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Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...


Sous l'occupation en Barousse... 2

Publié par Jackie Mansas sur 22 Septembre 2017, 13:41pm

Catégories : #Culture et société pyénéennes

Le col du Peyresourde. La spécialité bigourdane et baroussaise : le haricot tarbais
Le col du Peyresourde. La spécialité bigourdane et baroussaise : le haricot tarbais

Le col du Peyresourde. La spécialité bigourdane et baroussaise : le haricot tarbais

Octobre 1943

 

 

Le premier mois de l’automne voyait déjà dans la montagne quelques arbres qui commençaient à jaunir. On sentait la fin de l’été et des vacances.

 

En ce vendredi 1er octobre 1943, le soleil brillait et il faisait chaud. Les champs s’étaient parés de la douce couleur brune du sarrasin que les agriculteurs allaient bientôt moissonner. Les vignes étaient vendangées et les feuilles commençaient à prendre de bonnes couleurs rouges. On avait entrepris de récolter les noix et les châtaignes que l’on grillait le soir dans la « padène » trouée posée sur le trépied du foyer de la cheminée durant la veillée. On buvait le vin nouveau, la « piquette », très peu alcoolisé et un peu aigrelet tout en écrasant dans le creux de ses mains la peau noircie de la châtaigne. Et puis on mangeait à petites bouchées pour savourer le goût du fruit mélangé à celui de la flamme qui l’avait cuit. On variait les plaisirs en dégustant les premiers cidres pressés clandestinement dans le fond d’une grange loin des regards importuns.

 

On allait bientôt ramasser le maïs, vers la Toussaint, mais on commençait à cueillir les haricots blancs Tarbais qui étaient réputés, avant la guerre, pour leur goût fondant. Les restaurateurs de Loures-Barousse, la ville voisine, en achetaient par dizaines de kilos pour les cuisiner durant la saison. Ah ! « La pistache » préparée avec du collier d’agneau et un os de jambon ! Un régal ! Dans certaines vallées, on y ajoutait de la saucisse. Il fallait juste faire tremper les haricots une nuit avant de les blanchir légèrement dans une première eau que l’on jetait ensuite dans la chaudière du cochon. Elle était indigeste mais les porcs s’en accommodaient. Ensuite, on pouvait les cuisiner vraiment. On les appelait avec humour « les musiciens du Larboust ». Pourquoi justement du Larboust, cette vallée nichée au creux des Pyrénées et traversée par le fameux port de Peyresourde ? On ne savait pas, l’expression était aussi ancienne que la culture de ce légume savoureux, sans doute lancée par un joyeux luron qui avait une dent contre les larboustais : une fille « volée » ? Un agneau dérobé ? Un marché perdu ? Des musiciens peu doués ? Un bal raté ? Un malheureux éconduit par une jolie fille ? La tradition n’avait pas gardé le souvenir de l'inspiration moqueuse de l’heureux lascar qui n’avait pas hésité à rabaisser ses voisins à ce niveau venteux.

 

Mais comme le haricot était un légume de base, les paysans qui cachaient la plus grande partie de la récolte pour la soustraire aux réquisiteurs, en mangeaient très souvent. Ce qui donnait de cocasses discussions lorsque les plats avaient été préparés trop vite. Certaines ménagères, pour éviter les désagréments, les cuisinaient avec une branche de céleri mais cela ne plaisait pas à tout le monde et les plaisanteries continuaient leur bonhomme de chemin comme avant la guerre où le rire permanent était de rigueur.

 

Personne n’ayant dit aux Allemands à leur arrivée en 1940, comment on pouvait éviter les problèmes générés par les haricots tarbais, les cuisinières françaises s’en donnaient à cœur joie pour préparer les plats sans les précautions élémentaires et tout le monde savait quand les « Boches », comme on les appelait, en avaient dégusté. C’étaient alors de franches rigolades. Les plus grivois disaient que « les musiciens du Larboust avaient encore sonné » et les plus délicats se bouchaient ostensiblement le nez en murmurant en aparté : « ils pourraient mettre un bouchon et repartir en Allemagne » !

 

Joseph, le frère aîné de ma maman Marcelle, qui participait à la Résistance, lui avait affirmé qu’ils avaient, ces jours-là, l’odeur de leurs idées ! Il faut dire qu’il était un fervent Rouge - très catholique en plus - mais comme il n'avait pas la nationalité française, il ne pouvait s’exprimer librement. Chacun s’ingéniait à combattre à sa manière et se moquer des nazis en les rendant ridicules était, pour eux, une forme de résistance.

 

Mais bien évidemment, après quelques temps passés à déguster ce savoureux légume sans préparation nocturne et ayant appris que "l'on" s'était moqué d'eux, ils menacèrent les cuisiniers et cuisinières des pires représailles et les haricots trempèrent comme par miracle toute une nuit dans l'eau... Mais, mais, comme de temps en temps on en oubliait dans un coin caché des buffets, les gourmets continuèrent à se pourlécher les babines et à faire rigoler les "occupés" comme les habitants se qualifiaient eux-mêmes !

 

Malgré la présence angoissante des Allemands, chacun vivait selon les règles du travail de la terre. La peur était omniprésente, les "occupants" ne se faisant jamais oublier. La photo du maréchal Pétain trônait en bonne place dans les mairies mais à Bertren, le premier magistrat, Jean-Marie Labardens, ne lui jetait jamais un regard. Il s’appliquait à faire respecter la loi et les décisions du gouvernement de Vichy, ce qui satisfaisait le commandant SS de la Gestapo (SS-Sturmbanführer) Cou de Cigogne (1), lors de ses visites durant lesquelles il ne manquait pas de lui rappeler que les nazis étaient les maîtres et qu’il fallait obéir.

 

Le maire encourageait secrètement ses administrés à résister aux réquisiteurs sans heurter qui que ce soit.

 

La République avait disparu mais, pour la perpétuer dans la mémoire, il pensait que l’enseignement était extrêmement important. Il s’agissait d’un droit fondamental acquis de longue lutte et il devait perdurer. L’instituteur qui était également le secrétaire de Mairie, savait pouvoir compter sur lui à chaque rentrée de classe dont la date était fixée depuis 1891 au 1er octobre. En cette année 1943, elle tombait un vendredi et l’effervescence dans les familles pourvues d’enfants en âge d’aller à l’école était fort grande.

 

 

Dès février 1944 (2)

 

 

Pour les maréchalistes, la guerre en Italie présageait des mauvais moments et un manque à gagner si à plus où moins longue échéance, les Allemands étaient chassés de France. Ce n’est pas qu’ils manquaient de patriotisme murmuraient-ils mais ils pensaient avant tout à leur portefeuille.

 

Bien sûr, ils voulaient que la France soit dirigée par un président de la République régulièrement élu et un gouvernement légitime, mais bon, la collaboration avait du bon tout de même.

 

Certains au village souhaitaient un retour de la monarchie avec le comte de Paris comme souverain. Néanmoins ils savaient que les Français n’en voulaient pas. Pourtant comme la situation serait plus simple ! On reviendrait au bon vieux temps avec son cortège de privilèges ! Quoique, avec la République, on n’était pas si mal à ce niveau, il suffisait de se glisser au bon endroit au bon moment. Mais ce n’était pas pareil, on n’avait pas l’admiration et la soumission du petit peuple. Surtout depuis le Front Populaire ! Ah ! Ce Léon Blum ! Ses détracteurs étaient convaincus qu’il méritait le sort que Pétain lui avait réservé.

 

Au début mars 1944, une réunion fut organisée par les collaborateurs les plus notoires à l’Hôtel de France de Loures-Barousse où les SS avaient leurs quartiers. Ils ne se mêlèrent pas de la discussion mais tout le monde comprit qu’ils en auraient le compte-rendu plus tard.

 

Le médecin du lieu, un homme au physique imposant et au verbe haut, avait une fois de plus décliné l’invitation. Officiellement, ce n’était pas qu’il dédaignait de passer une soirée avec les gens de son milieu mais cette fois-ci, il avait un accouchement qui ne se présentait pas très bien et il fallait qu’il soit avec la future maman jusqu’au bout. Il ne savait pas combien de temps le travail allait durer. Il était parti vers 8 heures du soir en faisant pétarader sa moto pour qu’on l’entende bien.

 

Il n’avait pas véritablement menti car la jeune femme arrivait à son terme. Il était chez elle deux jours auparavant pour soigner son mari qu’une vache avait blessé et remarquant sa fatigue lui avait "conseillé" à sa manière abrupte :

 

- Ecoute, ma fille, tu vas te dépêcher de pondre après-demain à partir de 8 heures du soir car j’ai une réunion avec des cons et je n’ai pas envie d’aller m’emmerder durant toute la soirée !

 

Elle lui avait répondu en riant :

 

- Si c’est une fille, elle vous écoutera, par contre si c’est un garçon et qu’il ressemble à son père, ce n’est pas gagné d’avance !

 

Les jours suivants, on apprit qu’une petite fille était venue au monde vers dix heures le fameux soir, que l’accouchement avait été pénible et long mais que le docteur était présent du début à la fin. Un vrai médecin comme on les aimait… Surtout qu’il se murmurait qu’il aidait à sauver les Juifs en leur permettant de fuir en Espagne mais on évitait d’en parler, il ne fallait surtout pas que les « boches » l’apprennent. Les responsables français savaient car il les mettait parfois à contribution pour bien s’assurer de leur silence. On ne pouvait rien lui refuser. Il profitait allègrement des privilèges dus à sa fonction pour mener à bien sa mission. Et les autres, en bons opportunistes, servaient les deux camps en cas que...

 

 

La réunion

 

 

Dans le salon feutré, très Belle Epoque, les hommes de la bonne société locale débâtirent durant deux heures. Il s’agissait de mettre au point les relations des personnes influentes avec la Résistance locale et avec les agriculteurs qui étaient de plus en plus agressifs lorsque les réquisiteurs se présentaient. On pouvait craindre quelques vengeances car les effectifs qui composaient le maquis grandissaient de jour en jour. Le président de séance avoua qu’il ne sortait plus qu’en étant accompagné par deux gendarmes lors des tournées.

 

Un homme prit la parole vers la fin de la discussion pour se plaindre des étrangers. Un murmure approbateur accueillit ses propos : il était vrai que depuis les années 20, on ne se sentait vraiment plus chez soi. On en était arrivé à ce que les enfants des immigrés ayant grandi, fréquentaient désormais les jeunes français en vue d’unions plus que douteuses. Quels produits cela allait-il donner ? Est-ce que les rejetons seraient normaux ? Est-ce qu'ils seraient tous "rouges" ?

 

Un riche propriétaire leur répliqua que les immigrés étaient utiles parce qu’ils travaillaient sans rien dire et ne réclamaient pas les congés payés accordés par le Front Populaire ! Et on n’était pas obligé de leur appliquer la loi des quarante heures hebdomadaires ! Ils ne demandaient rien car ils ne connaissaient rien à la France. Ce n’était que salutaire pour les finances de tous ceux qui en employaient. Le président acquiesça et demanda à son interlocuteur pourquoi il avait une telle répulsion envers les étrangers. L’homme répondit que si on laissait entrer en France toute la lie de l’Europe, un jour on agirait de même avec les Africains et les Asiatiques et alors, bientôt, le pays serait gouverné par eux ! Là, l’assistance poussa un cri d’effroi et tout le monde se mit à parler en même temps." Vous vous rendez compte de l'horreur qui en suivrait : un métissage, la France serait peuplée de métis ! Ce n'était pas possible, il fallait empêcher cela !". Le président fit revenir le calme rapidement et déclara avec une autorité très convaincante avant de clore la séance :

 

- Cela n’arrivera pas ! Les Africains et les Asiatiques sont des indigènes qui n’ont aucun droit ! Les colonies existent pour une excellente raison : ils ont besoin de nous chez eux pour se civiliser et nous ne permettrons jamais à quiconque de venir envahir la France ! Nous sommes les maîtres et les inférieurs doivent nous obéir ! Rassurez-vous sur ce point et concentrez-vous sur l’avenir immédiat : nous devons continuer à soutenir le maréchal mais nous prémunir en cas de victoire des Alliés et du général de Gaulle. Devenez dès demain des gaullistes fervents obligés d’obéir aux Allemands mais faites-le en douceur et sans heurter nos dirigeants. Il ne faut pas qu’ils se doutent de quoi que ce soit. Ils doivent croire en notre fidélité… sincère même si ce n’est pas tout à fait vrai ! La séance est levée !

 

Ils se retrouvèrent tous au bar. Le serveur allait de l’un à l’autre cauteleux et servile. Mais en même temps, il enregistrait tout ce qui se disait. Il connaissait les noms des participants et sans en avoir l’air les observait attentivement. Il se sentait toutefois nauséeux car il avait écouté les débats et pour avoir pas mal bourlingué aux quatre coins du monde, il était convaincu que tous les hommes se valaient sur la Terre. Quand il était à Paris, il militait dans les cercles anticolonialistes. Et ce qu’il avait entendu le révoltait. Demain, avant de reprendre son service, il ferait son rapport à la Résistance sans omettre aucun détail.

 

 

A suivre

Jackie Mansas

le 12 juin 2016

 

 

1 - je ne connais pas son nom

 

2 - ce récit m'a été fait en deux temps :

 

- en 1981, la maman de la petite fille m'a raconté avec malice son accouchement précipité (pas du tout difficile, le bébé était arrivé selon son expression "comme une lettre à la Poste vers 9 h 30 du soir !) pour "faire plaisir" au médecin ! A plusieurs reprises, ils avaient caché des résistants et des Juifs à sa demande. Ils n'étaient pas de Barousse et m'ont demandé de ne jamais divulguer leur nom car personne ne savait. J'obéis mais ils mériteraient le titre de Justes parmi les Nations pour que la Mémoire ne s'oublie jamais et pour l'exemple, ils sont partis tous les deux à quelques mois d'intervalle dans les années 90. Et leur fille a vendu la propriété.

 

- pour la réunion, c'est tout simplement le serveur qui m'a narré - entre autres choses, mais je vous assure que ça sert d'être archi-bavarde, ce que beaucoup de personnes me reprochent mais bon je n'en ai cure du moment que je peux apprendre dans tous les domaines ! vous verrez par la suite, à quel point mes parents et sans doute d'autres personnes, m'ont qualifiée de "casse-pieds" et comme ils ont pu rire le jour où j'ai eu une laryngite... - cette soirée où les participants ont été "atroces" (son expression) sur les immigrés et les "indigènes" ! Il était tout simplement venu faire la cure aux thermes de Barbazan lorsque j'y ai travaillé en 1972 et 1973 et il m'a confié pas mal d'anecdotes qui me font voir - maintenant - les gens qui m'entourent ou qui m'ont entouré d'un autre œil ! Sans doute plus réaliste et plus logique....

 

photo du col de Peyresourde : http://www.france-voyage.com/photos/

photo des haricots tarbais : sur un site de production bigourdan

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S
Bjr Jackie et bravo<br /> cela fait plus de deux heures que je suis sur ton sites à lire ces récits passionnants.<br /> c 'est gilles qui m a parlé de l 'existence de ce cite aujourd'hui.<br /> continue et le bonjour à tous.<br /> <br /> alain
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J
Bonjour Alain, quel plaisir de te lire, je te remercie de tes encouragements et j'espère que tu retrouves ton "pays" dans mes récits ! Si tu as une idée de raconter tes souvenirs, n'hésites pas ! Bisous à toi aussi et à ta famille.
S
Bonjour Jackie et bravo.<br /> cela fait deux heures que je suis sur ton site et que je lie ces récits passionnants.<br /> C'est Gilles qui m 'a dit aujourd'hui l'existence de ce site.<br /> continue.<br /> grosses bises à la famille.
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O
Et ça continue, encore et encore.... (comme dit si bien Francis Cabrel). Pourquoi tant de "haine" envers ceux qui ne sont pas comme nous (nationalité, physique, religion, rang social, etc, etc ) ? Immigrés ou pas, ne sommes-nous pas tous enfants de Dieu ? C'est à se demander si en se retranchant derrière une quelconque religion, nos instincts les plus primitifs voient le jour. A cette époque, les "français" avaient peur des immigrés (espagnols et italiens surtout) et maintenant ce sont les arabes qui sont leur cible. Cela ne changera donc jamais. Il faut toujours un bouc émissaire. Espérons qu'un jour il en soit autrement. Il est permis de rêver.....
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J
Merci Othello de vous intéresser à mes petits récits et à laisser des commentaires, nous sommes vraiment sur la même longueur d'ondes et je suis super contente. D'accord, tout à fait d'accord avec vous. Merci et bonne nuit à vous et bonne journée demain !

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