Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...
En mars, les stations thermales commencent à se parer de couleurs vives. C'est un plaisir d'observer ces magnifiques bâtiments accueillant les curistes qui déambulent avec leur sac de cure. Après une semaine, on peut noter leur air fatigué, mais après les 18 jours requis, le sourire est inévitable.
La cure thermale peut être bénéfique si elle est suivie sérieusement, sans cynisme ni clichés tels que "Ce n'est que de l'eau, ça ne peut pas soigner, encore moins guérir", "C'est une arnaque pour enrichir les actionnaires et aggraver le déficit de la Sécurité sociale", "C'est une perte de temps, les laboratoires devraient simplement faire leur travail", et j'en passe.
Cependant, je vous assure, parole d'honneur, que l'eau thermale a des vertus curatives. Je ne détiens aucune part dans aucune entreprise thermale : c'est la vérité.
Et je vais vous le prouver : ma maman, têtue comme pas deux, qui a souffert d'une rhinite/sinusite très purulente environ huit mois par an durant vingt-cinq ans, a guéri après sa troisième cure, définitivement. Elle avait décidé que, malgré les conseils avisés de la Faculté, elle ne suivrait pas le traitement : "De l'eau, depuis quand guérit-on des maladies avec de l'eau ? C'est une arnaque", disait-elle.
Je m'explique : en 1960, à l'âge de 44 ans, elle ne parvient pas à se débarrasser d'un "rhume des foins", que le médecin juge plus grave. Mais non, bien sûr, ce brave homme ne connaît rien aux rhumes des foins...
Ainsi, au moins deux fois par jour, tous les jours, elle fait une fumigation avec du pérubore, de l'eucalyptus, du laurier, tout y passe.
Le rhume part mais revient toujours.
Naturellement, son humeur en pâtit.
À partir de 1964, elle souffre tellement de la tête qu'elle porte un turban maintenant sur son front une épaisse compresse de coton hydrophile censée réchauffer ses sinus.
Son humeur devient exécrable.
Puis, un miracle se produit avec l'ajout d'Aspro, et il semble y avoir du mieux de 1970 jusqu'en 1973, année du décès de mon père.
À ce moment, la maladie revient de plus belle. Elle a soudainement très froid, plus que d'habitude, à un point inimaginable. Et, à cause de cette maladie et du froid, elle prend du poids. Un jour, je lui dis avec précaution parce que sinon ! : "Maman, tu as beaucoup grossi, il faudrait en parler au docteur, ce n'est pas normal."
En 1973, elle a 57 ans et je pense que c'est la ménopause qui affecte son métabolisme. Je dois ajouter qu'en plus du bandeau et du coton, elle porte DEUX bonnets de laine et, en cas de courants d'air à l'extérieur, elle met un chapeau ou un bob par-dessus.
Elle a froid.
Elle a mal à la tête.
Elle souffre d'un rhume des foins.
En juin, le temps est clément et après une dernière fumigation, elle annonce qu'elle a, en effet, un peu chaud. Je lui suggère d'ôter au moins un bonnet et l'épais tricot de laine qu'elle a tricoté en double, car une rechange est toujours nécessaire. Et peut-être consulter un médecin, car cette prise de poids semble anormale. Je m'attends à un cinglant "Occupe-toi de tes affaires", mais non, elle ne dit rien.
Alors, sachant que tout ce que je pourrais dire serait comme siffler dans un violon, je laisse tomber. Le lendemain matin, je la salue avec un "Tu as bien dormi ? Pas de mal de tête ?". "Non, ça va", me répond-elle.
Je pars travailler aux thermes de Barbazan (j'avais été embauchée au magasin de souvenirs pour la saison estivale) et à mon retour à midi, je la trouve transformée.
Difficile à expliquer, mais elle a changé. Je me retourne pour mieux la voir et je réalise qu'elle a énormément maigri. Stupéfaite, je comprends que, avec la chaleur, elle a retiré ses tricots, sous-vêtements en laine, gilets, pulls, robes en laine, et elle paraît toute menue malgré son mètre soixante-dix.
Je ne peux m'empêcher de rire et je lance, croyant être drôle : "Dis maman, on voit que c'est l'été, tu as pelé les oignons". Je n'oublierai jamais le regard noir qu'elle m'a lancé et sa réplique : "Bien sûr, tu te crois maligne avec tes remarques ! Ca se voit que ce n'est pas toi qui a un rhume des foins !".
Euh, non, j'étais juste contente de lui faire cette remarque parce que, franchement, l'excuse du rhume des foins pour superposer les vêtements en laine alors qu'il faisait soi-disant un froid polaire, c'était trop !
Nous sommes arrivés tant bien que mal en 1983. La douleur était si intense qu'elle en était presque assommée. Le médecin lui dit qu'il n'y avait qu'une seule chose à faire pour la soulager : une cure à Luchon.
Dans la voiture, pas de réponse, mais j'ai eu droit à :
"Ne te réjouis pas de ce que le docteur a dit, je ne ferai pas cette cure".
"Eh bien, comme tu veux maman, c'est ton choix si tu préfères souffrir...".
"Exactement, c'est mon choix, c'est moi qui décide de ce qui est bon pour moi".
Cet été-là, une accalmie lui a permis de voyager en Italie avec ma sœur, ma belle-sœur et mon frère. Il avait promis qu'une fois en CDI, il l'emmènerait en Toscane, à Maresca, pour rencontrer les cousins des deux côtés de la famille qu'elle ne connaissait pas et il a respecté sa promesse.
Ils ont exploré le nord de l'Italie et le 24 juillet, pour son anniversaire, elle a rencontré sa famille transalpine.
Naturellement, tout avait été orchestré pour lui réserver une magnifique surprise. Je vous raconterai ce périple un autre jour.
Pour l'instant, revenons au rhume des foins qui, avec l'arrivée de l'hiver et du froid, est là ainsi que les kilos en trop. J'étais désespérée.
Comment la persuader ? J'abordais le sujet quotidiennement, mais avec l'été, le fameux rhume des foins s'en allait, que pouvais-je ajouter ?
En mars 1984, elle a 68 ans, le médecin m'informe qu'il est temps qu'elle se décide, faute de quoi, une opération des sinus serait envisagée, sans garantie de succès.
Regard noir ! Pauvre docteur....
Nous voici en mai 84 et fatiguée de me répéter, je demande à ma sœur de la convaincre. Elle essaie.
Après son départ, notre mère têtue m'assène : "Inutile de redire à ta sœur que je dois faire une cure, je n'en ferai pas, les inhalations suffisent." Là, ma patience atteint ses limites, "Ah, tu refuses la cure ? On va voir !" J'en parle à mon frère afin qu'il insiste ; lui, j'en suis sûre, va y arriver. Enfin, espérons-le..
Mon frère, un pur Pyrénéen au franc-parler typique de nos belles montagnes, ne lui a jamais manqué de respect ni élevé la voix. Jamais, il n'a cessé d'être respectueux. Et cet après-midi-là, en l'écoutant, je jubilais. Après tant d'années d'efforts, il a suffi qu'il insiste pendant plus d'une heure pour qu'elle cède. Ma belle-soeur surenchérissait et ma soeur et moi, on regardait, le sourire aux lèvres... de contentement !
J'étais allée chercher les papiers déjà remplis pour les lui faire signer et je les cachais derrière mon dos en attendant le moment propice que l'on sentait venir.
Dès qu'elle a accepté, je me suis empressée de lui faire signer les documents à envoyer à la Sécurité Sociale et je fus prise d'un fou rire. Il lui a pris la main, a placé le stylo entre ses doigts et l'a maintenue jusqu'à ce qu'elle paraphe chaque volet.
Une fois fait, elle me dit en me regardant bien en face, ses yeux devenus gris lançant quelques éclairs : "Voilà, tu es contente, je vais faire la cure mais tu verras que ça ne servira à rien, on ne guérit pas du rhume des foins." Ma sœur lui répond alors : "Peut-être, mais d'une rhinite/sinusite, oui." Regard noir pour elle aussi et silence.
Pour être sûr qu'elle ne change pas d'avis, mon frère a pris l'enveloppe pour l'expédier lui-même. Regard noir encore.
J'ai eu droit à trois jours de silence : elle ne m'a pas adressé la parole même pour me répondre alors j'ai fait pareil.
A part moi, je pensais qu'elle allait aimer faire la cure : on est si bien dans cette athmosphère tiède et humide certes, odorante sans nul doute, mais le résultat au bout du compte, est plus que réjouissant !
Et voilà, le temps a passé, l'été s'est enfui avec regret et dès le début octobre, nous nous sommes levées (comme chaque matin durant 18 jours) très tôt pour partir à 5h30 pour être devant la grande porte des Thermes avant 6 heures. Et à cette heure-là, les Allées d'Etigny sont désertes, aucun problème pour se garer.
En 1984, c'était comme cela que les cures fonctionnaient : d'arriver si tôt me permettait de courir vite pour être la première à la pile de tickets et d'éviter l'attente de toute une matinée.
Je n'en prenais pas seulement pour moi : face à la foule (relative) et à la bousculade dès l'ouverture de la porte, les personnes faibles ou fatiguées risquaient de chuter.
Ainsi, j'ai assisté un jeune garçon durant ses trois derniers jours, ainsi qu'un monsieur âgé qui se déplaçait avec des cannes et qui avait commencé deux jours avant ma mère. Son sourire était inoubliable ! L'employé ne m'a jamais fait de remarques, bien que cela fût interdit.
Ensuite, j'ai sympathisé avec un jeune homme qui souffrait de problèmes pulmonaires. Il était très agréable, bourré d'humour léger, qu'est-ce que nous avons ri ! Maman n'était pas très contente car bien évidemment selon elle "je me faisais remarquer". Je lui prenais ses tickets.
Il n'a pas pu terminer sa cure à cause de sa maladie. Il y avait aussi une dame âgée, courbée sous le poids de l'arthrose, ce qui me touchait. Évidemment, je n'étais pas malade (curiste) et j'étais en bonne santé, mon 1,65 mètre et mon poids léger me permettaient de me faufiler et de courir aisément sans être bousculée.
Cela a poussé une dame, très grande et plutôt corpulente d'environ 50 ans, à me dire que je devrais "profiter de ma minceur et de mon agilité car cela ne durerait pas. Vous verrez ce que c'est que d'être toujours mise de côté". Face à ses difficultés, j'étais disposée à l'aider, mais son commentaire m'a découragée. L'employé qui avait tout entendu m'a alors adressé un clin d'œil complice.
A suivre : la cure ! Tout un art...
Jackie Mansas Cinotti
18 fevrier 2025