dans des circonstances atroces et avait vu son mari professeur dans un établissement équivalent à nos lycées, mourir décapité par les sbires de Pol Pot.

Son fils aîné étudiait en France lorsque Phnom Penh tomba en 1975 et après la mort de son mari, sachant que son tour viendrait ainsi que celui de ses enfants, elle décida de fuir et de rejoindre la France avec d'autres familles de collègues, de parents et d'amis. C'est son fils qui, depuis Paris, avec le concours des filières officielles, organisa leur fuite via le Laos et ses camps de réfugiés puis les boat-people...

Après un voyage épouvantable, l'arrivée tant espérée, tant attendue :  fouler le sol français, la Terre Promise en quelque sorte.... Elle en parlait avec un tel amour....

Dès leur prise de pouvoir les Khmers rouge ne chômèrent pas. Les professions dites "intellectuelles" étaient les premières visées, ainsi que... ce serait risible si ce n'était aussi atroce... les myopes, car porter des lunettes était un signe ... d'intellectualisme à l'occidentale ! Il faut remarquer au passage que Pol Pot avait été étudiant en France tout de même... comme tout bon bourgeois de l'élite sociale cambodgienne !

Le fils aîné de cette dame avait déjà 28 ans en 1979 et elle était .... grand-mère ! Bien sûr, ses derniers enfants étaient lycéens et collégiens...

Elle était une jeune femme de 45 ans environ, petite mais très belle, brune de teint et de cheveux, des yeux noirs immenses, un sourire plein de joie en permanence ce qui avait pour résultat que lorsqu'on connaissait son histoire, on ne pouvait qu'admirer sa sérénité. Elle disait : "la France m'a donné le droit d'espérer à nouveau que le monde pouvait être beau et les humains gentils".... 

Oui ? Ah bon, j'avais appris quelque chose ce jour-là... 

Sans nous attarder, passons tout de suite au récit de cette jeune femme.

 

Comme je "faisais" les nuits en plus du service à la salle à manger, j'avais une autre approche avec les pensionnaires. Lorsque le "cafard" leur prenait la nuit, elles sonnaient, c'était un soin comme les autres : l'écoute est très importante. Et j'adore cela écouter les autres. Même et surtout si j'ai une réputation de bavarde ! 

Mais qui a vraiment vérifié sauf dans quelques cas, disons, improbables.... Hein ? 

L'été touchait à sa fin et les pensionnaires , femmes et hommes, n'étaient plus aussi nombreux. Tout était calme, tranquille. Bien sûr, je ne dormais pas bien étant réveillée par les sonnettes au moins trois fois par nuit, ce qui avait pour résultat une grande fatigue le lendemain matin surtout lorsqu'il fallait enchaîner avec le service de salle. Je n'avais pour étudier que l'après-midi après une courte sieste.

Mais bon quand on est jeune, on a tous les courages.

La dame cambodgienne était venue en août très amaigrie après une maladie mais vu le bon air, la bonne nourriture, les bons soins et les promenades pour se muscler un petit peu, ce que l'on ne pouvait faire à Paris, elle s'était bien remise et le médecin lui avait accordé un mois de plus. 

Dans le groupe de pensionnaires, il y avait plutôt des femmes d'un certain âge et une ou deux cinquantenaires. Elle était donc la plus jeune. Et il n'y avait plus qu'un seul homme genre grande gueule et monsieur-je-sais-tout qui avait bien entamé la décennie des septuagénaires. J'ignore quel métier il avait eu mais vu son caractère autoritaire, on pouvait imaginer qu'il avait commandé toute sa vie. Il était veuf je crois mais bon, c'est si loin....

Il parlait mal aux dames comme si elles étaient inférieures et elles ne répondaient jamais. On aurait dit qu'elles avaient l'habitude.... Il avait eu quelques accrochages avec les infirmières mais vu leurs caractères à elles aussi, il s'était vite calmé. Quant à moi, c'était comme si je n'existais pas, ce qui m'arrangeait au plus haut point. Mais vu que les repas étaient en général un moment plus que de détente, n'est-ce-pas, il ne rouspétait pas de mes réparties et de mes plaisanteries, non, il en riait comme les autres. 

Je crois qu'il avait eu une dispute aussi avec Suzanne et ça c'était plutôt mal passé.... pour lui, le pauvre ! Fallait pas oublier qu'on ne parle pas mal à une baroussaise au fichu caractère mais gentille comme un bonbon fondant... Cela, il ne l'avait pas compris. 

Un soir de garde, la dame cambodgienne me demande si je peux laisser la télé allumée après 22 h car il y a une émission sur le Cambodge qui venait de tomber aux mains des américains et elle souhaitait revoir son pays surtout maintenant délivré.

J'accepte bien sûr, je me doute bien que si elle l'a fui parce que des assassins en avaient fait un cimetière, elle ne peut qu'être heureuse que son peuple soit redevenu libre....Et je la laisse toute contente.

Le soir, à 22 heures, je n'éteins donc pas les lumières dans la galerie et je me dirige vers la télé croyant qu'elle y était et pour regarder moi aussi l'émission. Mais non, il y avait le pensionnaire et quatre femmes de sa cour rapprochée.

Il a le culot de me dire que la... "jaune" n'était pas venue regarder le match de foot et que comme ils avaient la permission de rester plus longtemps grâce à elle et bien ils restaient là.

Non mais, à votre avis, il ne se fichait pas de moi là ? L'autorisation était pour elle et pour ceux et celles que la libération du Cambodge intéressait, pas pour lui et sa cour pour une émission débile sur le sport en plus, je crois ...  et puis le "la jaune" m'avait fortement déplu...

"Faut pas pousser Jackie dans les orties"....télé éteinte et tout le monde au lit, non mais !

On va voir ce qu'il s'est passé demain matin...

Le lendemain donc, comme le soir je n'étais pas de garde mais je devais quand même faire la journée, elle vient me rejoindre dans l'office et elle me raconte ce qu'il s'était passé.

Le bonhomme s'était plaint auprès d'elle, qu'à cause d'elle justement et de son Cambodge "à la noix" : "mais qu'ils s'entretuent, ça fera moins de Chintocks sur la Terre ! on s'en fout ", il avait été privé de télé comme un gosse ! Par une gamine en plus qui se croit tout permis... gamine à 30 ans... Enfin...

Elle s'excuse des histoires qu'elle avait déclenché. Mais que lui avait-il dit exactement pour qu'elle ait tant pleuré ? Après bien des hésitations, elle m'avoue :

- il m'a dit que si je voulais revoir le Cambodge, je n'avais qu'à y retourner, qu'il y avait assez d'étrangers en France, qu'il fallait que les français les nourrissent avec leurs impôts, que tous les "jaunes" étaient des voleurs et des assassins et que si on les avait colonisés c'était parce qu'ils étaient comme "les nègres" et les "bicots", des animaux.... pour les civiliser !

Et que lui, voulait voir le match dans son intégralité et que si je n'étais pas contente, je n'avais qu'à faire ma valise et partir, que si j'étais là à me reposer c'est parce que lui payait pour moi, pour tous les feignants qui venaient se réfugier en France soi-disant..." etc.

Et elle se remet à pleurer. Je suis comme une statue de sel ; de l'autre côté du passe, les deux cuisinières écoutent rouge comme des pivoines parce qu'aussi choquées que moi. On ne sait que dire, que répondre...

Mais tout d'un coup, la rage me prend et je pose brusquement les assiettes sur l'évier, je m'apprête à monter jusqu'à la galerie où il pérore au milieu de sa cour mais la dame me retient en me serrant le bras et les cuisinières me crient :

"Non Jackie, ne dis rien, ça ne servira qu'à envenimer les choses, tu sais, les racistes, on ne peut rien en faire ! Il faut les ignorer et faire comme s'ils n'existaient pas !".

La dame me supplie : "Promets que tu ne diras rien, sinon, ça va être l'enfer pour moi, tu sais, à Paris, j'ai l'habitude...".

Je boue intérieurement mais je me rends à leurs arguments, elles ont raison mais je n'ai pas dit mon dernier mot. Il va voir ce que "la gamine" est capable de faire quand elle a décidé de se venger...

Et il a vu... officiellement ça n'avait rien à voir avec ses opinions sur les immigrés mais sans doute à cause d'un caprice parce qu'il avait voulu abuser de la situation pour continuer à regarder la télé...

Mais pour celles qui ont compris et qui n'ont rien dit, il a mieux valu faire profil bas.... Comme disait ma mère : " Il ne faut jamais faire un tour de cochon à quelqu'un de gentil, sinon gare au retour du bâton !"...

Non, mais... et si lui il avait été à sa place, il aurait bien aimé que la France lui ouvre les bras non ?

Bon, oublions, ces "choses" négatives, on les connaît, c'est l'essentiel pour les combattre et passons aux "choses" sérieuses...

 

Ce soir de presque fin septembre donc, une fois que 22 heures eurent sonné, que j'eus éteint la télé et les lumières, c'est-à-dire que j'avais mis les veilleuses depuis le grand tableau électrique dans la lingerie, je descendis au rez-de-chaussée vérifier que tout était bien fermé.

Nous n'avions pas de jeunes femmes parmi les pensionnaires alors, je n'avais pas à attendre 23 heures qu'elles rentrent du bistrot où, en général, elles allaient passer la soirée en compagnie des hommes du pays, n'est-ce-pas...

Ah ! les "ruraux", quels vrais hommes ! 

Véridique : les parisiennes en étaient persuadées, elles s'inventaient des maladies pour venir vérifier cette réputation... Il ne faut ni juger ni en rire car voyez-vous, cela faisait travailler un grand nombre de gens même si ce n'était pas très moral, ni très honnête et si cela agrandissait de façon démesurée, le trou de la Sécu ! Il y avait quand même jusqu'à treize employées, plus les sous-traitants, le médecin et les à-côtés...(1)

Une fois ma ronde effectuée, je remonte vers ma chambre mais je vois que quelqu'un est encore là devant la télé éteinte. C'est la dame cambodgienne qui m'attend les yeux brouillés par les larmes. Je me dirige vers elle, m'assieds et gentiment, je lui demande ce qu'elle a. Elle me répond avec un hoquet de sanglots étouffés :

- Je t'attendais, j'ai besoin de parler à quelqu'un, tu sais. C'est vrai qu'ici je suis bien, je me repose, je vais beaucoup mieux mais depuis le soir où j'ai demandé à regarder l'émission sur mon pays, tu vois, tout le monde est moins gentil avec moi. On dirait que je gêne...

Moi : - Vous gênez qui ? On vous a dit encore quelque chose de méchant ? 

Elle : - Oh ! quelques piques comme quoi les étrangers devraient rentrer dans leurs pays par exemple et avec leurs familles même si la femme ou le mari est français...

Moi : - Et bé dis donc, si les étrangers et enfants d'étrangers devaient s'en aller, ici par exemple, dans la région, il ne resterait pas grand monde et la Maison de Repos ne pourrait pas fonctionner vu que si on m'enlève à moi qui suis mélangée, le reste du personnel est à 80% d'origine étrangère...

Heureusement alors qu'une des cuisinières est franco-française parce que je ne me vois pas faire la cuisine, ce ne serait plus du repos mais l'annexe des Pompes Funèbres.....

Elle qui éclate de rire parce que quand je veux me moquer du monde et de moi en particulier, j'ai une façon de parler un peu bizarre : - C'est à ce point ? Tu ne sais pas cuisiner ? Pourtant c'est agréable tu verrais comme on peut se régaler si tu goûtais à un plat cambodgien...

Se régaler d'accord, cuisiner c'est autre chose !

Bon ça va, il n'y a rien de tel que le rire pour se sentir un peu mieux dans ce monde cruel, elle reprend des couleurs et de tranquillité d'esprit. Je suis contente mais ça ne suffit pas,  il faut qu'elle libère sa peine

Ce que nous saurons la prochaine fois. Rassurez-vous, ça ne va pas tarder...

Préparez-vous au pire des cauchemars surtout vous les mamans....

 

Jackie Mansas

22 octobre 2021

 

 

 

NOTES

 

1 - les bistrots, la pharmacie, les épiceries, les boutiques de souvenirs, les magasins de fringues et esthétiques, les cinémas parfois et quelques gigolos qui se faisaient ainsi des "revenus supplémentaires" : et oui !

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