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Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...


Les élections municipales après la Libération. 2

Publié par Jackie Mansas sur 4 Janvier 2017, 09:21am

Catégories : #Culture et société pyénéennes

Dans la cour du bistrot, aux Quatre-Chemins, Monsieur et Madame Castex debout à gauche, ma tante Fernande, Conrad Badia ; au premier rang mon père qui tient ma soeur, moi et Yvette Vaqué . Au fond, la façade de l'ancien relais de Poste, Mme Mondon est à la fenêtre. ; Vue aérienne de l'hospice.
Dans la cour du bistrot, aux Quatre-Chemins, Monsieur et Madame Castex debout à gauche, ma tante Fernande, Conrad Badia ; au premier rang mon père qui tient ma soeur, moi et Yvette Vaqué . Au fond, la façade de l'ancien relais de Poste, Mme Mondon est à la fenêtre. ; Vue aérienne de l'hospice.

Dans la cour du bistrot, aux Quatre-Chemins, Monsieur et Madame Castex debout à gauche, ma tante Fernande, Conrad Badia ; au premier rang mon père qui tient ma soeur, moi et Yvette Vaqué . Au fond, la façade de l'ancien relais de Poste, Mme Mondon est à la fenêtre. ; Vue aérienne de l'hospice.


Les élections municipales de 1947.

 

Le 23 août, j'arrive en ce monde et huit jours après maman et moi nous rentrons de la maternité de Saint-Gaudens. Je suis une fille et donc aucune sonnerie de cloches bien entendu, seul l'héritier, c'est-à-dire, le garçon, mais seulement l'aîné, a droit à cet honneur quelque soit son ordre d'arrivée dans la fratrie !

 

Cependant, en attendant les voisines qui vont venir me visiter pour donner leur avis, elle monte me présenter à Mr et Mme Castex, au bistrot.

 

Joséphine est toute seule dans la salle du café occupée à servir une fillette Micheline, 12 ans, envoyée par sa grand-mère pour quelques emplettes à l'épicerie (1). Bien évidemment, vous le devinez, je suis tout d'un coup, l'objet de toutes les attentions et la fillette s'étonne de me voir si petite ! Il faut dire qu'au village trois garçons sont nés, deux en 1946 et le troisième en mai 1947, plutôt potelés de partout, voire très costauds !  Des vrais durs en perspective...

Joséphine la rassure vite : les filles sont toujours plus petites et plus menues que les garçons : c'est la Nature qui veut ça.

 

Et ça bavarde, et ça s'extasie et que l'on cherche à qui je ressemble... comme tout le monde fait depuis la nuit des temps avec les bébés qui viennent de naître !

 

Le conflit avec les religieuses.

 

Le maire Jean Castex, très occupé à cause des élections municipales qui devaient se dérouler les 19 et 26 octobre prochains, se trouvait donc à débattre à la mairie et averti dès son retour au bistrot, vint féliciter la jeune maman. Il le fit très chaleureusement et lui parla des futures élections.

 

Le conflit avec les religieuses de l’Hospice le minait, il craignait que le village prenne partie pour elles et que sa nouvelle liste ne passe pas. En effet, une autre d'opposition avait été constituée avec à sa tête Mr Jarret, huissier à la retraite et Nez de Couteau qui sentant le vent tourner avait reprit espoir. Tous les habitants jugés réactionnaires par la gauche du village s’étaient regroupés autour d’eux, à la demande expresse des Sœurs qui étaient parties en guerre contre cette municipalité soupçonnée de faire de la propagande contre l’Eglise dans le but de bolchéviser la France.

 

L’effroi était grand et le départ du Général de Gaulle du gouvernement, en pleine guerre froide, le 20 janvier 1946 avait provoqué une vague d’inquiétude dans toute la France. A Bertren, les conservateurs s’étaient dressés contre les « bolcheviks » accusés de vouloir instaurer dans le pays un régime comparable à celui de l’Union Soviétique et ainsi de permettre à Staline de présider la nation en supprimant la IVème République.

 

La preuve était évidente : il y avait des députés communistes à l’Assemblée Constituante depuis la Libération et Ramadier les avaient chassés de son gouvernement le 5 mai 47. Il n’y avait pas de fumée sans feu, c’était louche, il y avait un complot, c’était sûr et certain !

 

Les « bolcheviks » rétorquaient que le Général de Gaulle avait démissionné de lui-même, personne ne l’avait mis dehors, il n’avait pas accepté que les députés de l’Assemblée Constituante ne soient pas d’accord avec lui. « Moussu le Général s’était vexé ! ». Et puis, il avait fondé son propre parti le « Rassemblement du Peuple Français » le 7 avril dernier alors que demandaient les réactionnaires ? Ils n’avaient qu’à voter pour lui !

 

Les discussions voire les disputes allaient bon train.

 

La droite monarchiste et ultra conservatrice de Bertren se réjouissait car les communistes, jusqu’alors premier parti de France, se trouvaient isolés et il ne faisait pas de doute qu’ils perdraient les élections municipales prochaines.

Maman n’avait pas bien suivi la querelle entre la municipalité et les religieuses. Elle savait que ces dames étaient fort en colère et comme elles faisaient la pluie et le beau temps au village, « l’affaire » avait fini par un affrontement radical. Jean Castex se fit un plaisir de la lui expliquer.

 

- Marcelle, vous vous doutez bien que je n’ai jamais voulu empêcher l’Eglise de pratiquer le culte catholique bien que je ne sois pas un pilier de sacristie ! Chacun fait ce qu’il veut et comme il le veut. Mais la loi de 1905 a prononcé la séparation des Eglises et de l’Etat et je m’y tiens.

 

En fait notre cimetière est trop petit et la population du village a augmenté depuis l’ouverture de l’Hospice après la Grande Guerre ; je n’y peux rien. Monsieur Labardens à qui j’ai succédé et même votre beau-père qui était maire à l’époque auraient dû prévoir ce fait et agrandir le cimetière car où voulez-vous, actuellement, que l’on enterre les indigents de l’Hospice ? Je n’ai plus de fosse commune, tout en haut à côté de la croix.

 

Tout le terrain est occupé en son centre par les caveaux des bourgeois et tout autour par les tombes des familles du village. Votre beau-père avait dévolu le carré de la croix pour ces pauvres gens mais en 1945, quand j’ai pris la mairie, il était saturé. Depuis 1920, on les enterrait à même la terre sans cercueil, rien qu’avec un linceul comme autrefois, dans la plus complète discrétion.

 

J’ai trouvé cela indigne pour eux et j’ai refusé de nouvelles inhumations tant que l’on n’a pas agrandi le cimetière. Alors ces dames « à cornette », on dirait des oiseaux de proie, ont clapi tout azimut ! Je leur ai déplu car voyez-vous, elles n’ont pas accepté l’idée que ces pauvres gens étaient des hommes dignes ! Je ne comprendrais jamais les religieux, ils devraient montrer l’exemple !

 

L’homme s’emportait, ses convictions anticléricales qu’il essayait de cacher pour ne pas heurter les villageois et risquer de perdre des voix, étaient à ce moment les plus fortes. Il fallait qu’il les fasse entendre. Maman essaya de le calmer :

- Vous savez Monsieur Castex, je crois qu’en fait ils sont comme nous, de simples humains avec leurs qualités et leurs défauts et la religion ne rend ni bon ni mauvais, on est comme on est. Et alors, que s’est-il passé ?

- Et bien elles ont été obligées de se débrouiller et elles ont - paraît-il, mais personne n'a pu vérifier car cette pratique est interdite par la loi et comment pourrais-je le savoir puisque je n'ai aucune autorité pour le faire - enterré les morts dans le parc de l’hospice ! Toujours de la même façon, sans cercueil car il n’y a personne pour payer, dans un linceul.

 

Elle le regarda, effarée : comment pouvait-on inhumer des humains à même la terre, sans la protection respectueuse du cercueil ? Mais était-ce vrai ou bien était-ce une rumeur lancée par les Bolchevicks ? En périodes d'élection, malheureusement, tout le monde ou à peu près, ne se gênait pas pour lancer des bobards qui discréditeraient les adversaires !

Le maire, après un bref moment de silence, reprit :

 

- Je sais bien que les morts doivent reposer dans un cimetière qui est une terre consacrée et pour cela, je projette d’acheter la parcelle qui se trouve devant l’entrée pour l'accroître. La partie sud, contre le mur, leur sera réservée mais elles sont folles de colère contre moi. Rien ne pourra les arrêter. Pour acheter cette parcelle et l’emménager, il faut de l’argent et croyez-moi, il n’y en a pas dans les caisses de la commune, nous devons attendre que la situation en France soit bien rétablie pour que les rouages administratifs se remettent en route. Elles ne comprennent pas. Elles n’avaient qu’à les inhumer à la Maison Mère de leur Congrégation, là il y a de la place, mais elles ne veulent rien entendre.

 

Disputes, réconciliations et les religieuses au milieu pour faire gagner leur parti !

 

La tension montait au village au fur et à mesure que l’on approchait du premier tour des municipales du 19 octobre. Les deux camps s’opposaient parfois très violemment. Les ouvriers de Labardens étaient rentrés et avaient repris leurs activités hivernales sur les chantiers de la SNCF et au four à chaux de l’entreprise.

Une preuve de parfaite intégration fit plaisir à tout le monde : Angel Gallina postula pour un poste de cantonnier aux Ponts et Chaussées de Loures et il fut embauché ! Ses parents furent soulagés et fiers : un de leurs enfants était désormais fonctionnaire ! Il fut félicité et congratulé et il paya quelques tournées pour fêter l'événement.

 

Mon père passait tous les débuts de soirée à jouer aux cartes au bistrot où les discussions allaient bon train, comme cela, il se tenait au courant sans participer à aucune discussion, il écoutait c'est tout et jouait à la belote en compagnie d'Osmin et ils gagnaient, gagnaient... n'est-ce-pas ! Comme toujours... Ce qui déplaisait au plus haut point à maman qui ne comprenait pas ces pratiques jugées par elle, bêtes et totalement inintéressantes car cela servait à quoi, je vous le demande de tricher pour gagner ? Et puis, la place d'un mari était avec sa femme et son enfant !

Oui, bon, pour faire comprendre une telle avancée philosophique aux hommes, ce n'était pas gagné d'avance !

 

Les « bolcheviks » se réunissaient là et les « Cornettes » dans l’autre bistrot où les propriétaires Bertrand et Françoise Vignolle les haranguaient quotidiennement. N de C ne connaissait plus que la moitié des informations sur le village et il accueillit avec joie le retour de son espion favori à qui il expliqua le rôle qu’il devait jouer dans la campagne électorale à venir. L’homme fut heureux de reprendre les activités illicites dans lesquelles il excellait. 

 

Il prit donc ses quartiers au bistrot Castex se saoulant avec délectation. Pour continuer à boire, il sortait se faire vomir de temps en temps. Malgré les brumes qui obscurcissaient son cerveau, il retenait toutes les conversations et le lendemain il faisait son rapport. N de C jubilait : la droite allait gagner les élections ! Le pauvre Mr Jarret ne faisait pas le poids : c’est lui et lui seul qui dirigerait la commune sans en être le maire, ce qui était un grand avantage car en cas de conflit avec la population, le premier magistrat et uniquement lui recevrait les critiques.

Tout allait pour le mieux, à partir du 20 octobre, sa curiosité malsaine serait satisfaite : il connaîtrait tout des histoires de chacun ! Il aurait les mains libres pour mettre dans sa poche les mécontents - qui se  transformeraient vite en délateurs zélés - pour contrôler totalement la population. Ils avaient été tous à bonne école durant la guerre.

La belle vie, quoi...

 

En ce mois d’octobre 1947, la politique était omniprésente.

 

Les religieuses ne ménageaient pas leurs efforts, visitant chaque famille du village même les « bolcheviques » et elles expliquaient que le redressement de la France ne pouvait se faire que si le Général de Gaulle revenait au pouvoir. Il fallait chasser les communistes qui offensaient Dieu. Les femmes étaient effrayées : offenser Dieu mais c’était finir en Enfer !

Devant les religieuses, parce qu’une fois qu'elles avaient disparu de leurs horizons, celles de gauche marmonnaient qu’elles ne feraient que ce qu’elles voudraient. Les plus délurées affirmaient qu’il fallait qu’en urgence ces braves femmes « ailées » voient le loup au moins une fois ! Les hommes leur répondaient qu’ils se portaient volontaires ! Des vierges vous vous rendez compte : ils étaient preneurs.

Joséphine Castex menait une campagne offensive pour son mari ne lésinant pas sur les canons de vin gratuits.

 

Le jour du premier tour du scrutin.

 

L’atmosphère fut tendue dans la salle de la mairie toute la journée du 19 octobre. Les deux camps s’observaient, rêvant d’en découdre.

 

Bien évidemment, mes parents, je le suppose car ils étaient très secrets dans ce domaine de leur vie privée, votèrent pour la liste Castex. Il y eut un incident en fin d’après-midi lorsque mon père, encouragé par ses copains tout aussi pompettes que lui, menaça de partir avec l’urne pour empêcher les « cornettes » de gagner ! Il se précipita vers la table mais les musclés de l’autre camp eurent tôt fait de le mettre dehors. Ses copains essayèrent de résister mais prirent le même chemin. Jean Castex n’apprécia pas l’action de cette bande de crétins qui donnait du grain à moudre à la droite : « La gauche ne pensait qu’à donner des coups. C’était honteux ! ».

Ma mère crut mourir de honte. Cela ne se faisait pas de se donner en spectacle. Il fallait en toutes circonstances garder sa dignité. Elle ne manqua pas de sermonner son mari lorsqu’ils furent rentrés chez eux. Qu'est-ce qu'il a dû prendre ! Elle ne mâchait jamais ses mots et quand elle avait envie de dire ce qu'elle pensait vraiment, elle savait à merveille dérouler son argumentation !

 

Bien évidemment, la liste sortante fut battue et huée par les vainqueurs et leurs supporters. Jean Castex annonça les résultats et déclara qu’il remettrait les clés de la mairie au nouveau conseil municipal dans les plus brefs délais. Il leur souhaita bonne chance. Le café Vignolle retentit des chants pyrénéens très tard dans la nuit.

 

Les épouses furent obligées de ramener leurs maris à la maison… Certaines vinrent avec leurs brouettes accompagnées par les vaincus devenus opposants, pour transporter sans précaution et avec force cris les ivrognes d’un soir complètement imbibés qui riaient bêtement. Comme ils étaient lourds, il y eut de nombreux arrêts et quelques engueulades. Les femmes gourmandaient leurs hommes et leur hurlaient dans les oreilles de se tenir tranquille. On entendait de bégayantes suppliques : « Mais ma biche, ne te mets pas en colère, je te jure que je n’ai bu que de l’eau ! ». De retentissants « connards » les faisaient taire. Le lendemain, elles les traitèrent de va-nu-pieds et d’imbéciles malgré les gueules de bois féroces qui leur faisaient face et prirent un malin plaisir à crier alors que leurs moitiés souffraient d’épouvantables migraines.

 

Le RPF fut le grand gagnant des élections dans toute la France. Le PCF se maintint dans les cités ouvrières. Les religieuses ne cachèrent pas leur joie : elles allaient pouvoir enterrer leurs morts dans le cimetière, Mr Jarret l’avait promis. Il n’avait eu aucun mal pour le faire car il savait qu’il trouverait le dossier de l’agrandissement de ce lieu symbolique. Il n’aurait qu’à le mener à bien tout en faisant croire aux habitants qu’il en était l’auteur. C’était une affaire rondement menée !

A suivre

 

Jackie Mansas

3 janvier 2017

 

1 - Micheline Baron Longépé.

Ma mère et les dames m'ont raconté cette période. Pour tout ce qui est relatif aux religieuses et au cimetière, Roger Soulé, Paul Forment et ses deux fils ainsi que Conrad Badia.

 

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