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Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...

La croix du Mombourg 2

 

      Dans le précedent article, j'ai réuni toutes les informations recueillies  au fil du temps sur la construction de la croix du Mombourg et je les ai analysées, après tant d'années, soit 82 ans, pour répondre à une polémique stérile.

 

Mais cela a servi à quelque chose, on peut reconstituer cette période tout en gardant à l'esprit qu'en l'absence de preuves écrites, il peut y avoir quelques erreurs d'interprétation.

 

Mais étant donné que dans l'histoire générale couvrant cette triste et noire période, il y a eu des évènements similaires, la marge d'erreurs est faible.

Mais elle existe !

 

Je n'ai donc pas de preuve pour étayer ma conclusion sur le départ des trois moines en catastrophe au petit matin, mais c'est l'explication qui me paraît la plus plausible compte-tenu de l'organisation des maquis en Barousse et Comminges et du contexte autour de la présence des religieux. 

 

Pour revenir aux témoignages, cela a vraiment été un parcours du combattant !

 

Il faut dire qu'avec des personnes qui refusent de parler, qui prétendent ne pas se souvenir et certains allant jusqu'à nier "il n'y a jamais eu d'Allemands ici !", qui évitent les questions en donnant des réponses évasives tout en révélant malgré eux des informations - bien sûr à vérifier et revérifier avec d'autres sources - cela nécessite un véritable courage pour entreprendre ce "chemin de croix de la Mémoire".
 

Lorsque le groupe d'anciens Résistants baroussais m'a proposé de raconter "leur guerre dans les maquis", je n'en croyais pas mes oreilles !

 

Malheureusement, je n'ai pas pensé à leur demander des informations sur les trois "moines blancs", ni même sur la célèbre espionne de Troubat dénoncée par sa femme de ménage, ni sur l'évasion de maquisards par la falaise de Troubat !

 

Par la suite, bien sûr, chacun peut fournir SON interprétation tout en restant dans le champ des possibles. 

les 4 villages choisis en Barousse pour l'inventaire du patrimoine
les 4 villages choisis en Barousse pour l'inventaire du patrimoine
les 4 villages choisis en Barousse pour l'inventaire du patrimoine
les 4 villages choisis en Barousse pour l'inventaire du patrimoine
les 4 villages choisis en Barousse pour l'inventaire du patrimoine

les 4 villages choisis en Barousse pour l'inventaire du patrimoine

 

Cependant, il serait bon de parler de ces trois moines en rappelant tout ce qui a été raconté à leur sujet.

 

Bien sûr, j'en ai entendu parler toute mon enfance. Mais quand j'ai commencé à écrire le passé, mon interlocutrice préférée a été ma mère. Avec elle, il n'y avait pas besoin de vérifier car elle racontait exactement de la même manière que notre voisin Charles dit Charlou : on aurait dit qu'ils faisaient une rédaction car le récit était clair, précis, concis et juste. Chaque détail était examiné. Vous pouviez revenir en arrière, il était redonné exactement de la même manière. Ils suivaient  une chronologie des faits. C'était un plaisir de les écouter, on gagnait du temps.

Bien sûr, de temps en temps, pour quand même vérifier, lorsque je rencontrais un des villageois natifs de Bertren, je posais la question sur ce que j'avais appris et bien entendu, aucun problème, tout était identique.

J'ai toujours évité la Chabraque du village car les seules fois où elle avait bien voulu répondre à mes questions, je me suis demandé si j'étais à Bertren ou bien dans un roman d'aventures épiques duquel elle était le personnage principal.

Charlou étant prisonnier dans l'ancienne Tchécoslovaquie, il ne pouvait me renseigner, j'ai tout simplement réuni tous les récits des dames de Bertren et je les ai confrontés à celui de ma mère.

Tout était cohérent et je n'avais qu'à établir une chronologie de l'histoire. Il suffisait, in fine, de chercher sur internet des renseignements plus spécifiques sur la Résistance en Belgique et sur les décisions de Alliés à Londres. Je parle de l'histoire déjà connue car il faut attendre que toutes les archives soient accessibles.

 

                                                                    ☘🌷🌸🐞

 

"Le premier jour où les trois moines belges sont venus à Bertren rencontrer le maire et le curé Sécail, la population qui avait été avertie de leur projet était aux aguêts. Ceux qui ne travaillaient pas les attendaient et tout le monde était très enthousiaste. 

Ma mère qui se trouvait dans le groupe avec Jean (3 ans) dans les bras et Pierre (sept ans) pas très loin, (les fils des "coloniaux"), ne perdait pas une miette des échanges et observait très attentivement les trois belges.

Ils portaient le costume des Dominicains, ils étaient glabres, leurs cheveux étaient coupés ras et une tonsure bien rose occupait le haut du crâne.

Cependant, quelque chose dans leur apparence clochait. Et cela la rendait mal à l'aise car elle ne savait pas ce que c'était.

Les visages, les attitudes, leur façon de marcher en claudiquant plus ou moins, les pieds nus et en mauvais état dans les sandales de moine... quelque chose n'allait pas...

Oui, mais une fois qu'ils sont sortis du rendez-vous avec le maire et après avoir discuté avec mon père pour la suite des opérations sur le terrain, ils se sont dirigés vers l'église avec Monsieur le Curé très heureux de les recevoir. 

Officiellement, ils devaient célébrer une messe mais sans le public.

Une heure après, une voiture les attendait sur le parvis de l'église devant le Monument aux Morts sans que le chauffeur ne sorte. Les moines prirent congé de l'abbé Sécail et montèrent dans le véhicule qui repartit vers Gembrie aussitôt.

Les dames qui papotaient aux Quatre-Chemins, firent remarquer qu'ils auraient pu, avant de monter dans la voiture, leur faire un signe de la main car ils avaient été bien reçus. On s'en étonna, les religieux, en général, étaient très polis.

Maman réfléchissait beaucoup sur cette visite. Elle en parla avec Madame qui n'était pas présente ce premier jour mais qui promit de bien les observer lorsqu'ils reviendraient.

Monsieur le Curé dans son sermon lors de la messe dominicale, annonça tout joyeux, que les moines viendraient le dimanche suivant célébrer la messe et béniraient le début des travaux. Il remercia les paroissiens qui s'étaient mobilisés en masse pour répondre à leur requête de construction d'une croix au sommet du Mombourg.

La semaine passa et lorsque les moines arrivèrent, ils furent une fois de plus, très bien accueillis. Un peu à l'écart du brouhaba, maman les regardait et constata qu'ils avaient un peu changé physiquement mais en mieux, se dit-elle. 

Elle n'assista pas à la messe mais Madame oui, dans la chapelle de la Vierge à droite du choeur réservée à sa famille. Les Sécail et en particulier Léontine, dernière représentante de la lignée du premier aubergiste du relais au 18ème siècle, avait reçu ce privilège comme principale fondatrice (avec l'évêque Billère) et donatrice lors de la construction de la nouvelle église en 1890.

Lorsqu'elle revint, elle fit le compte-rendu de ses observations à savoir :

- au niveau visage, tout était réglementaire sauf que les trois hommes étaient trop hâlés pour des moines qui étaient censés vivre entre quatre murs. On pourrait dire que leurs traits étaient burinés.

- leurs pieds étaient abîmés, trop de corne grise, des crevasses et les ongles, noirs, n'étaient pas soignés.

- leurs mains étaient, elles aussi calleuses, et les ongles pas très propres.

- il y en avait un qui ne faisait que relever ses manches que ses "frères" rabaissaient aussitôt mais elle avait pu voir que les bras étaient hâlés et très velus.

- Ils ont célébré la messe mais quelque chose avait cloché, c'était le cas de le dire :

* un des trois qui avait le rôle de servant, avait fait à trois reprises le signe de la croix à l'envers et Monsieur le Curé l'avait repris avec un geste de la main.

* Celui qui avait lu l'homélie s'était trompé en la lisant, il butait sur les mots.

* Celui qui avait célébré l'Eucharistie s'était trompé à deux reprises : il a bu la coupe beaucoup trop remplie d'un seul trait et au lieu de s'essuyer la bouche avec l'étoffe dédiée, il l'a fait avec sa manche. Monsieur le Curé lui a fait les gros yeux.

* pour l'hostie, ça s'est à peu près bien passé mais au lieu d'en prendre un petit morceau, il l'a mangée toute entière. Monsieur le Curé a encore fait les gros yeux.

* Ils semblaient empêtrés dans les chasubles et se grattaient souvent le cou.

Maman ne répondit pas mais son opinion était faite : ces trois hommes n'étaient pas des religieux. Elle pensait avoir compris qu'ils s'agissaient de résistants et quand je lui posais la question dans les années 1990 pour raconter l'histoire de la croix, elle me le dit franchement.

"Ces moines blancs n'en n'étaient pas et la construction de la croix pouvait avoir une connotation religieuse officielle pour berner les allemands mais "ça cachait quelque chose""!

Elle ne savait pas ce que c'était.

Quel dommage que je ne m'y suis pas intéréssée quand elle vivait encore ! Elle avait raison. Son récit corroborait avec celui du maire de Barousse cité plus haut et décédé depuis très longtemps à l'époque.

Si on résume l'affaire, les maquis de Barousse, et du Gert en particulier avaient un urgent besoin d'armes, de munitions, de cigarettes et de corned-beef

(maman et Suzanne Lamoure m'avaient dit que ce n'était vraiment pas bon et qu'elles se demandaient comment les Américains pouvaient manger ça, ils avaient de drôles de goûts. J'avais ri jusqu'à ce que j'en mange : mais quelle horreur ! )

d'après les Alliés et les français de Londres. Les deux ou trois larguages en janvier et février 1943 avaient été un fiasco, les armes et les munitions avaient été volées. Il n'y eut pas d'enquête mais une surveillance accrue.

Ce qui porta ses fruits et les suivants ne furent toujours pas plus concluant.

On peut imaginer qu'à Londres, les demandes des maquis des Pyrénées centrales furent écoutées. Un plan a dû être monté très vite.

Il fallait être opérationnel dans ces montagnes escarpées mais hélàs ! cultivées jusqu'à mi-hauteur de leurs pentes !

Il fallait trouver des endroits sûrs pour que les avions puissent voler sans danger et livrer leur cargaison sans que les "mauvais yeux" ne les voient et ne les dénoncent.

La vengeance est un plat qui se mange froid. Il fallait se méfier.

Profitant de la promiscuité des belges et des français dans les Pyrénées, le plan était génial !

Les trois hommes choisis pour cette mission avaient pris soin de leur apparence mais ils avaient oublié leur teint, leurs mains et leurs pieds nus dans les sandales.

Cependant, ma mère, fine observatrice, avait remarqué que tout ce qui clochait dans leur apparence à leur arrivée avait disparu au bout de trois semaines. Après ce laps de temps, on ne pouvait plus douter de leur appartenance à un ordre religieux vu qu'ils étaient devenus des "jolis" garçons bien nets et propres et surtout experts dans la pratique religieuse.

 

                                                                    🌸🌹🦋🍁

 

Même si cette croix a été élevée pour des raisons autres que chrétiennes, elle symbolise quand même la croyance simple d'un petit peuple empreint de bonté, de foi et de reconnaissance.

Bien sûr, il faut rendre hommage à ces trois hommes qui ont dû avoir bien souvent peur d'être découverts même si au bout d'un certain temps, ils ont été capables de célébrer la messe comme des vrais prêtres. 

Ils ont tout donné et ont mené leur mission à son terme.

 

Cependant, une question me taraude : qui les a dénoncés ? 

 

Qui, de Bertren, (1) avait compris après avoir fait les mêmes constatations que ma mère et Madame mais qui a attendu que la croix soit érigée au sommet du Mombourg ?

Pourquoi ? 

C'est cette question qu'il faut se poser pas autre chose et qu'importe que ce soit mon père et Conrado qui l'ont construite, il fallait bien que quelqu'un le fasse. Aucun des deux n'a pensé une seule seconde qu'ils pourraient en tirer des honneurs. Mais pourquoi donc puisque c'était une oeuvre collective ! Ils ont fait ce qu'on leur a demandé en y mettant tout leur coeur, toute leur foi chrétienne et parce que c'était normal.

Et le maire Jean-Marie Labardens a une fois de plus, fait travailler ses ouvriers qui étaient disponibles et qui avaient le soutien, l'estime, la confiance et l'affection de toute la population.

Je me pose, moi, une question : pourquoi tant de colère et tant de haine 82 ans plus tard ? Pourquoi tant de dénigrement ? 

Ne vaut-il pas mieux s'en tenir à la réalité des faits : cette croix est un symbole religieux mais derrière tout cela, se cache une réalité qui est entrée dans la merveilleuse mais néanmoins douloureuse épopée de la libération de la France.

Je pense que c'est de tout cela qu'il faut se rappeller.

Cette croix, c'est tout un "petit peuple" des montagnes qui l'a érigée, ensemble, parce que en ces temps troublés, ils étaient unis comme jamais. Et leur foi les portait. Une foi toute simple tournée vers le sort des hommes prisonniers là-bas, en Allemagne, en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Autriche, pour qu'ils reviennent vite.

Que de prières murmurées, que de chapelets égrennés pour que la guerre se termine et pour la victoire des Alliés !

Bien sûr, quelqu'un a trahi les trois pseudo moines mais enfin, qu'importe, ils ont pu s'enfuir. Et personne n'a été arrêté au village.

Et puis quelle belle balade ! un jour de soleil, le spectacle là-haut est magnifique. Devant la beauté du monde, on peut se recueillir, méditer, prier si on en ressent le besoin mais ça vaut le coup.... d'oublier l'ombre triste des jours et d'être bien ne serait-ce qu'un moment.

C'est tout ce qui compte.

 

Jackie Mansas Cinotti

28 février 2025

 

NOTES

1-  je pose la question mais vu ce qu'il s'est passé à la Libération, en août 1944, je n'ai aucun doute sur l'identité de cette personne. Ce qui me laisse perplexe c'est : pourquoi cette personne a-t-elle attendu la pose de la croix pour dénoncer ? Osons une explication : si la dénonciation avant la construction avait débouché sur des arrestations et des départs vers les camps de concentration, voire plus grave, cette personne aurait plus que sûrement eu un sort peu enviable. A la fin de l'aventure, cette personne résidant dans le coeur du village et de ce fait pouvant tout voir et tout entendre ne risquait plus rien. Mais bien sûr, les gendarmes de Loures-Barousse conscients que cette personne (et surtout aussi son protecteur commingeois ami très cher des Allemands à qui il faisait son rapport) était dangereuse, avaient tout prévu pour protéger et sauver tout le monde. C'est là que le mot magique de solidarité prend tout son sens.

 

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