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Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...


Les élections municipales après la Libération. 3

Publié par Jackie Mansas sur 6 Janvier 2017, 09:30am

Catégories : #Culture et société pyénéennes

Marianne ; rentrée des classes octobre 1952... si vous comptez il y en a 10 et les trois autres sont cachés devant...
Marianne ; rentrée des classes octobre 1952... si vous comptez il y en a 10 et les trois autres sont cachés devant...

Marianne ; rentrée des classes octobre 1952... si vous comptez il y en a 10 et les trois autres sont cachés devant...

Six ans après : avril 1953.

 

A partir du mois de février 1953, Bertren entra en effervescence : le bistrot Castex devint le centre du monde où on le refaisait allègrement. Les Cornettes et les Bolcheviks s’invectivaient à nouveau dans la plus joyeuse cacophonie. On se traitait de tout. Joséphine menait les partisans de son mari à la baguette, chacun racontait ce qu’elle voulait qu’il dise car la réélection de Jean qui avait composé une liste de choc était indispensable…

 

« Bertren ne pouvait continuer à vivre avec une municipalité de droite qui ne pensait qu’à dresser les gens les uns contre les autres. Il fallait donc changer de maire. Jarret était un « sous-maire » que sa femme commandait, il obéissait à tout ce qu’elle voulait, prenait comme vérité tout ce qu’elle disait et cela ne pouvait que mener le village à la ruine. Il n’avait rien fait de bon en six ans de pouvoir et (Nez de Couteau) ne valait pas mieux ».

 

Les candidats ne manquaient pas une seule réunion, ils voulaient être élus et ne ménageaient pas leurs efforts. Une table leur était réservée d’office et tous les soirs, avant et après le repas, ces hommes passionnés tentaient de convaincre les récalcitrants.

 

Jean Castex avait essayé de composer au mieux avec toutes les tendances politiques et avec les quartiers. Il fallait que chacun soit représenté, sauf bien entendu celui du Vignaou tout dévoué aux Cornettes. Il avait également voulu mêler des hommes célibataires et d’autres mariés, avec ou sans enfants et pour la première fois, deux français d’origine étrangère. Il pensait, non sans raison, que toutes les communautés devaient être représentées.

 

Il était un homme doté d’un esprit d’analyse hors du commun. Il savait parfaitement que "Monsieur" voulait prendre la mairie dès qu’il serait à la retraite pour « mater » le village qui votait trop à gauche. Il avait mené toute sa carrière dans l’étude d’un notaire et pour lui, comprendre ce qui se passait dans l’esprit d’un être humain était un jeu d’enfant. Et là, soudain, il avait un sombre pressentiment : cet homme affable et condescendant qui jouait au seigneur avait une idée derrière la tête. Mais laquelle ? Là était le mystère car l’homme était habitué à garder les secrets et à jouer au chat et à la souris dans l’ombre. Sans doute saurait-t’il manipuler les âmes faibles et impressionnées par la richesse, synonyme de pouvoir et de puissance, pour arriver à ses fins. « Pourvu que personne n’en pâtisse », se disait-il… car la haine peut mener à la mort.

 

Il avait fait le choix de ses colistiers après mûres réflexions sur les convictions politiques, l’emploi et la situation de famille. Il y avait donc en comptant le futur maire Jean Castex, quatre socialistes se disant radicaux quand l'air du temps le conseillait !

Trois communistes purs et durs, aucune contestation possible et quatre socialo-communistes-radicaux qui ne savaient pas eux-mêmes où ils se situaient, c’était selon le vent !

Il avait réussi également à rallier à sa cause – sans trop de mal vu le nombre incroyable de canons et de chopines distribués gratuitement – les familles nombreuses du village.

On se serait cru dans une ruche tellement la campagne pour les municipales bourdonnait. Jarret et N d C espéraient encore une réélection et afin de s’assurer une confortable avance, ils n’hésitaient pas à visiter les familles indécises pour manier le chaud et le froid : des promesses et des menaces s’ils sentaient la moindre résistance.

 

Le premier tour des élections.

 

Le dimanche 26 avril, les sortants se tenaient droit comme des I derrière la table de réunion du conseil municipal. Ils arboraient une mine grave car l’enjeu était important : si les Bolchevicks passaient, il n’y aurait plus de curé et plus de messes, l’église serait détruite pour faire de la place à un lotissement réservé aux communistes. C’était aller un peu loin et la ficelle était si grosse que personne n’y croyait. Leurs opposants pensaient qu’ils avaient raté leur coup et peut-être, tendu le bâton pour se faire battre.

 

Quand vint l’heure du dépouillement, dans la salle comble où les femmes étaient venues en grand nombre soutenir leurs candidats au grand dam de certains maris qui pensaient qu’elles seraient mieux dans leur cuisine, l'inquiétude se faisait sentir. Jean Castex était soucieux, il craignait la défaite mais il ne voulait en aucun cas qu’il y ait une bagarre. On ne se battait pas et pire, on ne se tuait pas pour des élections de quelques niveaux qu'elles soient !

 

Au fur et à mesure que Mr Jarret lisait les bulletins, la tension montait ; à mi dépouillement, les deux listes étaient au coude à coude. Aucune des deux ne se détachait vraiment. L’assistance murmurait. On entendait des hommes commenter rageusement :

- Macaréou ! Mais qu’est-ce qu’ils ont fait ces cons !

- Comment ils ont voté ! Je le disais bien qu’il ne fallait pas faire voter les femmes !

- Le mal vient d’elles ! Si on perd, je fous une trempe à la mienne ! Elle va voir de quel bois je me chauffe !

On entendit une d’entre elles lancer un « connard » revanchard à celui qui avait osé promettre cela.

Sentant de l’électricité dans l’air, Jarret donna de la voix pour que le calme revienne : on était dans un bâtiment public qui représentait la France et la République et il fallait bien se tenir.

 

Le silence retomba lourd de pensées sombres.

 

Un assesseur qui avait regroupé en une pile conséquente les derniers bulletins dit en la poussant vers le maire qui se jeta presque dessus :

- C’est maintenant que l’on va savoir qui est élu et qui ne l’est pas, alors taisez-vous ! L’heure est grave !

Jarret se racla la gorge et annonça :

- Liste Jarret (applaudissement des Cornettes), liste Castex (applaudissements accompagnés d’Ah ! Ah ! Des Bolcheviks), liste Castex (murmures oh, oh !), liste Castex (applaudissements et murmures), liste Castex, liste Castex, liste Castex…

Il s’interrompit mal à l’aise, ça tournait mal, il jeta un coup d’œil vers la feuille où un de ses conseillers comptait les voix des opposants en alignant des barres et se rembrunit : ça devenait dangereux…

Puis il reprit d’une voix moins assurée :

- Liste Castex, liste Castex, liste Castex…

Les Cornettes s’énervaient, les poings se serraient, on voyait des grimaces sur certains visages ; Les hommes commençaient à avoir envie d’en découdre, la femme chef des Cornettes "féminines" prenait une belle couleur rouge et ses lèvres fines disparaissaient tellement elle était en colère. A côté d'elle, son ennemie intime dans la vie mais amie en politique faisait tressauter sa généreuse poitrine.

Jarret continuait :

- Liste Castex, liste Castex, liste Jarret …

Une onde de plaisir traversa le coin des Cornettes :

- Ah ! Enfin, continue, allez vas-y…

Mais Mr Jarret se renfrogna :

- Liste Castex, liste Castex, liste Castex…

Quelques secondes après que le dernier bulletin fut lu, il y eut comme un flottement. Les "Bolcheviks" attendaient que le maire sortant donne les résultats mais ils savaient déjà qu’ils avaient gagné. Ils n’osaient pas manifester leur joie car ils sentaient bien que ceux d’en face étaient à cran.

 

La victoire enfin !

 

On compta, on recompta sous la surveillance étroite de Jean Castex qui n’attendait pas se faire flouer, puis le moment fatidique arriva. Jarret, atterré mais digne, annonça les résultats :

- La liste Castex est élue, félicitations Jean, je suis à votre disposition.

Une clameur s’éleva, on se congratula, on s’embrassa, des femmes sortirent leurs mouchoirs pour s’essuyer les yeux, on fit des projets d’avenir, on se félicita pour avoir bien mené la campagne.

Les vaincus restaient dans leur coin comme sonnés : l’avenir s’annonçait terrifiant, on allait finir en Russie, le curé et les sœurs allaient être chassés ! Ils étaient effondrés.

Les deux ennemies/amies au comble du désespoir, décidèrent qu’elles avaient quelque chose à dire ensemble et le firent savoir.

 

Mr Jarret prit la parole :

- Je comprends la joie des vainqueurs et la déception des vaincus mais ce n’est que partie remise. Il faut accepter le verdict des urnes, le village en a décidé ainsi, je remettrai les clés au nouveau Conseil dès que je l’aurai installé. Mais, si vous voulez parler, Mesdames vous pouvez le faire, je n’y vois aucun inconvénient, nous sommes en République et tout le monde a le droit de s’exprimer. Je suppose, Jean que vous êtes d’accord avec moi ?

 

Jean Castex opina du chef et fit signe aux deux femmes qu'elles pouvaient exprimer leur ressentiment. La plus grande commença son discours :

 

- Le village a bon dos ! Tout le monde sait qu’il a été acheté à coups de barriques de vin distribuées gratuitement ! Je trouve ce procédé honteux. Mais de toute façon, vous qui avez voté pour cette liste, soyez sûrs que les canons et les chopines ne seront plus gratuits à partir de demain ! Monsieur Castex, vous avez gagné mais ne croyez pas que vous ferez ce que vous voudrez, vous nous aurez toujours dans les jambes et croyez-moi, quand vous ferez une erreur, nous vous la ferons payer.

Et bé, soyons beaux joueurs et acceptons la défaite mais vous ne perdez rien pour attendre !

 

Elle lança un regard de défi vers les nouveaux élus qui ricanaient moqueusement et se tourna vers la porte. Tous les Cornettes la suivirent l’air dédaigneux. On entendit leurs pas lourds descendre les escaliers.

Jean Castex laissa alors éclater sa joie et invita tous les présents à prendre l’apéritif au bistrot. Jarret et N d C refusèrent poliment, leurs alliés les suivirent.

 

Dans une joyeuse cohue, les femmes et les hommes du clan "bolchevick" descendirent en riant et en plaisantant dans la cour puis en groupe, en chantant la Marseillaise, ils se dirigèrent vers le bistrot et firent la fête jusqu’à tard dans la nuit. Enfin, les hommes, parce que les femmes rentrèrent chez elles, dans leurs cuisines, pour préparer le repas des enfants...

 

Il fallait bien que quelqu'un le fasse : les estomacs ne se remplissent pas avec des bulletins de vote et des plans tirés sur la comète, n'est-ce-pas...

 

Mes parents étaient heureux : j'allais enfin être acceptée à l'école ! Mr Castex l'avait promis. Il n'avait pas admis l'injustice que Jarret et Nez de Couteau avaient commise en obligeant l'institutrice à refuser mon inscription pour la rentrée des classes du 1er octobre 1952 en même temps que les deux autres enfants nés en 1947 mais .... français des deux côtés, eux, enfin tout de même ! La nuance est immense.

 

Ben voyons...

 

Au motif officiel qu'elle aurait trop d'élèves au primaire car avec moi, cela aurait fait trois et non, là c'était impossible, c'était trop ! Parce que les mulards, il faut le dire, ont des difficultés pour apprendre, tout le monde sait cela et elle devrait passer trop de temps avec moi... ce serait du temps perdu et il lui fallait coûte que coûte réussir les "certificats d'étude". Elle n'avait que deux candidats mais elle voulait qu'ils l'obtiennent ce fameux diplôme !

 

Opinion de Nez de Couteau bien évidemment...

 

En tout, oui en tout, elle avait une classe de 13 élèves allant de la première année de préparation au CP jusqu'au certificat d'études...

Mais moi, voilà, j'étais en trop : trois enfants du même âge et donc une seule en trop... une seule !

 

Franchement, il en faut de l'imagination pour s'attaquer à un enfant quand on ne peut pas manipuler les parents !

 

Pour croire en une telle bêtise, il fallait vraiment être idiot... et de ce fait, personne ne fut dupe. Nez de Couteau pensa toute sa vie que les "mulards" franco-italiens tout comme les franco-espagnols n'avaient pas le droit de "profiter" de l'enseignement gratuit et surtout, surtout de poursuivre des études.

 

Avec ses copains de même "idéologie" et très, très poujadistes, dès le début des années 1960, ils mirent tout en oeuvre pour empêcher ces enfants "mélangés" de travailler en classe : ils devaient rester à leur place, celle de "sous-produit humain" ... Et ils sont malheureusement pour certains, arrivés à leurs fins ! Ce qui sauva les autres, ce fut mai 1968 et les Accords de Grenelle....

 

Je sais : il faut suivre.... Alors pour eux :

 

"Les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît"

 

Il réussit donc son coup à la rentrée d'octobre 1952 mais, je pense, qu'il eut du mal ensuite à recouvrer un peu d'honneur...

 

Car bien évidemment, rien ne se passa comme il l'avait prévu. 

 

J'ai toujours cru que j'étais coupable de quelque chose par rapport à mes enseignants qui, je le sentais bien, ne m'aimaient pas du tout. Je les dérangeais, j'en avais bien conscience, mais je ne pouvais faire autrement, l'enseignement était obligatoire alors, je devais aller à l'école...

Et pourtant que n'aurais-je donné pour ne pas y aller : c'était un cauchemar que de les voir toute une journée ... ne rien m'apprendre de nouveau et de passionnant, à moi qui attendait tellement d'eux !

Il y a très longtemps que j'ai pris conscience de n'avoir été coupable de rien... mais avant d'être rassurée, il me fallait comprendre et cela, voyez-vous, ce n'est pas si facile que ça en a l'air ! 

 

Qu'est-ce que je me suis ennuyée en classe ! Si à chaque rentrée, je me réjouissais à l'idée de connaître enfin, peut-être, de nouvelles choses intéressantes, je déchantais vite, c'était toujours les mêmes programmes du CP au Certificat d'Etudes ...

 

Je pense que tous mes instits ont été dépassés, surtout la dernière. Car comment intéresser une gamine qui s'ennuie parce qu'elle n'a rien à faire ? Ils n'avaient pas été formés à d'autres manières d'enseigner que celles en vigueur dans les Ecoles Normales depuis leur création au 19ème siècle et à mon avis, leur orgueil, à cause de moi, en avait pris un coup ! 

 

Et Nez de Couteau ?

 

Il lui fallut attendre jusqu'en 1965 pour retrouver un poste de conseiller municipal... en compagnie de ses deux potes poujadistes et du troisième très admiratif de Texier-Vignancourt dont il était une "relation" privilégiée. Son copain personnel, disons son meilleur ami au village quoique "étranger" (à deux ans près, ils étaient du même âge) ne le quittait que rarement, il ne pouvait en être autrement, on aurait dit qu'ils étaient collés l'un à l'autre !

 

Les montagnards sont des esprits moqueurs, ils aiment pratiquer l'humour, souvent très vache. Je ne me souviens pas qui a dit un jour, en 1963, je crois, en parlant d'eux alors qu'ils venaient de se congratuler aux Quatre-Chemins avec beaucoup, beaucoup de chaleur :"Il faudrait les marier, ils nous feraient des petits gratinés et il y en aurait beaucoup pour "emmerder" le monde. Peut-être que comme ils seraient contre-nature, on pourrait les chasser...". (1)

 

Maman avait souri en coin et ses beaux yeux, gris ce jour-là, pétillèrent de malice. Elle raconta la scène à papa qui rigola à l'idée et répondit - en français, pour une fois et non en gascon comme d'habitude  - :

"Des gens comme ça, il n'y a pas besoin de les marier pour qu'ils fassent des petits, ils se font tout seuls rien qu'après leur avoir parlé et il va y en avoir beaucoup un jour..."

Visionnaire, mon papa ? Pour quelqu'un qui ne parlait jamais, il avait réfléchi et donné son opinion... pour une fois ! La situation qui se dégradait au village devait le préoccuper beaucoup, son monde si joyeux disparaissait...

 Comme quoi, il ne faut jamais penser qu'un taiseux est un indifférent.

 

La vie continua après cette élection mais durant quelques jours, il y eut comme un froid polaire entre les deux clans.

 

Puis on passa à autre chose surtout que

 

des événements inattendus se produisirent 

dans le département du Lot.

 

Jackie Mansas

6 janvier 2017

 

Sources : ma mère et toutes les personnes anciennes du village.

1 - sauf ceux, dans le cas de l'Espagne -  des  entiers bien sûr - protégés par la religion et qui ne squattaient pas l'école publique, ils étudiaient dans le privé 

2 - cette vacherie n'était pas à connotation sexuelle, les deux ... haïssaient les homosexuels... je n'ose pas vous dire comment ils parlaient d'eux mais leurs "petits" ont repris à leurs comptes leurs slogans minables !

 

L'expression est de Michel Audiard.)

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