Mauléon-Barousse dans les années 1920-1930
Vue de Ourde ancien. Au fond le vallon de Mauléon-Barousse au pied du Hourmigué.
Joséphine à Mauléon-Barousse.
Ma mère avouait toujours trouver un défaut aux saisons : l'hiver, il fait trop froid, le printemps est trop humide, l'été trop chaud et à l'automne, la sève qui descend "fatigue" les vieux et les malades qui risquaient de mourir.
Octobre et novembre lui rappelait un des moments les plus joyeux de son enfance : celui où son père donnait enfin le signal du retour vers le village et où enfin, elle pouvait se glisser dans un véritable lit. Mais elle était en même temps triste de quitter la montagne où il faisait si bon vivre. Elle se souvenait encore, alors que les ans s'étaient accumulés (1999-1916 = 83 ans), du Mauléon de son enfance qu'elle retrouvait intact en octobre alors qu'elle l'avait quitté au mois d'avril pour passer 6 mois dans une cabane en bois posée dans une clairière où coulait un torrent à la lisière des bois de hêtres immenses....
Et où elle, petite fille sûrement gâtée pourrie par les "mâles" de la famille : son père et ses trois frères aînés qui eux, comme ses deux sœurs dormaient dans des caisses en bois fabriquées par leur père, à leurs tailles, avec pour matelas des fougères séchées qui grattaient, grattaient et une seule couverture...
Elle, avec ses beaux cheveux auburn bouclés et ses grands yeux tantôt bleus, tantôt gris, tantôt verts qui regardaient avec une douceur infinie mais aussi une fermeté presque altière, et bien, elle avait le droit de s'allonger sur un drap afin que les "vilaines" fougères n'abîment pas sa peau de petite fille... Mais bien évidemment, ça grattait quand même.... Alors, pour elle, redescendre à Mauléon, comme pour toute la famille, c'était le bonheur....
On l'écoute raconter dans les Gazette des Vallées n° 11-12-13 1999 et 2000.
" Dans le quartier de Mauléon-Barousse qui longe l'ancienne route d'Esbareich, après le Pont de Pierre, un sabotier, Monsieur Saint-Germes, tenait son échoppe à côté de celle de son fils cordonnier. Ils avaient pour voisin Monsieur Luscan qui avait monté une centrale électrique dans son moulin. Je vous parle-là des années vingt. Il était très bricoleur et adorait la mécanique.
C'est chez lui que toute la Haute et Moyenne Barousse allait dépiquer le blé, l'orge, et presser les pommes qui portaient le joli nom de cousteras et qui donnaient un excellent cidre.Elles étaient grosses, joufflues et rouge. Les chars et tombereaux chargés de sacs se succédaient durant plusieurs jours.
Un jour, il eut une idée de génie : il allait se servir de ses turbines pour fabriquer de l'électricité et la vendre aux mauléonnais.
Il installa un compteur dans chaque maison après avoir tiré lui-même les lignes électriques, les fils couraient partout dans les pièces mais ça fonctionnait. Jusqu'en 1930-1931, nous avons tous bénéficié du courant de Mr Luscan. Une fois par an, son épouse passait chez les abonnés pour relever les compteurs et se faire payer.
Personne ne rechignait. Bien sûr, les turbines ne produisaient pas trop de courant, nous étions moins éclairés qu'aujourd'hui mais c'était quand même mieux que de vivre à la lueur des lampes à pétrole. Je ne me souviens pas vraiment de la période des lampes mais tout le monde disait que le courant électrique était plus agréable.
D'accord, les installations étaient du bricolage mais sans danger. Nous étions entrés dans le monde moderne sans heurt et avec émerveillement. Il est vrai qu'à cette époque un rien nouveau nous "émerveillait", on avait l'impression de vivre autre chose.
Dans le quartier de Sartigues, il y avait une très bonne couturière, Madame Moizan. Elle habillait uniquement les dames qui choisissaient leurs toilettes d'après les modèles des catalogues qu'elle leur présentait. Ces dames de toutes conditions, achetaient le tissu lors de la Grande Foire qui avait lieu le dernier samedi du mois aux marchands de Loures, de Montréjeau et de Saint-Gaudens qui venaient installer leurs stands sur la place de Palouman et dans la grande rue.
C'était toute une organisation : il y avait une sacrée animation ce jour-là dans Mauléon et un monde fou. Toute la Barousse et les habitants des alentours y montaient. On n'entendait que très peu parler français, c'était le "patois" qui résonnait partout et c'était bien.
Les élus du canton et même du département passaient de stands en stands, parlaient avec tout le monde et à midi allaient dîner au restaurant des Pyrénées. Le banquet que l'on appelait "républicain" était offert par la municipalité et le Conseiller Général.
Madame Moizan avait un aspect très sévère, elle ne riait que très rarement et avec qui cela lui plaisait.
A côté du Monument aux Morts, entre la petite rue et la chapelle Saint-Blaise, une toute petite dame dont malheureusement, j'ai oublié le nom et avec qui j'étais très amie, vendait des fruits, des légumes et des friandises qu'elle allait acheter tous les lundis matin au marché de Montréjeau. Ma mère me donnait trois sous pour acheter une pipe au caramel que je mangeais à côté d'elle. Je l'écoutais me raconter des histoires sur sa vie, sur les gens, sur les coutumes.
J'ai été peinée lorsqu'elle est tombée malade car elle est partie vivre à l'Hôpital Saint-Frai tenu par les sœurs de l'ordre créé par Marie Saint-Frai "les Filles de Notre Dame des Douleurs" que, nous, nous appelions "les Petites Sœurs des Pauvres". Je me souviens toujours des religieuses qui venaient quêter tous les ans, au mois de novembre dans toute la Barousse".
Nous sommes en juin 2017 mais en suivant les récits de Joséphine, j'ai trouvé dans le numéro 12 de novembre-décembre 1999 et dans celui de janvier-février 2000, les récits suivants. Elle raconte la venue chaque automne des religieuses de l'ordre fondé par Marie Saint-Frai "Les Filles de Notre-Dame des Douleurs" que tout le monde appelaient "Les Petites Sœurs des Pauvres", quêter pour les pauvres qu'elles accueillaient dans leurs hospices afin qu'ils puissent finir leurs vies dignement.
Je trouve que c'est quand même d'actualité car la pauvreté et la souffrance de l'exclusion ne disparaissent pas d'un coup de baguette magique avec le retour de l'été.... !
"Les Petites Sœurs des Pauvres venaient donc quêter tous les ans en Barousse au mois de novembre. Elles ne voulaient pas d'argent, seulement des céréales, des fruits et autres denrées qui servaient à nourrir tous les pauvres et les personnes âgées vivant à l'Hôpital Saint-Frai à Tarbes. Sœur Radegonde est passée durant vingt-cinq ans toujours accompagnée d'une jeune religieuse, jamais la même. (1)
Voici comment elles procédaient :
dans chaque village, une famille déléguée par la paroisse les recevait et les hommes les accompagnaient dans leur collecte de maison en maison, pour récolter la marchandise qui était chargée dans des tombereaux et certaines bonnes années, dans des chars pour les descendre ensuite jusqu'à la scierie de Gustavo Arcangéli où se trouvait le dépôt pour la Haute Vallée, Bramevaque et Troubat. A Mauléon, elles logeaient chez Madame Barrès notre voisine mais qui était également notre propriétaire car nous habitions la maison qui se trouvait après son commerce dans la rue de la Carrère.
De ce fait, comme à partir de 1927, je n'allais plus à l'école (à cause de l'attitude de l'institutrice), ma mère me "prêtait" aux religieuses pour mener la brouette de maison en maison et ce sur tout le territoire de la commune pour apporter les dons jusqu'à la scierie qui se trouvait dans le quartier de la Cristinie.
Je ne connais pas tous les noms des familles déléguées mais je me souviens que à Ourde c'était chez Bourrut et dans la village de mon mari, c'était justement chez ses parents qu'elles descendaient.... (2) Nous étions très jeunes tous les deux et nous faisions la même chose sans savoir qu'un jour, nous nous rencontrerions.
( En novembre 1927, maman avait 11 ans et papa 22...).
Lorsque tout avait été récolté, Monsieur Arcangéli mettait à leur disposition trois chauffeurs, mes frères Joseph et Guido et Angelo Bracali. Ils chargeaient les camions et ils portaient le tout à la gare de Loures-Barousse. Parfois, il fallait faire deux voyages car les baroussais étaient généreux : dès la fin octobre, ils mettaient de côté ce qu'ils allaient donner....
C'était la fête lorsqu'on les voyait arriver. Chacun avait besoin de donner à plus pauvre que lui. Sœur Radegonde apportait avec elle du tabac gris et du papier Job pour que les hommes qui l'aidaient puissent rouler leurs cigarettes.
Je me souviens qu'une année, elles avaient eu beaucoup de malades et de personnes âgées à soigner et elles étaient arrivées en retard, au début décembre. Il y avait à peu près 80 centimètres de neige (c'était évidemment avant 1930) et nous venions de commencer la tournée dans Mauléon. Sœur Radegonde recevait le fruit de la quête et sa compagne et moi, nous transportions la marchandise. On portait les sacs de pommes de terre avec la brouette et il n'était pas facile d'avancer. Nous tombions souvent mais nous essayions de ne pas renverser les sacs. C'était très lourd et très fatigant mais comme elle n'avait que peu d'années de plus que moi, nous éclations de rire à chaque chute. Nos galoches se remplissaient de neige, il fallait les enlever, les remettre et recommencer un peu plus loin. Imaginez le travail lorsque nous étions loin de l'usine !
Un de ces jours-là, en redescendant de Sartigues et en prenant le chemin de la fontaine, la jeune religieuse a glissé sur une plaque de verglas, le vent froid a rabattu sa robe par dessus sa tête. Par chance, je n'étais pas tombée et je me suis précipitée pour l'aider à se relever. J'ai remarqué pudiquement qu'elle portait de très jolis panties et jarretelles tout brodé de dentelles. A côté, mes grosses chaussettes retenues par un élastique faisaient minables. Mais ne croyez pas que j'ai été jalouse, oh que non ! au contraire, j'ai trouvé cette lingerie ravissante car c'était la première fois que j'en voyais. Il n'y en avait pas dans les magasins de Mauléon et j'étais encore une gamine.
C'est pour cela qu'ensuite, toute ma vie, j'ai aimé les jolis "dessous" comme on disait à l'époque. La religieuse était gênée qu'elle avait été vue dans cette situation, elle s'est excusée auprès du Bon Dieu de ne pas avoir été à la hauteur de sa tâche. Je ne comprenais pas pourquoi elle était si désolée, chuter comme cela pouvait arriver à tout le monde ! Pour moi, ce n'était pas catastrophique. J'ai raconté l'aventure à ma mère qui était très croyante et très respectueuse des autres. Elle m'expliqua que les religieuses étaient mariées avec le Bon Dieu, elles devaient donc faire comme toutes les autres femmes : respecter leur mari et de ce fait ne pas s'exhiber.
Il est vrai que l'on était tous exagérément pudiques à cette époque, mais cela avait de bons côtés car à ce niveau, il y avait moins de problèmes relationnels entre les gens ! Tout le monde, à quelques exceptions près, se moquait de comment les autres étaient faits et on était plus tranquilles ! Mais voyez-vous, depuis ce jour, je ne ris pas lorsque quelqu'un tombe parce que je repense à la peine de la jeune religieuse."
Photos ci-après des premiers camions achetés par Gustavo Arcangéli et ses trois chauffeurs : Angélo Bracali, Joseph et Guido Cinotti.
Mon oncle Guido au volant et son jeune collègue Ottavio qui repartit au bout de quelques mois en Italie.
La quête terminée, les religieuses s'en vont....
Elles repartaient aussitôt la collecte terminée. Les chauffeurs venaient les chercher sur la place de Palouman et sœur Radegonde montait avec mon frère Joseph. Pour elle, s'installer dans la cabine du camion était une véritable aventure car il fallait d'abord faire passer la cornette.
C'était toute une affaire, elle ne pouvait pas entrer en un seul mouvement : en premier, la coiffe, précautionneusement, puis le haut du corps, tandis qu'elle relevait la tête à l'intérieur, un petit mouvement tournant, un coup de reins et le corps, qu'elle avait fort mince, entrait.
Ensuite il s'agissait de positionner les jambes et ce n'était pas facile car la cornette coinçait au plafond. Après beaucoup de contorsions et beaucoup de taquineries de la part de mon frère, elle était enfin assise. Il la taquinait mais elle lui répondait avec humour et gentillesse.
Je me souviens de son incroyable minceur, de son teint mat, de ses yeux noirs brillant de bonté et de son sourire éclatant comme si tout le bonheur du monde était en elle. Elle était une religieuse comme on les aime : bonne, douce, rieuse, profondément gentille.... (3)
Dans la Basse-Barousse où elles venaient plus tard, je crois, elles prenaient le train. A Bertren, c'était Simon qui devait devenir mon mari quelques 15 ans plus tard, qui les accompagnait partout dans le village et ne les quittait pas d'une semelle, totalement dévoué... (2) ; il allait les chercher à la halte de Galié et ils rentraient jusqu'à sa maison à pieds, lui portant leur sac de rechange et toilette. A la fin de la quête, il transportait tous les dons avec son char jusqu'à la gare de Loures. Il était accompagné du jeune Conrado, né en 1919, arrivé d'Espagne avec toute sa famille en 1927... Simon m'a raconté qu'elle le taquinait parce qu'il avait très bon appétit. Il était heureux de se souvenir d'elle comme tous ceux qui l'ont connue.
Mais tout a une fin et elles ne sont plus passées dès que l'Etat leur a versé les subventions nécessaires au bon fonctionnement de leur établissement. Je pense qu'elles ont quêté jusqu'aux années 50. En fait jusqu'en 1957...
C'était formidable en Barousse mais ce devait être pareil partout : croyants ou non-croyants, tout le monde donnait le plus possible parce que ces dons étaient pour les pauvres et uniquement pour eux. Quand j'étais jeune, il était normal de donner même si l'on n'avait pas beaucoup parce que celui qui souffrait était encore plus notre frère que celui qui avait tout".
Même si la solidarité existe toujours et de magnifique façon - Restos du Cœur, Secours Catholique et Populaire, Croix-Rouge, Téléthon, Sidaction - elle est différente, totalement différente. Personnellement, je pense que la guerre de 39-45 a fait beaucoup de mal au niveau des mentalités avec ces notions indignes que sont le racisme et l'intolérance (par exemple), qui ont poussé et qui malheureusement poussent toujours sur le terreau stérile de l'ignorance, de la prétention et de la méchanceté.
Jackie Mansas
5 juin 2017
1- mon parrain Etienne Saint-Martin m'avait confié la raison et je peux vous assurer qu'elle valait son pesant d'or...
2 - essayez de deviner pourquoi tous les messieurs des familles déléguées étaient si empressés, voyons .... A lire après la photo suivante.
3 - vu celles que j'ai eu la malchance de croiser dans ma vie, je me suis demandé si cette personne n'avait existé ainsi que dans le souvenir de ma maman mais renseignements pris, elle disait vrai.... Elle devait avoir la foi, sans doute....
Il est vrai que l'habit de ces religieuses était assez imposant mais pour les toutes jeunes filles entrées au couvent soit par obligation soit par vocation, il pouvait être seyant et même très seyant...
Voici ce que m'avait raconté mon parrain Etienne à ce sujet lorsqu'elles passaient en Barousse, dans son enfance et son adolescence, il était né en février 1928. Je n'ai pas pu cacher un fou-rire, que j'ai facile, même très facile... si vous saviez à quel point ! Avant j'agissais bêtement pour tenter tant bien que mal de le cacher, maintenant, je me débrouille pour disparaître avant qu'il ne prenne des proportions dantesques....
Donc, voici... la raison :
Parrain :
"Sœur Radegonde était une femme d'un certain âge, mince, gentille, douce mais on ne la lui faisait pas ! Elle était encore belle lorsque j'étais un adolescent dans les années 40... Mais bon comme la sève montait, j'étais très intéressé par les filles, tu t'en doutes, surtout celles qui étaient douces et jolies bien évidemment... Et figures-toi que Sœur Radegonde venait chaque année avec une jeune consœur qui venait de prononcer ses premiers vœux, jamais la même, pour l'aider dans sa tâche et pour la former à la charité.
Bien évidemment, avec leur habit et surtout leur coiffe qui encadrait leurs visages, elles étaient tellement belles, on aurait dit des anges et à chaque fois, j'avais un pincement au cœur. C'était incroyable, comment pouvait-on être aussi jolie et entrer au couvent ?
Moi tout en rigolant :
- C'est peut-être parce qu'elles étaient religieuses qu'elles étaient aussi jolies...
Lui sérieux et pensif :
- Tu veux dire que leur beauté ne venait pas de la Terre mais du Ciel ?
Moi :
- Je n'irais pas jusque là, elles étaient jolies à la base, comme toutes les jeunes filles de leur âge, c'est normal, c'est la jeunesse. Les espoirs, les rêves tout est beau et de plus, si elles vivent dans un monde préservé dans leurs familles, dans leur vie sociale, si elles n'ont subi aucun traumatisme, aucun malheur, il n'y a pas de raison. Toutes les jeunes filles sont jolies parce que la vie commence, tout simplement... Comme les garçons qui se fabriquent, c'est normal...
Lui :
- Sans doute... Quoiqu'il en soit, chaque année, elles me plaisaient et je profitais des discussions entre elles, ma mère et ma sœur - lorsque elles séjournaient à la maison à Ourde avant de passer à table - pour me glisser près de la fenêtre car je savais que sœur Radegonde allait s'asseoir à côté de ma sœur qui faisait le service, en face de ma mère et de mon père, la jeune nonne ensuite, alors si je me plaçais au bout, je pouvais lui faire du pied sous la table sans crainte....
Là, j'ai ri en imaginant la scène et il m'a suivie. Au bout d'un moment, il m'a avoué :
- Mais elle avait l'œil, la sœur Radegonde, je peux te l'assurer ! Je me suis fait gauler dès le premier jour de la première fois !
Moi :
- Comment ? Tu n'as pas été assez discret ?
Lui :
- Mais non, de ce côté-là, ça allait mais c'est que la jeune nonne a rougi jusqu'aux oreilles, alors ! Ma mère en face d'elle qui me connaissait bien m'a jeté un coup d'œil de reproche, donc sœur Radegonde qui lui parlait s'en est aperçue, a regardé la jeune fille et a tout compris très vite... Aussi, elle s'est levée et a pris sa place !!! J'ai été obligé de me calmer...
Pauvre de lui...
Et après ? Que se passait-il ?
- Quand elles partaient, sœur Radegonde me disait que j'étais un coquin et qu'il fallait que je fasse quelques prières pour me faire pardonner !
Moi :
- Tu les faisais ?
Lui :
- Penses tu ! Je recommençais l'année suivante....
Moi :
- Tu sais que tu vas aller en Enfer ?
On a fini par rire aux éclats....
On comprend bien pourquoi les messieurs étaient empressés mais je soupçonne fort que sœur Radegonde emmenait avec elle de jeunes religieuses rayonnantes de la beauté de leur jeunesse et de leur foi pour attirer les dons...
Elle veillait sur leur vertu avec attention mais comme tout le monde le sait, les hommes quelque soit leur âge, feraient n'importe quoi pour attirer l'attention.... des anges ! Parce que au début, toutes les femmes sont des anges, ensuite, c'est une autre histoire....
Enfin c'est ce qu'ils disent !
Alors, à part l'ego des jeunes coqs, personne n'en souffrait et les dons s'accumulaient : pommes de terre, blé ou farine, poulets et canards prêts à cuire, pâtés, saucisson et saucisses, jambons, maïs (pour nourrir les poules de la congrégation), fromages (fabriqués l'été pour elles), légumes-racines du jardin, des pommes, des confitures, etc. etc.
La fin justifie les moyens !
Jackie Mansas
5 juin 2017
Pour ceux qui dernièrement sont morts à cause de la haine, relisons : Le Monsieur qui ne voulait pas remonter ses manches...
EHPAD de Sainte-Marie actuel ; Maison de Repos Sainte-Marie ancienne ; photos (ma collection personnelle) de déportées prises à Saint-Lary en 1997 lors de la remise de la légion d'honneur à Mme Renée Sarlabout par Mr Masseret ministre des Anciens Combattants et lors d'un dîner le lendemain à Saint-Bertrand de Comminges : elles ont vécu l'horreur et pourtant, elles riaient, plaisantaient et ont fait tourner en bourrique la guide du patrimoine des Olivétains de Saint-Bertrand qui m'a dit en riant gentiment "qu'elles étaient pires que des gamines !" Elles n'avaient pas oublié et en témoignaient toujours mais elles étaient simplement des monuments d'humanité.
Nous sommes fin juin 1978 et il fait déjà très chaud. Un groupe de pensionnaires vient d'arriver dans la matinée par le train et Henri, le jardinier-chauffeur-homme à tout faire de la Maison de Repos Sainte-Marie de Siradan est allé les chercher à la gare de Saléchan.
Ils sont rentrés par le grand hall et ont été reçus par la secrétaire et l'infirmière ; ils ont été présentés à la directrice que l'on se doit d'appeler " Mademoiselle" mais depuis 1968, on s'adresse à elle comme à tout le monde. Jusque environ cette année-là, le personnel lui parlait à la troisième personne ! Je n'aurais pas à le faire et cela me va très bien.
Pourtant, bizarrement, cette femme très âgée et presque impotente qui vit comme si l'on était encore au 19ème siècle, ne me déplaît pas comme me déplaisent certains de ses congénères. Au contraire, je me suis surprise à l'apprécier et pourtant vu comme elle est rébarbative, ce n'aurait jamais dû être ! Mais même si elle montre un visage toujours de mauvaise humeur, ses yeux d'un bleu clair délavé par le temps démentent ce qu'elle veut nous faire croire qu'elle est !
Donc ce matin-là de juin 1978, il va être midi et j'ai reçu de la cuisine le plan de table avec les places des nouveaux arrivés et leurs régimes s'il y en a. J'ai mis les couverts, les salières et les poivrières, fermé les volets intérieurs des deux grandes fenêtres donnant sur le parc à cause de la chaleur mais en laissant un interstice afin que le jour puisse rentrer tout de même et bien sûr, j'ai allumé les lumières ! J'ai préparé les entrées comme tous les jours et rangé les desserts sur les plateaux en fonction justement des fameux régimes. Sur les tables, j'ai rempli les carafes d'eau et placé à côté les bouteilles de vin (3/4), posé les corbeilles à pain remplies d'épaisses tranches que j'avais consciencieusement coupées (au début, j'ai manqué y laisser les doigts avec !). L'infirmière a posé les médicaments devant chaque assiette puis elle est partie à la cuisine vérifier si tout allait bien avec les régimes mais cela n'est qu'une banale formalité parce que les cuisinières, Bernadette, Annie et Maria sont irréprochables.
Augustine qui travaille la journée uniquement de 9 heures à 17 heures, est encore dans les étages à finir d'installer les nouveaux et Suzanne, la lingère, responsable également du ménage des chambres de l'aile Est appelée l'Annexe ainsi que de la Galerie, est en congé, c'est son jour de repos. Mais une jeune femme qui aidera lorsque les employées pourvues d'enfants partiront en vacances annuelles, vient d'être embauchée pour l'été et la remplace .
Henri va s'installer à la table du personnel pour le repas de midi.
Tout va bien, tout ronronne, Mademoiselle a rejoint sa salle à manger personnelle de son pas cahotant car ses jambes courtes et gonflées ne supportent plus son surpoids.
C'est un jour comme les autres, pourtant il va changer ma vie...
Midi sonne à l'horloge de l'église de Siradan puis à celle de Sainte-Marie et je m'en vais tirer vigoureusement comme d'habitude - sinon vu la superficie de l'établissement s'étalant sur deux étages et deux corps de bâtiments, les pensionnaires n'entendent pas - la cloche posée au-dessus de l'entrée menant à la cuisine, aux deux salles à manger ainsi qu'aux étages.
Et tout le monde arrive. Au fur et à mesure que chacun passe, j'ai droit à un mot gentil comme d'habitude et je réponds joyeusement comme d'habitude. J'attends pour placer les nouveaux qui arrivent en dernier.
Derrière le groupe, mon regard est attiré par un couple de cinquantenaire atypique : le monsieur arborant une grosse moustache grise est de haute taille et très mince, vêtu d'un simple pantalon de toile et d'une chemise à petits carreaux et sa femme juste un peu plus petite que lui est forte, très forte, habillée d'une robe blanche unie très élégante et ses cheveux noirs de jais sont coiffés en coque et relevés en chignon. Son rouge à lèvres est vif. Elle porte un lourd collier doré, des bracelets et bagues en nombre, une montre sertie de pierres précieuses et des chaussures très chics. Je le remarque parce que ces bijoux ne sont pas clinquants et mettent en valeur avec goût sa peau hâlée.
Je sens immédiatement qu'ils sont différents des autres, qu'ils ont beaucoup d'argent mais ne s'en servent pas pour mépriser les autres et surtout qu'ils ont vécu une autre vie.
C'est une impression fugace, mais qui m'envahit toute entière.
Je les salue, ils me répondent très gentiment et je les installe puis je me poste devant le passe-plats, attendant que Bernadette et Annie envoient les entrées.
Je les vois arriver, c'est Annie qui porte les six premières en criant " la fenêtre". (1) Je tends les mains pour les saisir mais je ne vais pas jusqu'au bout de mon geste car je sens une présence derrière moi, je me retourne, la dame est là et me sourit. Je lui rends son sourire, un peu étonnée : que me veut-elle ? Annie pose le tout et s'en retourne chercher les autres plats qui vont s'accumuler dans l'ouverture.
- Je peux vous aider, madame ?
- Oui, je voudrais vous parler en particulier si cela est possible.
- Bien sûr, allez-y, je vous écoute.
Elle parle très bas et je suis obligée de tendre l'oreille mais comme elle est bien plus grande que moi - elle doit mesurer au mois un mètre soixante-dix huit à première vue - elle est obligée de se baisser :
- Serait-il possible que l'on puisse servir à mon mari du potage à midi et le soir mais il faudrait qu'il soit sans viande ? Et aussi, est-ce que la cuisine pourrait changer ses plats ? Il ne mange pas non plus de charcuterie.
- Le soir oui, il aura du potage. A midi, je ne sais pas mais je vais poser la question aux cuisinières. Il ne mange pas du tout de viande ? Puis-je savoir pourquoi parce que l'infirmière et ces dames vont me le demander ! C'est la première fois que nous avons un pensionnaire végétarien et il faut qu'il ait un menu équilibré !
Elle sourit, ne répond pas tout de suite et de la cuisine sort un ordre :
- Jackie, qu'est-ce que tu fais ? Tu attends le déluge pour servir ?
En plein été et avec ce soleil...
- Oui, oui, ça arrive, j'y vais ! Nous parlons après le repas Madame ?
Elle acquiesce et me sourit puis va s'asseoir à la table "fenêtre", juste à l'entrée de la salle. Et le repas se déroule sans incidents à part que comme des messieurs sont arrivés en nombre, les bouteilles 3/4 de vin sont vite vidées et ils en réclament d'autres. Ce n'est pas à moi de prendre la décision et c'est l'infirmière qui s'en charge ! Bon, moi, je céderais à la longue mais elle pas du tout, ils n'ont qu'à apprendre à gérer les verres, il y en a 6 dans chacune et ça suffit ! Elle a raison, sinon, cela deviendrait vite une cacophonie.
Je m'amuse beaucoup en regardant la mine déconfite de ces mâles assoiffés : l'eau est difficile à avaler et je me fais un plaisir à chaque fois qu'il y a un reproche sur "la petitesse" des bouteilles d'en remplir généreusement les carafes ! Ils ont reçu le règlement avec leur dossier d'inscription donc ils savaient à quoi s'en tenir et leurs rouspétances sont sans effet !
Il a fallu à nouveau réapprovisionner les corbeilles de pain et là, c'est Augustine descendue des étages pour déjeuner avant d'attaquer le rez-de-chaussée, préparer les goûters et nettoyer les salles à manger, qui va s'en charger. Elle aide pour le "coup de feu" puisque toutes les chambres sont occupées : nous avons 52 pensionnaires à soigner et à dorloter.
Aussi, je n'ai pas à aller actionner la guillotine à miches et flûtes toutes les dix minutes. Parce que l'air des Pyrénées, s'il fatigue les premiers jours, ouvre également les estomacs et il ne faut rien promettre aux affamés descendus en majorité de la capitale ! Pour tous les plats, entrée, viande et légumes, fromage et desserts, il n'y a aucun problème sur les rations, ces dames de la cuisine gaveraient un régiment entier si elles en avaient la possibilité...
Mais cela, c'est typiquement pyrénéen : le gavage...
J'ai l'habitude, depuis que je suis née, de voir s'étaler sur les tables des montagnes de nourriture qui font qu'après l'entrée, on n'a plus faim ! Et l'auteur de ces plats garnis à ras-bord - on se demande comment elles font toutes pour que rien ne déborde - de se vexer si on ne se ressert pas au moins deux fois.... J'adore manger, aucun problème, mais quand l'estomac n'en veut plus, il n'en veut plus ! Il faut se forcer sinon on entend des reproches à savoir que l'on va s'anémier, que si on n'a pas faim, on risque une leucémie et toutes autres sortes de maladies plus terribles les unes que les autres dont une qui ne peut se guérir : la perte des neurones qui empêche en premier lieu de bien travailler à l'école et plus tard dans son métier...
Vous voulez arriver à suivre un régime après ça, vous ?
Si vous en avez besoin, bien entendu...
Je peux vous assurer que quand certaines dames, qui à Paris dans leur vie de tous les jours, ne mangeaient pas pour garder une ligne qu'elles pensaient filiforme et se rendaient malades - ce qui nécessitait une cure de repos et de convalescence - repartaient, elles arboraient quelques rondeurs et un visage réjoui qui leur allait fort bien ! Elles étaient éclatantes et quand les maris venaient les chercher, ils le remarquaient, s'en réjouissaient au début ... et ensuite, se posaient des questions .... Vu qu'au café, au village, il y avait une cohorte d'hommes en mal d'adultères qui attendait de pied ferme et l’œil égrillard, les "lots" comme ils appelaient les pensionnaires féminines.
C'était d'un distingué...
A mon humble avis, ils n'ont jamais compris qu'une femme était un être humain digne de respect et de considération !
Voilà, le repas est fini, tout le monde est repu et rejoint les chambres pour la sieste. La dame attend que j'ai terminé de nettoyer les tables et de ranger l'office. Quand enfin, j'ai terminé, je me dirige vers elle et elle m'explique les raisons du "végétarisme" de son mari.
- Mon mari et moi sommes croyants dans notre religion et il respecte les principes à la lettre. Moi non parce que je n'ai pas l'intention de me priver et comme vous pouvez le constater, ça me profite !
Je ris et la rassure :
- Mais vous êtes très bien ! Belle comme tout !
Elle rit à son tour et reprend :
- Mais pour lui, il n'en est pas question. Lorsque nous sommes chez nous, il mange de la viande - toujours pas de charcuterie, mais moi oui, j'aime ça - d'animaux abattus selon le dogme et uniquement celle-là..
Je me demande de quelle religion elle parle. Jusqu'à présent nous n'avons pas eu de demandes particulières concernant les croyances, vu que nous n'avons reçu que des catholiques. Certains étaient pratiquants et allaient à la messe à l'église de Siradan mais aucun n'a demandé à faire le Carême ! Je ne sais pas pourquoi, j'hésite à poser la question.
Elle continue :
- Aussi vous comprendrez, qu'il lui faut un potage uniquement préparé avec des légumes et des rations de légumes en plus, d’œufs et de poisson à la place des plats de viandes.
Je ne réfléchis pas plus que cela, je sais bien que les cuisinières vont accepter mais l'infirmière va tiquer car on ne mange pas que des "plantes" si on veut se requinquer et j'accepte d'aller leur en parler. Prenant mon courage à deux mains car je sais bien que si elles n'ont pas une bonne raison pour accéder aux désirs de ce couple, elles vont refuser, je lui demande qu'elle est leur religion. Elle a un très beau sourire et en me tutoyant, me répond :
- Nous sommes Juifs et ordinairement, nous ne pouvons manger que casher. Crois-tu, ma petite, qu'il va y avoir un problème avec tes collègues ?
- Oh ! Mais non, pas du tout, elles ne sont pas comme cela, d'ailleurs elles sont très croyantes elles-mêmes et certaines vont à la messe quand elles peuvent ! Ne vous inquiétez pas, ça va aller !
Je me dirige vers la cuisine. Je fais part de la requête de la dame en n'omettant aucun détail et la réaction est celle que j'escomptais :
- Mais bien sûr ! On va lui faire son potage à part et on va demander à l'infirmière ce qu'il pourra manger à la place des viandes ! Sinon, il ne va pas se remettre, le pauvre, ce n'est pas le but du jeu.
Comme j'avais dit, aucun problème. Je m'apprête à partir - mon vélo m'attend sous le préau - quand la dame s'approche de la grande porte battante. Je lui dis que tout allait bien et toujours avec un immense sourire, elle remercie Bernadette et Annie qui s'approchent d'elle pour se renseigner sur les goûts de son mari. Et je m'en vais, les laissant papoter.
Je reviens à 18 heures 30 pour recommencer le rituel des salles à manger, mais le soir, le couvert est déjà mis par Augustine qui est repartie à 17 heures. La dame me rejoint. Elle me remercie d'avoir fait la commission. Son souhait était normal, comme un autre, mais avant de rejoindre sa place, elle me demande qu'elle est la religion dominante dans la région. Je suis un peu surprise mais poliment, je lui réponds :
- Le catholicisme est majoritaire, cependant il y a un Temple de l'Eglise réformée à Luchon et un autre à Saint-Gaudens. Les protestants sont peu nombreux par rapport aux catholiques.
- Et le personnel ?
- Nous sommes toutes et le jardinier aussi, catholiques mais plus ou moins pratiquants.
- Et vous êtes tous Français ? Il y a beaucoup d'étrangers ici ?
- Oui, les immigrés sont arrivés en masse jusqu'aux années soixante : Italiens, Espagnols, Algériens, quelques Russes et des Polonais et enfin des Portugais depuis quelques années. Le personnel est international (Rires). Mademoiselle, les deux infirmières, Bernadette et Suzanne sont françaises à 100%, la secrétaire est Belge, Augustine est Italienne arrivée en France à l'âge de 20 ans et a obtenu la nationalité française, Annie est Française née en France de parents espagnols réfugiés de la guerre civile, Maria est Portugaise, Henri et moi sommes des "demis".
Elle éclate de rire et me demande dans quelle proportion nous sommes des demis.
- Le père d'Henri est d'origine espagnole par ses parents, je crois, et pour moi, c'est ma mère qui est d'origine italienne par les siens. Et en ce qui concerne l'autre côté, pour tous les deux, nous sommes français à 100% !
C'est bien la première fois qu'une pensionnaire s'intéresse à la population de la région !
Et les jours passent semblables, tout le monde est en forme, le monsieur a pris un bedon et ses chemises commencent à rétrécir ! Ils vont bientôt repartir, le mois s'est presque écoulé, il ne reste plus qu'une semaine. Il fait très chaud, suffocant depuis quelques jours.
Et c'est à midi du vendredi de la troisième semaine que je fais LA gaffe de ma vie !
Il fait tellement chaud que l'orage va éclater dans la journée, j'ai été obligée de fermer les fenêtres de la grande salle et les finistrouns du couloir car les mouches sont arrivées en vagues et la "chasse" m'a pris un temps fou. Malgré toutes les précautions prises, l'air est étouffant à l'intérieur et il n'y a pas de ventilateurs ! A la cuisine, elles sont en nage, les tabliers ouverts et les chemisiers ont été légèrement déboutonnés pour évacuer la transpiration mais bon, elles ont passé la matinée à s'éponger et à se passer de l'eau sur le visage et les bras !
Dans les chambres, malgré les volets fermés, les pensionnaires sont en tenue légère et Suzanne ainsi que Augustine sont trempées, obligées de courir d'une chambre à l'autre. Enfin, bref, tout le monde ressemble à une éponge sauf moi qui ne transpire jamais et qui est comme un poisson dans l'eau vu que plus il fait chaud, plus je suis contente. Mais j'ai quand même pris mes précautions avec le déodorant car il n'y a rien de plus désagréable que d'avoir un incident quand on sert à table ! Mademoiselle, ayant toujours froid, est guillerette mais ses jambes sont énormes et bleues. Elle est fatiguée.
La cloche appelle et les pensionnaires arrivent les uns derrière les autres essoufflés, le visage moite et pour une fois silencieux. Le repas est morne, tout le monde s'aère le visage avec la serviette et râle gentiment parce que je travaille vite comme si la température était normale !
- Tu nous donnes encore plus chaud qu'il ne fait ! (2)
L'infirmière :
- Je m'en vais parce que je vais fondre à cause de vous !
La secrétaire, toujours très aimable, n'est-ce-pas, quand elle me parle :
- Vous êtes pénible ! Il fait une chaleur du Diable et vous bossez comme si de rien n'était ! Mais alors que vous êtes énervante ! Pour une fois, vous ne pouvez-pas faire comme tout le monde et transpirer ? Non, je vous le demande ?
A la cuisine :
- Jackie, arrête de courir, tu es exaspérante, on a encore plus chaud à cause de toi !
Et moi qui pensais remplacer le ventilateur en bougeant dans tous les sens ! Bref, le résultat est tout autre..
Je compatis bien sûr, les pauvres ! Elles souffrent devant les fourneaux allumés depuis 9 heures et je montre bien ma confusion de "maltraiter" ainsi tout le monde mais comment faire d'autre ?
C'est après avoir servi les entrées que je m'aperçois que le monsieur est au bord de l'évanouissement, la sueur coule sur son visage rouge comme une tomate. Il respire mal et je m'inquiète : va-t'il avoir un malaise ? Je me penche vers lui car je voulais voir ses yeux d'un bleu tellement clair qu'ils en sont impressionnants et il me regarde en soufflant. Je m'enquiers de son état et il me répond dans un murmure qu'il va bien. Je suis sûre que non et pour qu'il puisse respirer, je vais ouvrir la fenêtre de l'office, la chaleur va rentrer mais le courant d'air va lui faire du bien. Je reviens vite vers lui car j'ai réalisé qu'en fait s'il déboutonnait sa chemise et relevait ses manches, il serait mieux ! Les autres hommes montrent leurs poitrines sans complexe et portent tous une chemise à manches courtes. Pourquoi pas lui ?
Je lui fais la réflexion en parlant vite et un peu fort pour le faire réagir comme il faut faire mais il devient encore plus rouge et se met à trembler. Ma réaction est celle d'une personne qui travaille dans une maison médicale et j'insiste lourdement. Il refuse énergiquement. Sa femme se lève alors et me prend par le bras pour que nous sortions de la salle à manger. Elle se dirige vers le grand couloir. Bien sûr, je la suis. Elle me dit alors très gentiment, en me montrant son bras :
- Regarde pourquoi il ne veut pas relever ses manches !
J'aperçois une série de chiffres tatoués en noir sur son avant-bras ! Je la regarde ahurie car je ne sais pas ce que cela signifie. Elle sourit et me raconte leur histoire. Elle et sa famille ont été raflés à Paris par les SS au début d'août 1944 tandis que lui et la sienne l'ont été vers la fin avril 1944. Elle n'avait que 20 ans et a été déportée avec sa mère et sa sœur après dénonciation, bien évidemment, à Ravensbrück. Elles sont revenues toutes les trois malades et amaigries vu les conditions de vie ou plutôt de survie épouvantables. Mais elles ont survécu parce qu'elles n'y étaient restées que quelques mois et parce qu'elles étaient ensemble. Le camp a été libéré fin avril 1945 par les Alliés. Elle se souvenait des amoncellements de cadavres, de l'odeur épouvantable des dortoirs, de la mort omniprésente et de l'indicible souffrance ! Elle avait porté l'étoile jaune...
Son mari, âgé de 22 ans avait été envoyé à Auschwitz et comme il était jeune et en bonne santé, il avait été affecté au "nettoyage" des chambres à gaz avec d'autres déportés Juifs. Ils devaient attendre que les longues files de déportés - dont des enfants que les mères serraient contre elles et tentaient de rassurer - entrent par groupes dans les salles où ces pauvres gens, uniquement "coupables" d'être Juifs, étaient gazés. Puis ils enlevaient les corps, les entassaient dans des wagonnets et les jetaient dans les fours afin de les brûler. Lorsque la crémation était terminée, une autre équipe ôtait les cendres et les fours étaient à nouveau remplis.
C'était l'horreur à l'état brut.
Il ne pouvait supporter de toucher les corps sans vie des enfants, surtout des bébés et un des hommes qui "travaillait" avec lui, plus âgé et interné depuis plus longtemps, avait pris sa place à ce poste-là.
Il y avait conduit les siens... Quand il avait fait basculer le corps de son père dans "l'antre du Diable", il avait hurlé à la mort et le SS qui les surveillait l'avait frappé avec la crosse de son arme jusqu'à ce que le sang gicle...
"La banalité du mal"...
Le camp d'extermination a été libéré par l'Armée Rouge le 27 janvier 1945 mais depuis, il s'était muré dans le silence sur cette période où sa jeunesse avait disparu à jamais. Il refusait de montrer son tatouage et les cicatrices qu'il avait sur le corps résultat de la torture... pour que personne ne lui parle de ce qu'il avait vécu.
Durant de longues années les cauchemars avaient hanté ses nuits.
J'ai baissé la tête et mes larmes ont coulé... Je ne savais pas que tout cela avait existé, on ne l'avait pas appris à l'école, au collège, au lycée et en fac. Des cours sur la Shoah n'existaient pas, j'étais ignorante et dans ma tête, à ce moment-là, je me suis sentie coupable. Mais coupable de quoi ? D'avoir voulu faire mon travail en sermonnant ce monsieur ? Mais c'était mon travail de veiller à la santé et au confort des pensionnaires ! Coupable de n'avoir rien appris ? Mais personne ne m'avait jamais rien raconté si ce n'était mon voisin, Charlou, qui ne pouvait oublier ses années "de prisonnier" dans une usine d'armement en Tchécoslovaquie ! On apprenait la Résistance, la Libération et le gouvernement provisoire du Général de Gaulle mais le sort des Juifs : jamais !
La dame a posé gentiment sa main sur mon épaule et m'a attirée vers elle. Doucement, avec cette profonde humanité qui caractérise toutes et tous les déportés que j'ai pu rencontrer après eux, elle m'a rassurée, enfin elle a tenté de me rassurer :
- Mais ne pleure pas voyons, tu n'as rien fait de mal, tu ne savais pas. Ce n'est pas de l'ignorance volontaire, c'est tout simplement parce qu'on ne vous apprend rien, à vous les jeunes. Mais tout changera. Tu n'as rien fait de mal, je te le répète.
Je me sentais nulle mais cela n'était pas difficile dans mon cas. Je lui ai répondu que j'allais m'excuser, elle m'a dit "non, non, il faut oublier" mais je ne l'ai pas écoutée, j'ai dit au monsieur que j'étais désolée, je ne savais pas et j'allais lui porter une serviette mouillée avec de l'eau froide pour qu'il puisse éponger son visage et son cou. Il a souri et n'a rien répondu, sa femme s'est assise à sa place en face de lui, j'ai trempé dans l'eau du robinet un torchon et je le lui ai apporté. Il s'est senti mieux et on ne s'est plus jamais parlé jusqu'au jour où il m'a dit qu'il ne voulait plus manger sa soupe car il sentait bien qu'elle était préparée avec de la viande. Ahurie et quelque part choquée, j'ai demandé aux cuisinières pourquoi ce monsieur n'avait plus droit à son bouillon de légumes. Elles m'ont répondu que c'était du travail en plus et qu'elles n'avaient pas de temps à perdre. J'ai insisté en mentionnant à nouveau le fait qu'il fallait respecter toutes les croyances et ...je me suis fait remettre à ma place assez méchamment. L'infirmière ainsi que la secrétaire en ont remis une couche.
Mais pourquoi un tel revirement ?
En revenant à la maison, j'en ai parlé à ma mère qui, après un temps de réflexion, m'a demandé :
- La famille de la directrice est arrivée pour les vacances, non ?
- Oui depuis deux ou trois jours.
- Ne cherche pas, l'explication est toute simple, elles sont obligées d'obéir si elles ne veulent pas déplaire. Ne sois pas triste, tu ne savais pas et tu as fait ton travail. Après ce que les Juifs ont vécu durant la guerre et à quelques jours de leur départ, le monsieur ne va pas en mourir ! Quand on a subi de si terribles épreuves, se priver de potage n'est qu'une parenthèse...
Elle avait sans doute raison car l'année suivante, Mademoiselle passait la main à sa famille...
A partir de ce jour-là, j'ai entassé les livres et documents sur cette terrible période pour savoir, pour tenter de comprendre - mais cela est impossible - et sans doute, dans la mesure de mes petits moyens, pour transmettre la Mémoire...
Jackie Mansas
30/06/2016
NOTES
1- il y avait six tables de 6 places dans la grande salle à manger, à savoir, la fenêtre, le hall, la cheminée, le fond, le couloir et l'armoire et quatre de quatre places dans l'autre longeant le mur de la rue, appelée "couloir" : la une, la deux, la trois et la quatre.
2 - En général, la plupart des pensionnaires m'ont toujours tutoyée au grand dam de la secrétaire qui trouvait cela "vulgaire" et indécent ! Mais bon, pour elle, je l'étais et en plus comme j'étais bête, selon elle "à manger du foin" (merci Madame j'adore les animaux) rien de ce que je pouvais faire ne trouvait grâce à ses yeux ! Son avis sur moi m'important peu, je n'allais tout de même pas dire aux personnes "mais vouvoyez-moi bon sang !". C'aurait été franchement ridicule ! Et en plus comme je savais que ça l'énervait...
On peut lire aussi sur internet :
http://www.jewishgen.org/ForgottenCamps/Camps/BuchenwaldFr.html
http://enenvor.fr/eeo_edu/resister_dans_les_camps_nazis/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ravensbr%C3%BCck
http://shoah-solutionfinale.fr/libcamps.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Auschwitz
http://www.ladepeche.fr/article/2005/01/27/341998-une-deportee-temoigne.html
http://www.ladepeche.fr/article/2005/01/28/152898-ravensbrueck-l-horreur.html
http://www.ladepeche.fr/article/2011/03/09/1030460-tarbes-nous-les-femmes-on-doit-resister.html
http://www.ladepeche.fr/article/2010/10/15/927525-tarbes-20e-saison-pour-le-jeune-theatre.html
Ayant appris que des personnes indélicates se servent en les transformant, de mes articles à des fins personnelles, je me vois obligée de les faire protéger juridiquement.
RAPPEL :
https://www.adagp.fr/fr/droit-auteur/les-textes
LE CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
Deux lois ont posé les grands principes du droit d’auteur :
- la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique ;
- la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle.
Les dispositions de ces deux lois ont été intégrées au code de la propriété intellectuelle (« codifiées ») par la loi n° 92-597 du 1er juillet 1992.
C’est aujourd’hui le code de la propriété intellectuelle, complété notamment par la loi « DADVSI »du 1er août 2006 et les lois « HADOPI » de 2009, qui constitue le texte de référence en matière de droit d’auteur.
>> Consulter le code de la propriété intellectuelle sur Légifrance.
Une maman dans la jungle cambodgienne au temps de l'infâme Pol Pot
Avant de vous raconter l'histoire de vie de cette dame cambodgienne (dont je ne me rappelle plus du nom, veuillez me pardonner) venue en convalescence après une maladie à la maison de Repos et de convalescence de Sainte-Marie à Siradan, je crois que c'était en 1979, il me semble, mais tout me semble si loin depuis quelques temps, nous allons nous rémémorer cette affreuse période du génocide cambodgien qui a duré de 1975 à 1979.
Elle était ce que l'on nomme ces gens ayant échappé aux tortures et à la mort dans leurs pays d'origine, une réfugiée politique. Le Cambodge était sous la coupe du sinistre et sanguinaire Pol Pot et durant ces quatre années, sous son "règne", 20% à 30% de la population fut torturée et tuée avant que les Etats-Unis n'interviennent et libèrent le pays.
Elle était directrice d'école à Phnom Penh, femme de ménage à Paris car malheureusement, la France ne reconnaissait pas la validité de ses diplômes mais elle ne désespérait pas de pouvoir enseigner à nouveau - en France et en français, langue qu'elle maîtrisait à merveille puisque le Cambodge avait été sous domination coloniale française, un protectorat - car elle étudiait le soir après avoir travaillé toute la journée pour nourrir sa nombreuse famille.
Elle avait eu huit enfants mais en avait perdu deux dans des circonstances atroces et avait vu son mari professeur dans un établissement équivalent à nos lycées, mourir décapité par les sbires de Pol Pot.
Son fils aîné étudiait en France lorsque Phnom Penh tomba en 1975 et après la mort de son mari, sachant que son tour viendrait ainsi que celui de ses enfants, elle décida de fuir et de rejoindre la France avec d'autres familles de collègues, de parents et d'amis. C'est son fils qui, depuis Paris, avec le concours des filières officielles, organisa leur fuite via le Laos et ses camps de réfugiés puis les boat-people...
Après un voyage épouvantable, l'arrivée tant espérée, tant attendue : fouler le sol français, la Terre Promise en quelque sorte.... Elle en parlait avec un tel amour....
Dès leur prise de pouvoir les Khmers rouge ne chômèrent pas. Les professions dites "intellectuelles" étaient les premières visées, ainsi que... ce serait risible si ce n'était aussi atroce... les myopes, car porter des lunettes était un signe ... d'intellectualisme à l'occidentale ! Il faut remarquer au passage que Pol Pot avait été étudiant en France tout de même... comme tout bon bourgeois de l'élite sociale cambodgienne !
Le fils aîné de cette dame avait déjà 28 ans en 1979 et elle était .... grand-mère ! Bien sûr, ses derniers enfants étaient lycéens et collégiens...
Elle était une jeune femme de 45 ans environ, petite mais très belle, brune de teint et de cheveux, des yeux noirs immenses, un sourire plein de joie en permanence ce qui avait pour résultat que lorsqu'on connaissait son histoire, on ne pouvait qu'admirer sa sérénité. Elle disait : "la France m'a donné le droit d'espérer à nouveau que le monde pouvait être beau et les humains gentils"....
Oui ? Ah bon, j'avais appris quelque chose ce jour-là...
Sans nous attarder, passons tout de suite au récit de cette jeune femme.
Comme je "faisais" les nuits en plus du service à la salle à manger, j'avais une autre approche avec les pensionnaires. Lorsque le "cafard" leur prenait la nuit, elles sonnaient, c'était un soin comme les autres : l'écoute est très importante. Et j'adore cela écouter les autres. Même et surtout si j'ai une réputation de bavarde !
Mais qui a vraiment vérifié sauf dans quelques cas, disons, improbables.... Hein ?
L'été touchait à sa fin et les pensionnaires , femmes et hommes, n'étaient plus aussi nombreux. Tout était calme, tranquille. Bien sûr, je ne dormais pas bien étant réveillée par les sonnettes au moins trois fois par nuit, ce qui avait pour résultat une grande fatigue le lendemain matin surtout lorsqu'il fallait enchaîner avec le service de salle. Je n'avais pour étudier que l'après-midi après une courte sieste.
Mais bon quand on est jeune, on a tous les courages.
La dame cambodgienne était venue en août très amaigrie après une maladie mais vu le bon air, la bonne nourriture, les bons soins et les promenades pour se muscler un petit peu, ce que l'on ne pouvait faire à Paris, elle s'était bien remise et le médecin lui avait accordé un mois de plus.
Dans le groupe de pensionnaires, il y avait plutôt des femmes d'un certain âge et une ou deux cinquantenaires. Elle était donc la plus jeune. Et il n'y avait plus qu'un seul homme genre grande gueule et monsieur-je-sais-tout qui avait bien entamé la décennie des septuagénaires. J'ignore quel métier il avait eu mais vu son caractère autoritaire, on pouvait imaginer qu'il avait commandé toute sa vie. Il était veuf je crois mais bon, c'est si loin....
Il parlait mal aux dames comme si elles étaient inférieures et elles ne répondaient jamais. On aurait dit qu'elles avaient l'habitude.... Il avait eu quelques accrochages avec les infirmières mais vu leurs caractères à elles aussi, il s'était vite calmé. Quant à moi, c'était comme si je n'existais pas, ce qui m'arrangeait au plus haut point. Mais vu que les repas étaient en général un moment plus que de détente, n'est-ce-pas, il ne rouspétait pas de mes réparties et de mes plaisanteries, non, il en riait comme les autres.
Je crois qu'il avait eu une dispute aussi avec Suzanne et ça c'était plutôt mal passé.... pour lui, le pauvre ! Fallait pas oublier qu'on ne parle pas mal à une baroussaise au fichu caractère mais gentille comme un bonbon fondant... Cela, il ne l'avait pas compris.
Un soir de garde, la dame cambodgienne me demande si je peux laisser la télé allumée après 22 h car il y a une émission sur le Cambodge qui venait de tomber aux mains des américains et elle souhaitait revoir son pays surtout maintenant délivré.
J'accepte bien sûr, je me doute bien que si elle l'a fui parce que des assassins en avaient fait un cimetière, elle ne peut qu'être heureuse que son peuple soit redevenu libre....Et je la laisse toute contente.
Le soir, à 22 heures, je n'éteins donc pas les lumières dans la galerie et je me dirige vers la télé croyant qu'elle y était et pour regarder moi aussi l'émission. Mais non, il y avait le pensionnaire et quatre femmes de sa cour rapprochée.
Il a le culot de me dire que la... "jaune" n'était pas venue regarder le match de foot et que comme ils avaient la permission de rester plus longtemps grâce à elle et bien ils restaient là.
Non mais, à votre avis, il ne se fichait pas de moi là ? L'autorisation était pour elle et pour ceux et celles que la libération du Cambodge intéressait, pas pour lui et sa cour pour une émission débile sur le sport en plus, je crois ... et puis le "la jaune" m'avait fortement déplu...
"Faut pas pousser Jackie dans les orties"....télé éteinte et tout le monde au lit, non mais !
On va voir ce qu'il s'est passé demain matin...
Le lendemain donc, comme le soir je n'étais pas de garde mais je devais quand même faire la journée, elle vient me rejoindre dans l'office et elle me raconte ce qu'il s'était passé.
Le bonhomme s'était plaint auprès d'elle, qu'à cause d'elle justement et de son Cambodge "à la noix" : "mais qu'ils s'entretuent, ça fera moins de Chintocks sur la Terre ! on s'en fout ", il avait été privé de télé comme un gosse ! Par une gamine en plus qui se croit tout permis... gamine à 30 ans... Enfin...
Elle s'excuse des histoires qu'elle avait déclenché. Mais que lui avait-il dit exactement pour qu'elle ait tant pleuré ? Après bien des hésitations, elle m'avoue :
- il m'a dit que si je voulais revoir le Cambodge, je n'avais qu'à y retourner, qu'il y avait assez d'étrangers en France, qu'il fallait que les français les nourrissent avec leurs impôts, que tous les "jaunes" étaient des voleurs et des assassins et que si on les avait colonisés c'était parce qu'ils étaient comme "les nègres" et les "bicots", des animaux.... pour les civiliser !
Et que lui, voulait voir le match dans son intégralité et que si je n'étais pas contente, je n'avais qu'à faire ma valise et partir, que si j'étais là à me reposer c'est parce que lui payait pour moi, pour tous les feignants qui venaient se réfugier en France soi-disant..." etc.
Et elle se remet à pleurer. Je suis comme une statue de sel ; de l'autre côté du passe, les deux cuisinières écoutent rouge comme des pivoines parce qu'aussi choquées que moi. On ne sait que dire, que répondre...
Mais tout d'un coup, la rage me prend et je pose brusquement les assiettes sur l'évier, je m'apprête à monter jusqu'à la galerie où il pérore au milieu de sa cour mais la dame me retient en me serrant le bras et les cuisinières me crient :
"Non Jackie, ne dis rien, ça ne servira qu'à envenimer les choses, tu sais, les racistes, on ne peut rien en faire ! Il faut les ignorer et faire comme s'ils n'existaient pas !".
La dame me supplie : "Promets que tu ne diras rien, sinon, ça va être l'enfer pour moi, tu sais, à Paris, j'ai l'habitude...".
Je boue intérieurement mais je me rends à leurs arguments, elles ont raison mais je n'ai pas dit mon dernier mot. Il va voir ce que "la gamine" est capable de faire quand elle a décidé de se venger...
Et il a vu... officiellement ça n'avait rien à voir avec ses opinions sur les immigrés mais sans doute à cause d'un caprice parce qu'il avait voulu abuser de la situation pour continuer à regarder la télé...
Mais pour celles qui ont compris et qui n'ont rien dit, il a mieux valu faire profil bas.... Comme disait ma mère : " Il ne faut jamais faire un tour de cochon à quelqu'un de gentil, sinon gare au retour du bâton !"...
Non, mais... et si lui il avait été à sa place, il aurait bien aimé que la France lui ouvre les bras non ?
Bon, oublions, ces "choses" négatives, on les connaît, c'est l'essentiel pour les combattre et passons aux "choses" sérieuses...
Ce soir de presque fin septembre donc, une fois que 22 heures eurent sonné, que j'eus éteint la télé et les lumières, c'est-à-dire que j'avais mis les veilleuses depuis le grand tableau électrique dans la lingerie, je descendis au rez-de-chaussée vérifier que tout était bien fermé.
Nous n'avions pas de jeunes femmes parmi les pensionnaires alors, je n'avais pas à attendre 23 heures qu'elles rentrent du bistrot où, en général, elles allaient passer la soirée en compagnie des hommes du pays, n'est-ce-pas...
Ah ! les "ruraux", quels vrais hommes !
Véridique : les parisiennes en étaient persuadées, elles s'inventaient des maladies pour venir vérifier cette réputation... Il ne faut ni juger ni en rire car voyez-vous, cela faisait travailler un grand nombre de gens même si ce n'était pas très moral, ni très honnête et si cela agrandissait de façon démesurée, le trou de la Sécu ! Il y avait quand même jusqu'à treize employées, plus les sous-traitants, le médecin et les à-côtés...(1)
Une fois ma ronde effectuée, je remonte vers ma chambre mais je vois que quelqu'un est encore là devant la télé éteinte. C'est la dame cambodgienne qui m'attend les yeux brouillés par les larmes. Je me dirige vers elle, m'assieds et gentiment, je lui demande ce qu'elle a. Elle me répond avec un hoquet de sanglots étouffés :
- Je t'attendais, j'ai besoin de parler à quelqu'un, tu sais. C'est vrai qu'ici je suis bien, je me repose, je vais beaucoup mieux mais depuis le soir où j'ai demandé à regarder l'émission sur mon pays, tu vois, tout le monde est moins gentil avec moi. On dirait que je gêne...
Moi : - Vous gênez qui ? On vous a dit encore quelque chose de méchant ?
Elle : - Oh ! quelques piques comme quoi les étrangers devraient rentrer dans leurs pays par exemple et avec leurs familles même si la femme ou le mari est français...
Moi : - Et bé dis donc, si les étrangers et enfants d'étrangers devaient s'en aller, ici par exemple, dans la région, il ne resterait pas grand monde et la Maison de Repos ne pourrait pas fonctionner vu que si on m'enlève à moi qui suis mélangée, le reste du personnel est à 80% d'origine étrangère...
Heureusement alors qu'une des cuisinières est franco-française parce que je ne me vois pas faire la cuisine, ce ne serait plus du repos mais l'annexe des Pompes Funèbres.....
Elle qui éclate de rire parce que quand je veux me moquer du monde et de moi en particulier, j'ai une façon de parler un peu bizarre : - C'est à ce point ? Tu ne sais pas cuisiner ? Pourtant c'est agréable tu verrais comme on peut se régaler si tu goûtais à un plat cambodgien...
Se régaler d'accord, cuisiner c'est autre chose !
Bon ça va, il n'y a rien de tel que le rire pour se sentir un peu mieux dans ce monde cruel, elle reprend des couleurs et de tranquillité d'esprit. Je suis contente mais ça ne suffit pas, il faut qu'elle libère sa peine
Ce que nous saurons la prochaine fois. Rassurez-vous, ça ne va pas tarder...
Préparez-vous au pire des cauchemars surtout vous les mamans....
Jackie Mansas
22 octobre 2021
NOTES
1 - les bistrots, la pharmacie, les épiceries, les boutiques de souvenirs, les magasins de fringues et esthétiques, les cinémas parfois et quelques gigolos qui se faisaient ainsi des "revenus supplémentaires" : et oui !
3- 1942-1944 : comment éviter de se faire prendre lorsque l'on va ravitailler les maquis...
Bassin de Saint-Bertrand en paramoteur: les montagnes salvatrices au loin. Groupe de passeurs durant la guerre *
Dans l'article précédent, je vous ai raconté que les bertrennais qui ravitaillaient les hommes du maquis dans le massif du Gert d'Izaourt jusqu'à Troubat, avaient trouvé des combines pour éviter la surveillance des collaborateurs qui habitaient tous à proximité du bistrot, centre névralgique du village.
Mais ces hommes qui vivaient dans la forêt du Gert en permanence étaient en contact obligatoirement avec le maquis de Nistos, très actif dans les actions de sabotage. Comme ceux des autres petits maquis dans le Hourmigué ainsi que ceux qui faisaient la liaison entre la vallée de la Garonne et Nistos, village qui se trouve derrière le Montsacon à quelques encablures de Saint-Bertrand, Sarp, Aveux par la montagne.
La Résistance avait besoin d'hommes dans la vallée de la Garonne pour garder au moins les goulets des vallées depuis Luchon et Saint-Béat jusqu'à la plaine de Rivière à partir de Labroquère et le plus important était celui de Luscan-Izaourt au pont de Luscan et à l'entrée de Bertren.
C'est pour cela qu'il est intéressant de bien étudier le terrain et de connaître les gens qui se trouvaient dans les petits maquis "gardiens" ainsi que toute l'intendance qu'il y avait autour afin qu'il n'y ait pas de massacre, les Allemands étant surarmés et capables de tout, ils l'avaient prouvé dans d'autres lieux.
Et puis, remontant vers la Normandie, ils n'avaient rien à perdre à laisser derrière eux la désolation et la mort. De cela, les Résistants en avaient conscience, aussi faisaient-ils très attention à ce qu'aucun incident n'éclate surtout avec "les derniers moments", très excités à l'idée de "faire un carton" et de devenir des "héros".(sic)
Le maquis de Nistos-Esparros a joué un rôle très important dans la lutte contre l'occupant allemand dans la Neste, à Lannemezan, Capvern. Les maquisards étaient cachés dans la montagne et ceux qui ont été pris, torturés, tués et pire, fusillés pour rien, ne l'ont été que parce qu'ils avaient été dénoncés. Les vallées d'Aure et de Louron ont connu le même destin que celles de Barousse et du Haut-Comminges car beaucoup trop étroites pour que les Nazis se fassent plaisir en massacrant la population, mais pas la Neste, la bataille de Hèches en août 1944 en est le sinistre exemple.
Vous pouvez consulter plusieurs sites consacrés au maquis de Nistos-Esparros. Pour expliquer sa création, j'ai préféré effectuer une capture d'écran des textes écrits par des personnes qui ont pu connaître ou qui ont participé aux actions commises contre les Allemands. Et puis comme ces sites sont très complets, très bien documentés, il vaut mieux les parcourir, c'est pour cela que je n'ai pas fait de résumé. Pour agrandir les photos afin de mieux les lire, cliquer une fois sur elles. Utilisez les flèches à droite pour avancer. Vous y trouverez aussi le récit du crash du Halifax dans le Douly avec beaucoup de photos.
Ce que je vais vous rapporter m'a été raconté et pour combler les lacunes, j'ai réfléchi à l'urbanisme du village de Bertren pour bien comprendre les relations entre une partie de la population garonnaise et les groupes de Résistants, sans qu'ils se fassent prendre. Mais il faut dire que les habitants d'Izaourt, Anla, Ilheu, Samuran, Troubat, Thèbe, Cazarilh, Sost, Esbareich.... Bagiry, Sainte-Marie, Siradan Saléchan, Esténos et Cierp ont fait de même et ce serait bien qu'on se les rappelle, ces hommes et ces femmes qui ont risqué leurs vies...
Je n'oublie pas bien évidemment que tout le monde agissait de la même manière dans tous les villages situés contre les montagnes où se trouvaient des maquis. Ils ont sûrement utilisés des méthodes semblables mais je ne connais à peu près bien que celles de Bertren. Un travail de recherches serait le bienvenu partout.
Il faut aussi rappeler que de l'autre côté de la Garonne, l'organisation était semblable à celle de la Barousse garonnaise.
Mais là, en mai 1944, cela s'est terminé dramatiquement avec la mort d'une jeune femme de 23 ans, Suzanne Agasse, qui portait les messages aux Résistants soit à pieds dans la montagne du Pujo - le passeur était l'un des chefs du maquis des Frontignes un dénommé Bordes - bête noire du sergent Dethlefs, chef de la Grenzpolizei de Luchon à partir de mars 1944 mais il l'avait repéré dès son arrivée comme subordonné en mars 1943 ; soit à vélo pour rencontrer d'autres membres à Luscan et Barbazan.
Elle faisait également la liaison avec le maquis de Barousse et se rendait à Loures, le vendredi jour de marché, à l'Hôtel des Pyrénées base des différents réseaux de Barousse, celui de Monseigneur Salièges qui amenait les Juifs en Espagne, des réfractaires au STO et des officiers Alliés. Ceci jusqu'à l'arrestation des époux Farrou, les hôteliers et leur déportation. Mr Farrou mourra en déportation, il a reçu la mention mort pour la France au titre de la Résistance mais je ne sais pas si son nom se trouve sur un quelconque monument aux morts... Madame Farrou est revenue marquée de la déportation et s'est retirée à Ferrère son village natal.
Pour mieux les connaître :
Deux autres réseaux existaient en Barousse : celui qui était dirigé par un dénommé Barrère depuis le garage Soca à Izaourt et à Saléchan, à la gare, Madame et Monsieur Verdier qui s'étaient déjà distingués en 1939 lors de l'arrivée en France des Espagnols fuyant la guerre civile.
Ci-dessous témoignage de la personne d'Izaourt qui travaillait avec le dénommé Barrère, mécanicien au garage Socca (3)
Au moins , grâce à ce récit, nous apprenons que deux ou trois familles d'Anla aidaient la Résistance. Ainsi qu'à Loures.
Evidemment, Dethlefs avait de sérieuses amitiés et affinités..... à Galié alors que la Résistance avait fait de ce village l'une de ses bases les plus importantes, puisqu'il se trouvait au goulet, très, très dangereux de Galié-Bagiry. On ne pouvait traverser la Garonne que par un gué parce que la passerelle avait été emportée par la crue de 1936. Le pont n'a été construit qu'après la guerre.
Revenons à Bertren.
Les protagonistes :
Célestin Bon, instituteur à la retraite, né en 1890 de parents agriculteurs, belle propriété, deux maisons de maître avec de belles dépendances. Marié à Hermance et père de trois enfants : Denise, Marie et Louis. Propriétaire du domaine d'Ardoun avec étable et puits jouxtant le Montégut et le Mombourg ainsi que la propriété Pomian de belle facture, elle aussi. Entre le Montégut et le Mombourg, il existait un petit col, dit de Laouès qui permettait de rejoindre Bertren et Luscan par des sentiers très pentus.
Et en remontant entre le Mombourg et le Castéra, les prés d'Escalamas. Dans les rochers, sur le sentier de Bertren en contrebas, se trouve une grotte que l'on ne peut voir que si l'on connaît l'endroit ; il s'agit d'un trou au ras de terre qui se prolonge par une galerie où l'on ne peut passer qu'en rampant pour déboucher sur une grande salle.
Des galeries existent et parfois, des randonneurs sans doute spéléologues qui connaissent l'endroit, y passent la nuit, on aperçoit depuis le village, de la fumée sortir de la forêt, car une galerie au moins est dotée d'une cheminée naturelle. Il faut faire attention si on se balade dans les pâtures de ne pas tomber dans les trous.
Dans notre enfance, ma soeur et moi y sommes entrées, guidées par un ancien résistant. Tout au fond de la galerie dans l'immense salle, il y avait encore une table plus que rustique couverte de poussière sur laquelle une bouteille de vin vide et des verres semblaient figés. Il me semble qu'il y avait aussi un banc et deux chaises délabrées et dans un coin, à gauche, un tas de branches et de bûches qui paraissaient attendre qu'on les allume..
En fait, mon père faisait une coupe avec deux autres hommes dans le Montégut qui n'était pas aussi boisé que maintenant et il y avait un monsieur de Luscan, je crois, qui était venu les voir ainsi qu'un autre homme d'Izaourt qui gardait ses moutons dans les prés d'Escalamas.
Maman nous amena rejoindre notre père pour "prendre l'air" comme elle disait et c'est ainsi que le monsieur de Luscan nous fit visiter ce haut lieu de la Résistance en nous donnant toutes les explications nécessaires. C'était, il me semble, à l'été 1955, j'avais 8 ans, ma soeur 5 ans et demi et notre frère n'était pas né.
Je me souviendrai toujours de cette découverte extraordinaire.
J'oubliais : tout au fond sur la gauche, il y avait un trou dans le plafond de la grotte et la lumière du jour y entrait tamisée. Les rayons du soleil de fin d'après-midi rasaient les parois humides de la grotte et c'était féerique comme hors du temps.
Célestin Bon servait de traducteur car si tous les hommes savaient lire, ils ne connaissaient pas toutes les subtilités du français et pour écrire, ce n'était pas leur truc.... et puis, comme le fameux sergent patrouillait sans arrêt dans la Débarrade et par le chemin d'Ilheu pour arriver à les prendre, il était un éleveur tranquille, ses moutons paissaient paisiblement et lui, coupait le bois.... Mais les maquisards dormaient dans l'étable plutôt que dans la grotte froide et humide.
Au centre du village se trouvait le bistrot Castex. Jean Castex avait été avant sa retraite, clerc de notaire et sa femme, dotée d'une très forte personnalité et d'un fort caractère était une championne dans le domaine comptable et dans celui de la psychologie des humains qui la côtoyaient.
En face du bistrot, l'ancien relais Sécail habitée par un couple de rentiers, les Mondon. Ils avaient pour métayers une famille franco-italienne dont le mari non seulement faisait marcher la ferme mais en même temps travaillait aux fours à chaux Couret à Izaourt.
Luigi dit Louis, après une errance volontaire entre l'Italie (Toscane), les Etats-Unis et la France s'était fixé dans ce coin des Pyrénées où l'on avait besoin de cultivateurs vu le nombre de morts durant la première guerre mondiale. Il avait rencontré sa femme, une baroussaise et ils avaient une fille. Il élevait des agneaux parmi les siens et ceux des Mondon qu'il tuait pour la Résistance mais il ne portait pas, la nuit, toute la viande qui pourrirait sûrement, il faisait de nombreux voyages en alternance avec mon père. J'ai déjà raconté que pour donner le change sur l'amitié entre les deux hommes, Louis s'arrêtait chez ma grand-mère qui lui donnait une bonne assiettée de soupe. Il était facile de se mettre d'accord sans que personne ne s'aperçoive de rien.
Je raconterai une autre fois l'histoire des soupes ....
Raymond et Mariette Castillon habitaient à la sortie du village - avant la lande - et l'endroit était assez désert, il n'y avait que deux maisons un peu plus loin le long de la voie ferrée, une à la halte de chemin de fer habitée par deux soeurs couturières, et la petite maison voisine était habitée par une dame, Madame Pradère, qui nous donnait toujours des bonbons quand on passait et qui était passionnée par la culture des œillets de poète, il y en avait partout sur son terrain. C'était super beau.
Raymond travaillait aussi aux Fours à chaux d'Izaourt.
Les coursiers :
trois ou quatre jeunes hommes de 15 à 17 ans deux de Bertren et deux de Bagiry, galopaient de massifs en massifs pour porter des messages depuis la gendarmerie de Loures, toute acquise à la Résistance mais qui se mettait en danger car la kommandantur de Saint-Bertrand et la Grenzpolizei de Luchon était très assidues auprès de la bonne société locale ! Ils profitaient des vertus des eaux de Barbazan, se délectaient des soirées au casino de Loures et à celles de celui de Barbazan. Lors de ma rencontre avec les anciens maquisards baroussais, il y en a un qui a dit rigolard :
-"Ils devaient boire de l'eau avec parcimonie mais c'était plutôt le whisky et le champagne qu'ils descendaient puis ensuite ils allaient flamber aux jeux. Les cons ! Il n'y a que de la chance pour la canaille : allez, va, Cou de Cigogne n'a jamais attrapé la colique avec l'eau de Barbazan...."
Bon, il l' a attrapée à Luchon mais dans d'autres circonstance alors.... (4)
Les quatre jeunes hommes étaient dans le collimateur de Cou de Cigogne et un jour de juillet 1944, il réussit à en attraper deux ou trois qui réussirent à s'échapper. Il fit régner la terreur sur Bertren et un jour, je vous raconterai à quel point cet homme malgré sa cruauté et sa dangerosité, avait les nerfs fragiles parce que fuir devant des vieilles femmes en colère, qui parlaient en gascon, langage que le traducteur ne savait pas traduire, il faut le faire....
Clic sur la première photo.
Photo 1 : vue aérienne actuelle de Bertren . Ligne rouge , le trajet que mon père faisait: sa maison, il part par le chemin de Campénard, toque aux volets de la maison Tomps puis repart vers le bistrot. Ligne blanche, le trajet plus court mais qu'il ne pouvait faire parce que les collabos habitaient tout au long.
Photo 2 : Bertren en 1954, on peut si on veut reporter le trajet ci-dessus mentionné.
Photo 3 : ligne blanche dans la montagne, trajet plus long.... Ligne bleue, trajet de retour à partir du carrefour de la Baderque.
Sur les trois photos ci-dessus, j'ai souligné d'un trait rouge le trajet que mon père prenait les nuits où il était "de service" après 10 heures du soir et le couvre-feu tombé, après le passage de la patrouille sur la route nationale. Il partait donc de sa maison qui se trouvait en face de la mairie actuelle par le verger, rejoignait le chemin de Campénard, débouchait au Sacré-Coeur, tapait au volet de la maison de son meilleur ami et petit cousin, Mr Tomps, c'était le signal.
On se souvient que ce monsieur dont j'ai raconté un pan de son histoire dans l'article "Le coup de Belges", souffrant d'insomnie, montait et redescendait la rue du Vignaou par intermittence certaines nuits.
En fait, il commençait son manège dès que mon père avait toqué au volet. En montant et en redescendant, il surveillait le centre du village où se trouvaient les collaborateurs. Mon père avait imaginé ces détours et ceux de la montagne car le plus dangereux de ces gens habitait la métairie de la famille Bougues juste au bout de la rue de l'église avant l'intersection avec le chemin de la Débarrade. L'homme surveillait toutes les nuits.
Cou de Cigogne n'allait - officiellement - jamais le voir, mais il faisait son rapport à ceux qui le recevaient. Avec ce trajet inconnu, il ne voyait jamais personne passer et s'emportait contre "les Rouges" qui narguaient la grande nation allemande et son troisième Reich !
Entrée dans le bistrot en prenant toutes les précautions, la place actuelle du Bout du Vignaou ou Quatre-Chemins n'existant pas : en fait c'était le verger du relais entouré de deux hauts murs mais on pouvait sauter celui de la rue du Vignaou pour se cacher en cas de danger derrière le poulailler, les lapinières ou la cochonnière.
Louis n'avait que la rue à traverser mais il lui fallait prendre toutes les précautions possibles car une fois le couvre-feu tombé et la patrouille passée, des ombres surveillaient, cachées dans les recoins de l'église et des maisons. La présence lourde et ahanante de Mr Tomps ramenait le calme car tout le monde croyait à ses insomnies...
Mais à cause de cela, l'abominable collabo de la rue de l'église pestait du plus fort qu'il pouvait, n'essayant même pas de cacher la haine qu'il éprouvait pour le brave homme qui, par sa présence nocturne aux Quatre-Chemins, l'empêchait de bien surveiller. Mais ce qu'il pensait et faisait était connu de tous... Alors !
Autant Louis que mon père prenait les sacs sur le dos et sur la poitrine, autour de la taille, filait dans l'arrière-cour du bistrot (située derrière la dépendance jouxtant l'église) domaine des poules, des lapins et du cochon, sortait par un trou caché par les antiques hortensias de l'ancien cimetière, empruntait une petite corniche courant le long du chevet de l'église et se retrouvait dans la ferme de Mr Tomps - qu'il avait hérité d'un cousin - en fait dans le jardin ;
Il entrait dans la cour de la maison puis se dirigeait vers le verger, planté de pruniers, longeait le ruisseau qui coulait tout le long de la clôture avec l'arrière-cour de la maison Cap, remontait le long des murs des jardins du castet puis empruntait la servitude qui existait dans ce verger au profit de la propriétaire du castet Madame Françoise Castéran. Elle laissait son portillon de la rue du Bediaou ouvert. En regardant bien si personne de la métairie Bougues ne se dissimulait - mais la vue était large et bien dégagée, il ne pouvait se tromper - il se faufilait rapidement entre les deux bordes puis prenait le sentier qui traverse la forêt à mi-hauteur du massif de Passade. Il débouchait dans la Débarrade après le croisement avec le chemin de la Baderque. Ni vu ni connu.
Louis reprenait ce trajet en redescendant mais mon père prenait la Baderque, sautait dans le grand verger de son cousin Bertrand Vignolle et hop en trois enjambées, il se retrouvait chez lui, ni la maison neuve, ni la mairie anciennement école n'existaient (voir photo de 1954). Ni vu ni connu. Mr Tomps attendait que tant mon père que Louis soit rentré chacun chez lui pour redescendre se coucher. Il devait être 2 heures du matin à chaque fois.
Je vous raconterai plus tard pourquoi ils n'ont jamais été dénoncés ce qui faisait enrager Cou de Cigogne mais sachez qu'une fois que les collabos enfuis avec les chefs nazis avant le 15 août 1944, sont revenus grâce au décret de de Gaulle en 1946, le brave homme et sa famille subirent un véritable enfer. La vengeance commençait. Il fut accusé de collaboration - tiens donc - et surtout d'être trop curieux.
Et oui, la nuit où les Belges ont disparu, il surveillait pour le compte des ravitailleurs et sans doute qu'il avait entendu ce qu'il s'était passé dans cette maison .... Mais il ne pouvait rien dire, parler c'était mettre en danger le maquis, les passeurs et les ravitailleurs. Alors il s'est tu et a vécu le pire. Il fut le premier d'une longue liste qui n'est pas terminée....
A suivre
Jackie Mansas
31 juillet 2019
On a une vision plus large et claire de la situation en se référant à la carte d'état-major de 1866. Bien qu'il n'y avait pas autant de maisons dans le village mais vous pourrez voir tous les sentiers.
Photo 1 : vue générale, délimitation de l'ensemble fortifié jusqu'au 20ème siècle.
Photo 2 : en rouge le trajet que faisaient Louis et mon père pour échapper à l'abominable de la métairie Bougues.
Photo 3 : en jaune les sentiers qui existent à mi hauteur du Mailh de Passade (ligne verte pour la délimitation avec le mailh du Picon). Bleu la Goutille et le sommet du mailh.
Photo 4 : en bleu, les anciennes routes carrossables qui sont devenues des sentiers mal entretenus ou bien coupés bêtement par des pistes, ou bien recouverts de ronces qui relient Bertren à Ilheu et Anla. En jaune, le sentier qui reliait le village aux prés d'Escalamas entre le Castéra et le Mombourg et à Luscan.
En rouge, le trajet pris par les résistants en cas de danger, ils les menaient à la grotte invisible. Dethlefs aurait pu chercher avec ses hommes, ils n'auraient pas pu la trouver. Il leur aurait fallu des drones....
NOTES
http://maquis-nistos-esparros.chez-alice.fr/necrologie.php
http://www.le65.com/maquis-nistos-esparros/histoire.php
2 - http://www.ajpn.org/departement-Ariege-9.html
3 -http://www.ajpn.org/commune-Izaourt-65230.html
4 - voir article sur le mariage de mes parents
* je pense avoir trouvé cette photo sur le site de Loucrup65. A moins que ce soit sur le site ajpn. Désolée pour avoir oublié.
PETIT RAPPEL HISTORIQUE
Le 14 juin 1940, les troupes allemandes défilent à Paris, sur les Champs-Élysées.
Le 20 ils sont à Brest, le 22 à La Rochelle, à Lyon...
Le 22 juin 1940, la France écrasée signe l'Armistice.
Les Allemands mettent en place toute une série de mesures pour limiter sur le territoire la circulation des personnes et des marchandises et le trafic postal entre deux grandes zones délimitées par la ligne de démarcation qui sépare la zone libre où s’exerce l’autorité du gouvernement de Vichy, de la zone occupée par les Allemands. La ligne de démarcation traverse treize départements sur 1 200 km : Ain, Allier, Charente, Cher, Dordogne, Gironde, Indre-et-Loire, Jura, Landes, Loir-et-Cher, Pyrénées-Atlantiques, Saône-et-Loire, Vienne.
Nombreux sont ceux qui souhaitent franchir la frontière des Pyrénées tout en évitant les prisons espagnoles et le refoulement en France. Aidés par des résistants locaux, des réseaux anglais, belges, polonais se mettent en place pour permettre l'évasion de leurs ressortissants. De même, les premiers Français libres tentent de passer à travers les Pyrénées ariégeoises.
La Demarkationsline disparaîtra le 11 novembre 1942, après l’occupation totale de la France. (2)
Ayant appris que des personnes indélicates se servent en les transformant, de mes articles à des fins personnelles, je me vois obligée de les faire protéger juridiquement.
RAPPEL :
https://www.adagp.fr/fr/droit-auteur/les-textes
LE CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
Deux lois ont posé les grands principes du droit d’auteur :
- la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique ;
- la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle.
Les dispositions de ces deux lois ont été intégrées au code de la propriété intellectuelle (« codifiées ») par la loi n° 92-597 du 1er juillet 1992.
C’est aujourd’hui le code de la propriété intellectuelle, complété notamment par la loi « DADVSI »du 1er août 2006 et les lois « HADOPI » de 2009, qui constitue le texte de référence en matière de droit d’auteur.
>> Consulter le code de la propriété intellectuelle sur Légifrance.
les "immigrés" de Mauléon-Barousse : les charbonniers italiens dans les années 1920.... 2
Feuilletons la Gazette des Vallées n°6 juillet-août 1998.
Joséphine continue de raconter une vie faite de joie, de peines et de beaucoup de travail dans le Mauléon de son enfance...
" Ce n'était pas parce que l'on vivait dans les bois durant sept mois de l'année que nous n'allions pas à l'école. Au contraire. Il fallait apprendre le français et la France puisque nous étions destinés à y vivre. Intégrés d'emblée, nous l'étions tous parce que français et immigrés, nous nous ressemblions beaucoup. Il n'y avait pas de différence.
Mais je dois préciser que cela était ainsi parce que nous étions dans les Pyrénées et que la population était ouverte et tolérante. Ayant vécu un passé de dur labeur avec beaucoup de pauvreté et donc de solidarité, les baroussais acceptaient l'étranger sans trop rechigner à condition bien entendu, que cet "étranger" restât à sa place... Si on se conformait aux coutumes sociétales, il n'y avait aucun problème, contrairement à d'autres régions.
Mais c'est parce que le Pyrénéen a conscience que le partage est plus important que le rejet des autres. J'ai vu des français durant l'Occupation - des parisiens en majorité - être rejetés sans appel parce qu'ils ne respectaient pas les coutumes et traditions en vigueur dans la vallée où il y avait le plus "d'étrangers" de toute la région....
On me dira que j'exagère dans mon propos vu que de nos jours, il y a peu de familles immigrées de première génération : leurs représentants sont âgés. Leurs enfants ayant épousé des français ou des françaises, il est vrai que leur nombre tend à baisser. Mais je peux vous assurer que plusieurs nationalités cohabitaient à Mauléon-Barousse et dans les villages de la plaine.
Mon frère Guido avait un don pour apprendre les langues en travaillant avec les "étrangers".... 3 mois - il parlait couramment et avec l'accent des pays concernés outre l'italien sa langue maternelle, le français, le gascon, l'espagnol, le portugais et le polonais... - le français et le gascon, d'accord, il vivait en France, d'abord à Saint-Bertrand dès l'âge de 9 ans puis à partir de 1920, à Mauléon-Barousse ! Mais pour maîtriser les trois autres, il a bien fallu que des hommes l'aient parlé devant lui... donc outre les espagnols très nombreux, des portugais et des polonais ont vécu en Barousse et aux alentours, tout comme quelques russes, mais là il est tombé malade, il n'a pas eu le temps d'apprendre complètement la langue !
J'étais un bébé lorsque mes deux sœurs Eléonore et Fernande descendaient de la forêt domaniale pour aller à l'école de Ferrère. Elles étaient ensemble et se soutenaient tandis que moi, dès que j'ai eu cinq ans, il me fallut faire le chemin toute seule du Hourmigué à l'école de Mauléon ! Je n'avais pas peur mais si j'avais eu une sœur avec moi, le trajet m'aurait paru moins long.
Nous avons passé une année dans le Hourmigué de Sost. Mon père fabriquait le charbon dans la montagne de l'Arraïs, c'était très pentu. Et enfin, nous nous sommes installés définitivement à Mauléon mais uniquement durant l'hiver, bien entendu.
Le travail de mon père consistait à fabriquer le charbon de bois de manière très artisanale mais avec art car ce n'était pas facile de monter une charbonnière. Il arrivait à en fabriquer trois en même temps.
Voici comment il la construisait :
- il faisait une plate-forme en terre retenue sur les trois côtés par des piquets de 80 centimètres de hauteur et de 10 centimètres de diamètre séparés par des mottes d'herbe arrachées avec la terre et tassées à la pelle.
- il n'en mettait pas côté montagne car là, il y avait la pente pour la protéger.
- ensuite, il remplissait la plate-forme. Il commençait par poser des fagots bien secs tout autour puis il entassait par-dessus des branches et des troncs d'arbre de même diamètre en dôme .
- il faisait un trou sur le côté pour l'aération et l'allumage et en haut, il y avait celui, assez large, par lequel il alimentait la charbonnière.
- on y accédait au moyen d'une échelle toujours côté forêt. Il ne voulait pas que quelqu'un d'autre que lui y monte car c'était dangereux.
Je me souviens de Simon Rebourg de Mauléon qui tomba dans la charbonnière qu'avait fabriqué un certain Guielmo lorsqu'elle s'écroula. Guielmo n'avait pas réussi à l'empêcher de grimper sur l'échelle alors que la charbonnière était cuite et il assista totalement impuissant au drame. Il essaya de le sauver mais il était déjà trop brûlé lorsqu'il réussit à le sortir du brasier. Le pauvre Simon décéda à 16 ans à l'Hôpital de Tarbes. Ce fut une véritable tragédie tout le monde en fût retourné. Il était un très gentil garçon, nous avions exactement le même âge et il travaillait à l'usine. Il avait appris à parler l'italien à la perfection et il était très serviable. Je me souviens que lorsqu'il rencontrait ma mère poussant sa brouette pleine de bois, il l'arrêtait pour faire le travail à sa place. Il était vraiment très gentil.
Revenons au travail de la charbonnière si vous le voulez bien :
- lorsque les branches et les arbres étaient bien empilés, mon père jetait de la terre mouillée et des mottes d'herbe sur le dôme et il tassait bien le tout avec une pelle. Ca devenait dur comme du ciment.
- ensuite, il mettait le feu par le trou d'aération.
- les fagots s'enflammaient puis tout brûlait à l'intérieur, la fumée s'échappait par la cheminée et ça ronronnait fort.
- lorsque la fumée ne sortait plus, cela voulait dire que la "charbonnière cuisait."
Gazette des Vallées n° 7 septembre 1998
"Il la nourrissait par le haut et il fallait être adroit pour lancer le bois dans tous les coins afin qu'elle continue à brûler.
Tout le bois était coupé à la hache et scié au passe-partout. Chacun de nous avait son travail :
- mes frères coupaient et sciaient le bois
- ma mère et mes sœurs (avant qu'elles ne soient placées comme "bonnes") triaient les branches
- et moi, je coupais des petits tronçons avec une hachette que mon père m'avait fabriqué. Je m'amusais ainsi et lorsque j'étais fatiguée, il me disait de me reposer.
Une bonne charbonnière cuisait entre quinze jours et trois semaines. Il fallait faire doucement, c'était un travail très délicat car une charbonnière doit cuire comme un rôti, à petit feu. Lorsqu'elle était cuite, la terre commençait à se craqueler, la fumée s'échappait par les fissures, alors il arrêtait de la nourrir.
Avec un râteau à gros manche et avec de grandes et larges dents en bois, il enlevait la terre. C'était très beau à voir car à travers les fissures, on voyait apparaître le charbon rougeoyant. On aurait dit un volcan en éruption, une petite éruption évidemment ! Puis il étalait le charbon et nous, nous l'éteignions à coups de seaux que nous remplissions d'eau au ruisseau. C'est pour cela que la charbonnière et la cabane étaient construites à proximité d'une source bien alimentée se transformant en un charmant petit cours d'eau.
Lorsque le charbon de bois était éteint et froid puis trié et enfin entassé dans des sacs de jute grossière grâce à une corbeille en osier - tout le monde participait - on voyait arriver la colonne de mulets de Robert Claret de Mauléon - ils étaient plusieurs muletiers répartis dans plusieurs villages - qui venait le chercher pour le ramener à l'usine. Deux grandes corbeilles pouvant contenir de nombreux sacs remplis de charbon retombaient sur chaque flanc des animaux. Les muletiers en attachaient aussi sur leur dos et ils étaient alors "couverts" de sacs, juste le poids qu'ils pouvaient supporter - ils étaient bien traités - et lorsque tous étaient chargés, ils redescendaient en longue procession vers le village, vers la Christinie...
Ils faisaient le tour de toutes les charbonnières toutes les trois semaines environ et comme il y en avait partout, ils ne chômaient pas !
Durant tout le temps où les hommes chargeaient les mules, il y avait beaucoup d'animation dans la clairière, tout le monde parlait, donnait des nouvelles, en prenait, prévoyait les futures productions.... Mes frères traduisaient pour que notre père puisse comprendre et ensuite il signait d'une croix les bons de livraison.... Je regardais avec des yeux grands comme des soucoupes tout ce petit monde des montagnes travailleur et rieur en même temps... Quel silence lorsque la dernière mule avait disparu à notre vue....
Et le travail de la charbonnière recommençait."
Rendez-vous une prochaine fois avec.... la construction de la cabane !
Jackie Mansas
3 mai 2017
Lorsque l'on écoutait ma mère tout comme ses copains d'enfance - je n'ai pas connu de charbonniers à part mes deux oncles Joseph et René mais j'étais si jeune que bien évidemment, je n'avais aucune idée de ce qu'était ce métier - l'on avait l'impression que français et "étrangers" s'entendaient à merveille et que les baroussais dans leur grande majorité n'étaient nullement opposés à leurs présences.
Mais il n'en est pas de même ailleurs dans notre région d'Occitanie, dans le Tarn en particulier où la fabrication de charbon de bois était importante, les italiens ont eu des problèmes avec la population à qui "ils venaient enlever le pain de la bouche".
En cherchant sur internet, j'ai trouvé ces témoignages que l'on peut lire en entier sur le site
http://natifs50-graulhet.wifeo.com/article-100690-metiers-antan-charbonnier-dans-.html
Comme quoi, l'histoire d'un "païs" même lié par sa langue et sa culture est différente d'une région à l'autre....
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Documents :
Publié le 24/10/1999 | La Dépêche du Midi | Cordes
De mémoire de charbonnierHaute-Serre, entrée de la forêt de la Grésigne / CPA
Souvenirs d'Aimé Mucci, ancien charbonnier italien installé en France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au parcours souvent atypique, digne d'un roman.
Aimé Mucci, fils de charbonnier lui-même, et sa cousine Yvonne Bartoli, arrivée en 1929, racontent leur émigration en bas âge dans la Grésigne et la difficile intégration parfois de ceux qui «mangent le pain des autres». Ils sont aussi intarissables sur le travail du charbonnier : la construction savante de la charbonnière, son allumage puis sa lente carbonisation durant plusieurs jours qui demande une surveillance constante pour lui «donner à manger», enfin, son déshabillage nocturne. Et encore.
«On ne s'imagine pas»
C'est sans parler du transport du charbon obtenu, vendu alors dans le pays cordais par Noël Richard, et surtout de l'intendance qui doit suivre : les femmes qui cuisinent et le «meo», le gamin, chargé des corvées d'eau et de bois. «On s'imagine pas les conditions de vie», répète plusieurs fois un ancien camarade de classe d'Aimé en hochant la tête.
Publié le 26/04/2014 à 03:51 | La Dépêche du Midi | Latronquière
La vie des charbonniers italiens de Grésigne
Les charbonniers devant l'outil de travail./ Photo DDM
Depuis un temps immémorial, on pouvait recenser de nombreux producteurs de charbon de bois en forêt de Grésigne, et dans d'autres forêts du Tarn : forêts de Sivens, de la Montagne noire, des Monts de Lacaune, etc. Puis vers le Cantal, notamment à Laroquebrou, et en Ségala, également, où la fabrication de charbon de bois se faisait à l'usine Laval-de-Cère. D'ailleurs nous en retrouvons trace dans la désignation de lieux-dits aux alentours, références du cadastre. Ils fabriquaient ce charbon à partir de bûches entassées verticalement en meules, et recouvertes de terre : les charbonnières, «las carbonièiros» en occitan, meules composées parfois de deux étages et allant jusqu'à 150 stères.
En 1920, on fit appel à une main-d'œuvre étrangère et plus particulièrement italienne, de la province de Pistoia, surpeuplée. Ils émigraient par nécessité alimentaire et non pas politique.
La vie quotidienne était très rude et… rudimentaire. Et l'on se déplaçait perpétuellement !La Grésigne, les Terrassiols / CPA
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On voit bien que la construction de la charbonnière n'était pas tout à fait la même (quelques petites différences) selon les régions et les conditions de vie également. Ma mère m'a raconté tout comme son copain d'enfance Albert (dit Bébert) Angiolini, que les meules étaient très hautes, on ne pouvait atteindre la cheminée qu'avec une échelle, sur les photos ci-dessus elles sont à hauteur d'homme, donc moins dangereuses, quoique.....
Tous les charbonniers venaient donc de la même région de Pistoia en Toscane mais au début du 20ème siècle, ils émigraient par besoin de partir vivre autre chose dans un autre pays et les salaires amélioraient les revenus de la famille restée au pays certes. Toutefois, ils n'étaient pas misérables, ils n'étaient pas aisés non plus, ils se situaient entre les deux mais l'envie d'aller "faire fortune" les a taraudé tous. Le "rêve américain" pour ceux qui voulaient partir sans espoir de retour !...
En Barousse, dès que Gustavo Arcangéli - à partir de 1936 - fut obligé de respecter les acquis des travailleurs, plus aucun ne vint poser ses valises en Barousse car il n'alla plus "recruter" de la main-d'œuvre "pas chère" dans sa province... les autres repartaient dans l'année qui suivait leur arrivée car ils vivaient mieux chez eux en Italie qu'ici en France en travaillant deux fois moins : et oui, ils s'échinaient au travail dans la montagne et à l'usine et le patron les payait avec un lance-pierre...
Force est de constater que ceux qui sont arrivés après la première guerre mondiale, ailleurs que dans les Pyrénées furent assez mal accueillis. Mais la guerre était passée par là... et la situation sociale était très difficile !
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J'ai trouvé cette description de l'animal dit "mule" pour les femelles et "mulet" pour les mâles sur le site http://www.attelage-patrimoine.com/2015/06/la-mule-et-le-joug-landais-dans-les-landes-1-histoire.html
La mule et le joug "landais"
dans les landes de Gascogne.
1° Histoire
Brève présentation de l'hybride qu'est la mule.
A part quelques exceptions liées à des contraintes particulières, les espèces ne se croisent pas entre elles dans leur milieu naturel. Pourtant, l’homme a réussi, par certaines techniques ou artifices, à croiser des espèces entre elles comme, par exemple, le canard mulard (croisement d’un canard de Barbarie avec une cane de Pékin ou une cane de Rouen) ou le coquart (croisement d’une poule et d’un faisan). L’accouplement de l’espèce chevaline avec l’espèce asine a un taux de fécondité inférieur à un accouplement classique de chaque espèce. Cette hybridation donne naissance, mise à part de rares exceptions, à des produits stériles :
Le bardot ( bardeau pour un male, bardote/ bardine pour la femelle) quand il est le croisement d’un cheval et d’une ânesse.
Ce type d’hybride, qui ressemble à un petit cheval à grandes oreilles avec le dos souple, garde souvent le caractère vif du cheval. Il présente en général moins de qualité de travail et de facilité de dressage que le mulet. De plus, les ânesses plus petites que le cheval risquent des problèmes lors des mises bas. Sa production a donc toujours été très limitée, comparée à la production du mulet qui est devenue pratiquement industrielle, tout particulièrement au XIX° siècle.
La mule (ou mulet pour un mâle) quand il est le croisement du baudet et de la jument.
En général, la mule gagne en taille et donc en force par rapport à ses géniteurs tout en gardant le dos droit et solide de l’âne. De plus, elle présente d’autres qualités; sobriété alimentaire, rusticité, sûreté de pied, « sang froid », courage, bonne résistance aux maladies, longévité de travail,… Bien que doté d’un solide caractère, elle est attentive et docile s’il elle est dressée et manipulée régulièrement par un muletier compétent.
Dans les Landes, les mules furent toujours préférées aux mulets. Les causes de ce choix sont liées à la plus grande vivacité des mulets, ce qui oblige de les castrer avec les risques de complications liés à cette intervention. Peut-être aussi une tradition d’origine religieuse.
« L’étiquette interdisait l’emploi d’animaux castrés aux attelages du pape et les mulets entiers étant parfois méchants, on prit l’habitude, à la cour papale, de n’employer que des mules. Cette méthode, adoptée par les grands d’Espagne et d’Italie, se généralisa au point de devenir une coutume courante » -Lagoeyte, « De l’utilisation des mules dans les landes de Gascogne »-
Voir aussi http://www.leg8.com/histoire-vivante/mules-et-mulets-des-pyrenees
Ayant appris que des personnes indélicates se servent en les transformant, de mes articles à des fins personnelles, je me vois obligée de les faire protéger juridiquement.
RAPPEL :
https://www.adagp.fr/fr/droit-auteur/les-textes
LE CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
Deux lois ont posé les grands principes du droit d’auteur :
- la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique ;
- la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle.
Les dispositions de ces deux lois ont été intégrées au code de la propriété intellectuelle (« codifiées ») par la loi n° 92-597 du 1er juillet 1992.
C’est aujourd’hui le code de la propriété intellectuelle, complété notamment par la loi « DADVSI »du 1er août 2006 et les lois « HADOPI » de 2009, qui constitue le texte de référence en matière de droit d’auteur.
>> Consulter le code de la propriété intellectuelle sur Légifrance.
"Méditerranées. Une histoire des mobilités humaines (1492/1750)" de Mathieu Grenet et Guillaume Calafat (2023)
Cet article est reposté depuis Histoire Géographie.
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LE livre de référence sur la Méditerranée à l’époque moderne (XVe-XVIIIe), au programme de l'agrégation d'histoire moderne 2023 et 2024. Cet ouvrage propose de réfléchir au large éventail des mobilités méditerranéennes de la fin du XVe au milieu du XVIIIe siècle, depuis les expulsions massives des populations juives et musulmanes de la péninsule Ibérique jusqu’aux déplacements
Français, Espagnols, Italiens et autres...
les photos de l'autocar et de la juvaquatre sont sur les sites de passionnés de voitures anciennes ; la vache haut-pyrénéenne Cerise ; charrue ancienne ; cartes anciennes du marché delcampe
J'ai grandi dans un village où trois communautés cohabitaient : française (majoritaire), espagnole et italienne, ces deux dernières étant arrivées après la guerre de 14-18 pour pallier au remplacement - si l'on peut dire - des hommes décédés durant le conflit. Ils étaient métayers pour la plupart et les hommes travaillaient soit pour Roqué, venu lui aussi de Catalogne pour tenter sa chance en France et qui avait réussi à fonder une entreprise de Chaux et Ciments à Izaourt ainsi que chez Couret Chaux et Ciments, soit pour Labardens au Pic du Midi.
Les Espagnols dominaient dans la plaine dès les années 1920 et l'afflux des Réfugiés en 1939 vint grossir leurs rangs sans que quiconque y trouve à redire (à part quelques grincheux mais à ma connaissance, je n'ai jamais entendu les Français parler d'eux en mal !) mais il faut dire que la frontière est proche et bien entendu, l'émigration des Catalans surtout puis des Aragonais avait commencé dès le mitan du 19ème siècle.
Et leurs enfants étaient nés en France. En Haute-Barousse, les Italiens étaient très nombreux et totalement acceptés par la population. Les deux premiers charbonniers embauchés par les Eaux et Forêts par le truchement des ministères, étaient arrivés en 1900, Gustavo Archangéli à Mauléon-Barousse et Lorenzo Cinotti, mon grand-père maternel, à Saint-Bertrand de Comminges. Il rejoignit son condisciple en 1920.
Les Espagnols, les Portugais, les Polonais et les Russes y étaient minoritaires mais ils surent également se faire accepter.
Il y avait également un hospice tenu par des sœurs de la communauté Saint-Joseph de Cantaous en majorité Espagnoles, parlant un excellent français ! qui fonctionnait beaucoup avec les dons des riches bourgeois - tradition chrétienne oblige - et qui recevaient des indigents malades, handicapés, sans ressources pour la plupart. Une querelle entre la famille Sécail, propriétaire des lieux et la municipalité de Bertren lorsque mon grand-père Jean-Marie Mansas était maire, avait provoqué un séisme et déclenché une colère qui a traversé le siècle !
En effet, Léontine Sécail, une rentière au sacré caractère, toujours opposée aux municipalités de gauche décrétées "mécréantes" - les événements de 1905 avaient laissé des traces indélébiles et sa famille partageait entièrement ses vues - à sa mort en 1913, avait laissé ses biens à sa "demoiselle de compagnie" et lointaine cousine de Luchon qui vivait avec elle depuis 1900 Noëllie Sécail.
Après son décès, Noëllie passa son temps entre Bertren et Luchon où elle aida aux soins des soldats blessés venant chercher soins et réconforts dans la cité thermale et des nombreux pauvres et indigents qui hantaient les endroits où il y avait des "riches" pour tenter de - au moins - manger tous les jours ! La dame, très croyante, sincèrement attirée par la religion et au rang social élevé, avait des liens étroits avec toutes les communautés religieuses de la région nées dès le mitan du 19ème siècle telles celle des Filles de Notre-Dame des Douleurs (Saint-Frai) à Tarbes et celle des Soeurs de Saint-Joseph à Tuzaguet-Cantaous.
Elle décida, après la guerre, de créer un hospice pour les pauvres et les indigents sur un terrain qu'elle possédait à Bertren où se trouvait une vieille grange et un bâtiment transformé en couvent vers la fin du XIXeme siècle et qui serait dirigé par les Soeurs de Cantaous. Elle n'avait, elle, aucun problème relationnel avec mon grand-père et le projet fut accueilli avec enthousiasme.
Contrairement à ce que j'avais écrit précédemment dans cet article - je n'avais pas vérifié ce que l'on m'avait rapporté car les personnes ont toujours parlé de "Melle Sécail" sans mentionner le prénom, comme d'un dragon toujours en guerre contre la gauche qui avait osé chasser les religieux, fermer des couvents, rejeter l'école libre, la seule valable en 1905, etc.etc. mais le conflit durait depuis au moins 1770 depuis la construction du relais de Poste et de Chevaux aux Quatre-Chemins - Noëllie était gentille, douce et compréhensive. Restée célibataire elle s'était tournée vers l'Eglise comme si elle avait à laisser quelque chose à la gloire de Dieu - c'était le mysticisme du siècle - et donc, comme elle était riche, elle pouvait consacrer sa fortune aux pauvres.
La transmission de la mémoire est aléatoire surtout quand les témoins qui restent sont âgés et ne citent pas les prénoms des protagonistes aussi, ai-je mal interprété ce que ces dames m'avaient raconté, surtout celle qui avait tout intérêt à déformer la vérité... J'avais écrit " Noëllie Sécail qui avait hérité à la mort de ses parents d'un bâtiment genre couvent, fit construire sur son emplacement l'actuel établissement en 1923-1924 - d'après ce que l'on m'a raconté - après un énième conflit avec le CM et donc, avec mon grand-père, décida de se venger".
Voici l'erreur : le projet fut monté en accord avec la municipalité (vous voyez Melle Sécail en conflit avec ma grand-mère Félicie dont les deux soeurs étaient religieuses et qui avait eu un frère missionnaire, père Assomptionniste mort en 1916 ?). Mais non, voyons, ceci est impossible et mon grand-père qui était - aux dires de tous ceux qui l'ont connu et qui vivaient encore dans les années 70 - un homme d'une grande bonté, d'une intelligence rare et toujours de bonne composition, quoique à cheval sur les principes auxquels il ne fallait aucunement déroger, n'allait pas entrer en conflit avec une personne qui voulait apporter tant de bien au village !
Il laissa la mairie en 1925, gravement malade et ce fut Jean-Marie Labardens qui lui succéda. Ce dernier venait de créer une entreprise de BTP qui prit rapidement de l'ampleur et bien évidemment son esprit d'entrepreneur changeait la donne, il ne voulait pas perdre de l'argent en balivernes. Il sous-traita les travaux auprès d'un maçon que mon grand-père - sur sa cassette personnelle - aida à s'installer en 1919 au village, il n'était pas d'ici.
C'est justement un conflit entre entrepreneurs qui amena une tension entre la commune et Melle Sécail laquelle n'apprécia pas du tout, mais pas du tout la situation ! Le conflit d'intérêt, auquel il faut ajouter les opinions politiques du sous-traitant qui ne concordaient pas avec la religion chrétienne telle qu'elle la voyait....n'arrangèrent en rien la situation !
Mais ce ne sont pas toutes ces querelles qui lui fit prendre la décision de déclarer comme héritière de l'hospice la commune de Luchon : c'est tout simplement parce qu'elle était de Luchon et que la VILLE de Luchon ainsi que les collègues hôteliers et rentiers de sa famille l'avaient aidée à bâtir et exploiter cet édifice... Il lui fallut beaucoup d'argent pour réaliser ce projet et sans l'aide des luchonnais, elle n'y serait jamais arrivée ! N'oublions pas que l'on sortait d'une guerre effroyable et qu'il fallait tout reconstruire...
Bien sûr les quelques dispositions défavorables à la commune de Bertren peuvent laisser penser à un quelconque règlement de compte mais bon... Jean-Marie Labardens y était sas doute, un peu pour quelque chose...
Donc, à sa mort en 1931 ou 1932, je crois, les héritiers et les villageois apprirent que la commune de Luchon héritait de cet établissement avec des avantages plus que certains qui se changeaient en désavantages pour celle de Bertren, bien évidemment... La rancœur de part et d'autre fut immense : les héritiers voyaient s'en aller un bien de grande valeur et en déclarèrent mon grand-père responsable (aïe, aïe, aïe !) et la municipalité un rapport plus que conséquent car le testament fut on ne peut plus opaque : c'était Luchon qui percevait les taxes et les revenus alors que Bertren devait entretenir les rues et les accès.
J'avais écrit cela : "Je ne vous dis pas la hargne de part et d'autre ! car ces ressentiments s'ajoutaient aux querelles politiques gauche-droite... N'ayant pas trouvé de documents sur cette affaire, je ne sais pas qui avait raison et qui avait tort mais si on analyse la situation par rapport au caractère des Baroussais, il s'agit sans nul doute d'un conflit où les malentendus se sont succédés sans que personne ne veuille céder. Donc, c'est une faute à 50/50 ! Mais même la mort de mon grand-père en 1930 ne parvint pas à éteindre le courroux des héritiers frustrés et à mon avis, avec la fermeture de l'établissement en décembre 2015, il a été bien évidemment ravivé ! (1)"
Il me faut donc préciser qu'ayant trouvé quelques documents depuis, il semblerait, j'écris bien, il semblerait, qu'elle aurait longtemps hésité car elle avait des neveux et nièces qui auraient dû normalement hériter de l'hospice en plus de ses biens propres : à savoir une énorme bâtisse et des terres à Bertren pour ses neveux, ses parts d'héritage sur l'hôtel-restaurant de Luchon pour ses nièces, mais certains comportements avaient engendré une querelle qu'elle ne pardonna pas. Si on y ajoute le conflit avec les entreprises...
Donc, mon grand-père et ma famille n'y sont pour rien... Je pense que cette déformation de la vérité s'est faite à la fin des années 50 et surtout surtout après 1965 : il faut des arguments en général basés sur des motifs d'argent "volé à cause de..." pour étayer des propos que les esprits les plus faibles peuvent croire et colporter afin de créer des dissensions.
Les pensionnaires
Les pensionnaires avaient des pathologies innombrables tant physiques que mentales et nous les avons côtoyés sans crainte, sans rejet, sans jugement car on nous avait appris que tous les hommes étaient égaux et semblables. Et respectables ! Il n'était pas question de se moquer ou de mépriser : la question ne se posait même pas !
Les trois communautés vivaient exactement de la même façon, ensemble, à part que les femmes tant chez les Espagnols que chez les Italiens, n’avaient pas le droit de se mêler aux autres, hormis pour les offices religieux ! Néanmoins, leurs filles ne se gênèrent pas pour jeter aux orties de tels tabous ...
Mais ce qui amusa tout le monde, ce fut qu'à partir de 1951, il me semble, une guerre impitoyable éclata ! Vous vous demandez : il y a eu un pogrom à Bertren ? Que nenni, que nenni ! ce fut un conflit mémorable entre, tenez-vous bien... Espagnols et Italiens. Les Français comptaient les coups et rigolaient.
Voici donc les noms de ces familles pour se retrouver dans le récit et ceux qui suivront :
- les espagnols : Badia et Carréra arrivés en 1927 ; Nasarre en 1920 ; Castillon en 1920 ; les religieuses de l'hospice ; Peguera dans les années 1950 ;
- les Italiens : Gallina en 1936 ; Sabinotto en 1935 ; Luchini avant 1940 ; Zaboto en 1951 ;
- les français : une trentaine de familles ou peut-être plus.
Nous sommes donc, pour le récit suivant, en 1953 :
Les paysans se rendaient toutes les semaines sur les marchés de la région qu’ils aient ou non des bêtes à monnayer. C’était l’occasion de rencontrer des collègues, d’apprendre des nouvelles, d’en colporter et de faire des affaires dans les magasins où le marchandage était de rigueur car pour ne pas passer pour un « couillon », il fallait toujours obtenir un rabais, prévu, bien entendu, dans le prix de vente par le commerçant qui n’entendait pas perdre un sou pour rien au monde !
Et pour se rendre à Montréjeau ou bien à Saint-Gaudens, il fallait prendre le car d'un immigré italien arrivé en France après la guerre de 14-18 et marié avec une Française à Esténos, un certain Evaristo de Nardino dit Évariste ou de Nardin, fabricant de chaises en paille et autres outils agricoles, qui officiait également comme transporteur pour amener bêtes et gens sur les marchés et son car accusait son âge. Il montait - déjà je ne vous dis pas alors l'état au début des années 1960 ! - difficilement les côtes et bien souvent, il fallait que les passagers descendent pour le pousser. Tout se passait dans la bonne humeur et comme l’homme était sympathique, pas cher et qu’il trouvait toujours une solution à n’importe quel problème, il était obligé, parfois, de faire deux tournées pour prendre tout le monde. Une dame de Bertren encaissait les billets et gardait un œil vigilant sur la sacoche bien remplie en fin de journée !
De Nardin tassait les veaux et les cochons que les paysans voulaient vendre, dans une remorque brinquebalante elle aussi, dont la porte était régulièrement attachée avec du fil de fer. Un jour, il la perdit dans une côte et comme le car avançait lentement en crachotant et en rejetant une fumée noire nauséabonde, les veaux s’empressèrent de sauter et de se disperser sur la route au grand dam des automobilistes qui suivaient l’équipée. Un concert de klaxon couvrit le bruit du moteur malmené mais qui, délivré du poids des bêtes, s’emballa. De Nardin comprit vite qu’un souci était arrivé et stoppa au milieu de la route sans se préoccuper plus que cela de ceux qui attendaient derrière lui. Les animaux furent rapidement rattrapés et tassés à nouveau dans la remorque qu’il referma avec … sa ceinture ! Mais comme le pantalon menaçait lui aussi de s’échapper de son ventre imposant pour se poser sur ses chevilles, il ôta son mouchoir de cou, tout le monde s’aperçut alors qu’il ne se lavait pas la nuque et fit un gros nœud au-dessus de la braguette, ce qui, bien évidemment, déclencha l’hilarité générale !
Il était tellement naturel, gentil et amusant qu’il ne perdait aucun client. Même les jours de pluie où les passagers munis de leurs parapluies, il ne fallait surtout pas l’oublier car les fuites étaient nombreuses et un simple imperméable ne suffisait pas et pour dedans et pour dehors, les ouvraient dans la bonne humeur et l’eau ruisselait entre les sièges abîmés, rouillés, grinçant à chaque mouvement. La rigolade était générale sur le marché quand enfin, il arrêtait son antique engin sur le parking près de la halle aux bestiaux ! Comment rater un tel spectacle : un car rempli de gens protégés par leurs parapluies qui riaient derrière les vitres !
On se pressait pour voir le phénomène car on ne savait jamais ce qui avait pu se passer et on ne voulait manquer pour rien au monde un tel divertissement, gratuit en plus !
Personne ne se fâchait, de toute façon les voyageurs savaient ce qui les attendait en montant dans le car ! De Nardin était un « personnage » et n’allait pas changer du jour au lendemain. Il fallait l’accepter tel qu’il était même lorsqu’il exagérait. Comme cette fois, en fin avril, où n’ayant plus de place dans la remorque et ne voulant pas refuser à un client de prendre son veau, il le fit monter à l’arrière de l’engin en conseillant aux dames assises sur la longue banquette trouée par endroits, de se serrer pour lui laisser un peu de place. Il y eut contestation mais il persista dans son projet et démarra en faisant crier le moteur pour ne pas entendre les protestations plus que virulentes ! Il hurla pour les faire taire en exagérant son accent transalpin déjà très prononcé en temps normal :
- La ferme, le poulailler ! Vous n’avez qu’à le caresser, il va se calmer !
Le poulailler ne se calma pas car, le veau, stressé, se lâcha en un jet pestilentiel sur une femme qui manqua se trouver mal. Elle était couverte d’excréments et instinctivement, ses compagnes s’éloignèrent d’elle encombrant l’allée centrale, ce qui eut pour résultat d’effrayer encore plus l’animal qui commença à ruer et à donner des coups de tête. Son propriétaire essaya de le tranquilliser et y réussit partiellement. Mais bien évidemment, c’était la cohue dans le car. De Nardin ne s’arrêta pas pour autant et c’est dans un vacarme assourdissant s’échappant par les fenêtres ouvertes où s’alignaient des têtes grimaçantes, que le courageux véhicule s’arrêta sur le parking. Le marché était noir de monde et les regards se tournèrent vers lui. L’ahurissement précéda un énorme éclat de rire quand les passagers descendirent en se bousculant pour ne pas rester une minute de plus à l’intérieur et en secouant les mains pour montrer à quelle odeur infecte ils échappaient !
Qu’est-ce que ça pouvait vouloir dire ? On entendit sur le marché la rumeur qui courait, qui enflait : « Quelqu’un s’est « cagué » dessus dans le car de de Nardin ! Ouh la la ! Hildépute ! Ca doit sentir le fresquin ! ».
Mais au grand étonnement de tous, ce fut un veau tenu en laisse par son maître qui descendit en ruant et enfin, après un long moment, une pauvre femme accompagnée d’une amie qui se bouchait le nez, couverte de…! Les gens la regardaient, incrédules, comment allait-elle enlever tout cela ? On ne se gêna pas pour se moquer.
Elles se dirigèrent vers un café où la patronne compatissante les conduisit vers une salle d’eau. Tandis que la victime se déshabillait pour se laver de la tête aux pieds, son amie alla lui acheter des vêtements.
De Nardin s’enquit tout de même de sa santé mais pour une fois, son charme n’opéra pas. Il écopa d’un « connard » bien formulé dans les règles qu’il encaissa sans broncher. Toutefois il ne perdit pas ces deux clientes car il proposa de rembourser les dégâts, ce qui fut accepté avec une joie non dissimulée.
Ce fut ce jeudi-là que Giuseppe (Joseph) Zaboto dit Pépino qui ne voyageait plus avec lui depuis qu’il avait obtenu le permis de conduire et acheté une Juvaquatre pour se rendre sur tous les marchés de la région, en particulier sur celui très renommé de Rabastens de Bigorre, apprit une très mauvaise nouvelle. Il avait attendu l’arrivée du car en compagnie d’un groupe, comme tous les jeudis, pour lancer quelques réflexions féroces à son vieil ennemi de Nardin qui lui répondait de même. Leur animosité datait de leur arrivée en France, la rencontre entre eux ayant été houleuse car de Nardin n’avait pu s’empêcher de faire remarquer que les jambes de Pépino Zaboto dit aussi "le bossu" étaient parfaites pour faire tenir en place les planches d’une barrique : « Elles pourraient aisément remplacer les cerceaux » et de lui lancer une pique sur sa bosse proéminente. Pépino, vexé, l’avait méchamment remis à sa place. Il faut dire que, en ce qui concernait les moqueries sur les défauts physiques des gens, les Pyrénéens, de quelques origines qu'ils soient, sans même avoir l'idée de se regarder eux-mêmes avant de parler, n'en rataient aucune, ils étaient aussi fins que du gros sel !
Ce jeudi-là donc, il était avec les autres en train de gloser sur l’affaire du veau lorsque de Nardin qui nettoyait son car, lui envoya quelques piques bien acérées. Il répondit sur le même ton et les Italiens vinrent prendre partie ou pour l’un ou pour l’autre. Les Français et les Espagnols étaient morts de rire et en rajoutaient également. Les deux hommes étaient de véritables vedettes et personne ne voulait rater leurs échanges aigre-doux même pas les bourgeois qui faisaient mine d’être offusqués par tant de vulgarité. Mais le peuple se moquait de leur air dédaigneux.(2)
Les échanges atteignaient une hauteur vertigineuse lorsque Pépino sentit une main se poser sur son épaule. Il se retourna et vit Mr Tomps parti de Bertren en 1948 pour habiter Muret, qui le regardait en souriant. Pépino montra sa joie de revoir cet homme sympathique qui lui avait permis de quitter sa condition de métayer pour celle plus enviable de fermier ; grâce à lui, il avait acquis une promotion sociale et il lui en était reconnaissant.(3)
L’homme, toujours obèse, peinait pour se déplacer. Il semblait très fatigué, il s’exprimait lentement. Pépino comprit qu’il était très contrarié et s’enquit de ses affaires. Mr Tomps inspira profondément puis raconta :
- J’ai perdu le divorce que ma femme avait demandé. Je suis complètement sonné par le jugement : je dois tout vendre ! Voilà mon pauvre Zaboto, ce que je voulais vous dire : je suis obligé de vendre la ferme. Mais je garde la maison familiale et le bien. Je suis désolé de vous annoncer cela mais il vous faut partir de cette maison ou bien me l’acheter.
Pépino ne savait que dire, que penser. Tout se brouillait dans sa tête, il n’y avait que deux ans qu’ils étaient là, ils commençaient à vivre à peu près bien et voilà qu’il leur fallait partir car bien évidemment, il ne pouvait acquérir cette propriété. Il n’avait pas la somme nécessaire. Comme il restait préoccupé, Mr Tomps relança la conversation :
- Je comprends bien que vous soyez ennuyé de devoir laisser tout ce que vous avez bâti mais j’ai peut-être une solution pour vous.
Il dressa l’oreille : une solution ? Il ne répondit pas mais regarda son interlocuteur droit dans les yeux qui, se sentant encouragé, lui proposa :
- J’ai rencontré récemment Mr L..... qui travaille sur la voie Saint-Gaudens-Toulouse et il m’a confié qu’il désirait louer sa maison à Bertren afin d’en retirer quelques revenus. Je crois que vous lui avez loué par bail des parcelles, n’est-ce-pas ?
Pépino, dont le teint avait viré au rouge brique tellement il était contrarié lui répondit par l’affirmative et comprenant où Mr Tomps voulait en venir, cria presque :
- Mais oui ! je pourrais lui demander de louer sa ferme ! Il y a une étable, des granges, un jardin, une basse-cour et un grand verger derrière ! Vous avez raison, je vais de ce pas le rencontrer ! Si je trouve son adresse bien sûr, je vais aller me renseigner à la gare.
- Inutile, je sais où il habite et si vous avez la patience de m’attendre, je vais vous y conduire.
Pépino ne marchait pas non plus très vite, son handicap dû à l'énorme bosse qui le faisait s'incliner vers la gauche, l’en empêchait. Alors, les deux hommes avancèrent au même rythme jusqu’à la gare. Ils s’arrêtèrent devant une jolie maison avec un jardin donnant sur la rue. Un chien aboya mais ils entrèrent quand même sans crainte. Une femme plutôt agréable à regarder sortit et reconnut Mr Tomps qu’elle accueillit aimablement. Zaboto se tenait en retrait et la regardait intensément. Il essayait de savoir s’il pouvait lui faire confiance, car comme disait le proverbe : « Quand tu vois la femme, tu sais comment est le mari ».
Mr Tomps fit les présentations et demanda à parler à son mari. Elle lui répondit qu’il était à son travail mais qu’elle lui dirait qu’ils étaient passés. Il lui expliqua le but de leur visite, elle opina du chef et promit de tout rapporter fidèlement à son époux.
Ils s’éloignèrent soulagés, la rencontre s’était bien passée, cette dame était polie, aimable et gentille. Il suffisait d’attendre que le mari se manifeste.
Le lundi suivant, jour de marché à Rabastens, Joseph Zaboto n’était pas encore revenu lorsque le facteur entra dans la cour de la ferme au volant de son Solex qu’il fit vrombir en effectuant un demi-tour impeccable et remit une lettre à Guiseppina dite Pépina son épouse. Elle la prit, la retourna dans tous les sens mais comme elle ne savait pas lire le français, elle restait immobile devant sa porte. Le facteur, un homme d’une quarantaine d’années, comprit qu’elle était inquiète et lui proposa ses services. Il la rassura, il serait aussi discret qu’une tombe. Craignant la réaction de son mari, elle refusa puis comme il remontait sur son Solex et s’apprêtait à partir, elle le rappela et lui tendit la missive. L’homme l’ouvrit et lut d’une voix monocorde :
« Monsieur Zaboto,
Ma femme m’a apprit que vous étiez passé avec Mr Tomps dans le but de me demander de vous louer ma maison de Bertren.
Je pense que nous pouvons faire affaire. Je vous propose de nous rencontrer jeudi prochain au café de la Halle aux bestiaux lors du marché vers 10 heures. Je vous attendrai.
Je vous salue et espère que nous pourrons nous entendre.
Votre dévoué, L. ».
Lorsque Pépino rentra vers onze heures, Pépina s’empressa de lui « lire la lettre ». Il était tellement ahuri de la voir regarder le papier et de parler en italien, qu’il ne sut quoi dire : « comment pouvait-elle savoir lire le français et le traduire ? » pensait-il mais il écoutait attentivement. Au fur et à mesure qu’il entendait ce qu’il espérait entendre son visage se détendait.
Il remonta dans sa camionnette et partit à Saléchan chez un expert-géomètre à la retraite qui avait accepté moyennant paiement, de lui tenir à jour toute sa paperasse administrative, pour lui demander son avis.
Le jour dit, Joseph Zaboto était au rendez-vous à l’avance et Mr L. lui parla fort aimablement. Il était différent de son frère, tout aussi grand et mince mais son visage rond exprimait une bonhomie qui faisait défaut à son cadet. Ils s’entendirent parfaitement, Zaboto signa le contrat d’un Z suivit d’une croix, lui tendit la somme d’argent qu’il lui demandait et se vit remettre en échange un trousseau de clés avec un reçu. Tout était en règle, il allait avertir Mr Tomps qu’il quitterait la ferme dans les huit jours et qu’il pouvait d’ores et déjà, la mettre en vente officiellement.
Le samedi suivant, juste avant midi, une Peugeot 203-berline noire tourna aux Quatre-Chemins et se dirigea vers l’église. Elle stoppa devant le monument aux morts et un homme élégamment habillé en descendit, une pancarte à la main. Les hommes qui prenaient leur chopine au bistrot le reconnurent, c’était le notaire de Loures-Barousse. Ils sortirent pour voir où il allait et ils le virent se diriger vers la ferme. Lorsqu’il repartit, tous ensemble, ils se portèrent vers la maison et ils aperçurent avec stupeur une pancarte « A VENDRE » accrochée au portail. (4)
Ils parlaient très fort ce qui fit sortir Raymonde Carréra de chez elle. Elle non plus ne savait pas lire le français et elle demanda ce que ça voulait dire. Jean Castex la renseigna. Elle leva les bras au ciel, cria son fameux « Péralié et péralia » et rentra chez elle en courant. On entendit un bruit de voix et puis Raymond son mari apparut, très énervé. Mr Castex chercha à le calmer :
- Mais ne soyez pas inquiet Raymond, ce n’est qu’un panneau et il vous suffit d’aller voir le notaire. Vous pourrez discuter avec lui de l’éventualité d’acquérir cette maison.
Lorsque les Zaboto qui se trouvaient dans les champs, revinrent chez eux vers midi et qu’ils virent l’écriteau avec tout autour un attroupement, ils comprirent immédiatement qu’ils devaient déménager très vite. Mais pour éviter des problèmes car ils allaient avoir leurs voisins sur le dos, - vu que la guerre durait depuis leur arrivée, une question de fermages ... - il leur fallait du renfort.
On se défia du regard puis chacun rentra chez soi.
Durant le repas, Pépino ronchonna car il savait bien que les voisins allaient immédiatement rencontrer le notaire et que la vente serait très vite effective. Ils n’avaient pas trop de temps pour prendre possession de la ferme L.. Pépina lui suggéra de demander à Simon de les aider, il accepterait sûrement. Pépino trouva l’idée excellente.
Le lendemain dimanche, dès 6 heures du matin, Simon vint les rejoindre et ils commencèrent à charger le tombereau et la camionnette.
Le cadet L. averti par une bonne âme, surgit en courant au troisième voyage et attrapa Mr Zaboto par le col de sa chemise. Il bégayait, tellement il était en colère et tirait le pauvre infirme qui ne pouvait résister vers le portail pour le jeter dehors. Il criait :
- C’est ma maison ! Jamais un étranger n’habitera dans ma maison ! Rentrez en Italie, sale tordu de macaroni, allez voler chez vous !
Simon qui détachait un meuble du tombereau avec l’aide de Pépina pour le rentrer dans la maison, lâcha un juron (on disait un belec) qui fit sursauter l'agresseur mais ne le calma pas pour autant. Il lâcha toutefois Pépino qui n’en menait pas large mais qui retrouva vite sa verve habituelle. Il lui expliqua en criant lui aussi, qu’il avait loué le bien de son frère et qu’il l’avait payé. Donc, il était chez lui et lui, le frère, n’avait pas à y entrer. Il alla chercher le contrat de bail et le lui montra. L... le lut plusieurs fois droit comme un I, raide comme la justice et rouge comme un coq. Il regarda l’homme qui le toisait fort de son bon droit et lui jeta les papiers au visage puis il se retourna mais avant de partir, il lança froidement :
- Soit ! Mon frère vous a loué sa maison, il en avait le droit mais vous allez me le payer. Vous n’avez pas fini d’entendre parler de moi !
Les va-et-vient du tombereau et de la Juvaquatre durèrent jusqu’au soir, personne n’osa proposer son aide de peur de la réaction du "cadet" comme on le surnommait. Lorsque vers les 6 heures et demi, ils chargèrent dans le tombereau, pour le dernier voyage, les outils que Tomps leur avait donnés, les deux frères Badia Raphaël l’aîné et Conrad, le cadet, se tenaient devant le portail de leur maison, l’air sombre. Ils avaient rencontré le notaire la veille dans l’après-midi et arrêté la vente. Ils avaient accepté le prix proposé pour ne pas laisser échapper l’affaire. Mais ils voulaient TOUT récupérer.
Pépina les avait observés toute la journée et leur présence devant le portail l’inquiétait car si Conrad - qui était un véritable brave homme mais une soupe au lait de premier ordre - apercevait les outils dans le tombereau, il risquait de le prendre mal. Elle prit une grande bourrasse et l’étendit sur tout le matériel puis le cala avec un gros sac. Son mari la regarda, interrogatif. Elle fit un signe de tête vers l’extérieur et il comprit. Aucun mot ne fut échangé. Simon, occupé à l’intérieur de la grange, ne s’aperçut de rien et se plaça devant la paire de vaches. Le couple suivit derrière. Quand ils passèrent devant les deux hommes, ils gardèrent les yeux baissés.
Le portail avait été bien fermé, la pancarte enlevée. Pépina reviendrait dans les jours suivants nettoyer l’intérieur de la maison puis son mari porterait les clés au notaire.
Il n’y eut aucun incident. Les Badia-Carréra (4) rôdèrent autour de la propriété. Tout était propre et rangé mais ils virent que le potager n’avait pas été travaillé et que les arbres commençaient à se parer de feuilles et de boutons de fleurs. La récolte promettait d’être bonne.
Ils signèrent l’acte de vente en juin et emménagèrent dans la foulée. Ils étaient fébriles, ils voulaient être chez eux, ne plus être en bas socialement, ne plus être étrangers puisque on leur avait accordé la nationalité française à leur majorité, en 36 pour Raphaël (qui en plus avait été prisonnier en Allemagne) en 39 pour Conrad, en 46 pour Marie lors de son mariage avec un Français. Seule la dernière de la couvée ne l'avait pas encore obtenue. Ils allaient être désormais les égaux des « vrais français » et donner de la voix dans la politique du village. Et pourquoi ne pas entrer dans le conseil municipal pour, un jour, accéder au poste suprême ? Ils échafaudaient des projets d’avenir. En fait, ils étaient venus vivre en France pour cela : réaliser leur « rêve américain » !
Mais dès le premier jour, Conrad vit que la charrue avait disparu ! Il s’étrangla de colère et courut vers ce qui était maintenant la maison des Zaboto. Il déboula dans la cour, éructant, la bave aux lèvres et se mit à insulter Pépino qui ne se laissa pas impressionner et lui répondit lui aussi quelques injures bien senties. La dispute prenait des proportions alarmantes et Pépina tremblait. Elle savait que son mari était incapable de se défendre physiquement et Conrad était trop en colère ! Quand elle vit que l’animosité augmentait terriblement, elle prit peur et courut vers la maison. Conrad, au paroxysme de sa fureur, sortit un couteau. Les voisins, alertés par le tumulte, s’étaient massés devant le portail et des cris s’élevèrent :
- Ne fais pas le con ! Laisse ces gens tranquilles !
Il hurla encore plus fort :
- La charrue est à moi, je l’ai achetée quand j’ai acheté la maison, ce voleur doit me la rendre !
Il pointa l’arme vers l’abdomen de Pépino qui recula et fit un saut sur le côté. Conrad le suivit, le couteau toujours brandi. Il faisait des moulinets et Pépino bondissait le plus loin possible pour les éviter. Pépina surgit alors, un fusil dans les mains et le braqua vers les deux hommes. Elle cria dans son mauvais français :
- Conrad, fiche le camp ! Laisse mon mari et rentre chez toi ! Si tu ne mets pas ce couteau dans ta poche, je tire !
Et elle le mit en joue ce qui calma le jeune homme immédiatement.
Sous la protection de sa femme, Pépino reprit de la vigueur et de l’assurance et hurla à son tour :
- Conno va ! Tomps m’a donné les outils ! Au lieu de te mettre en colère tu aurais mieux fait de te renseigner ! Si tu croyais qu’il allait vous faire des cadeaux, tu te trompais, vous lui avez fait assez de crasses pour l’obliger à vous vendre son bien ! Il s’est vengé et c’est à lui que tu dois demander des comptes ! Tu n’es qu’un conno, un vrai connard ! Jouer du couteau pour une charrue ! Tu es bon pour l’asile la prochaine fois !
Conrad n’allait pas lui laisser le dernier mot :
- J’irai le voir, ne t’en fais pas et si tu as menti, je porterai plainte à la gendarmerie ! Tu n’en as pas fini avec moi, je t’ai à l’œil et avec le bon ! C’est toi le conno, tu t’es vu avec ta bosse ? Tu n’es même pas fichu de travailler, tu envoies ta femme au turbin tandis que toi tu te la coules douce ! Saloperie, fils de pute, je t’avertis : au moindre écart, je te fais la peau !
Et indifférent au groupe de gens qui se tenait devant le portail, il repartit vers SA maison à grandes enjambées. Pépina, tremblant comme une feuille au vent, tendit le fusil à son mari qui l’entraîna à l’intérieur afin qu'ils puissent se remettre de leurs émotions. Les voisins se dispersèrent en commentant les événements d’un « ça va mal finir au village, il va y avoir des morts si ça continue".
Et ça a continué ! à cause d'une charrue et de parcelles âprement disputées !
A suivre
Jackie Mansas
le 10/03/2016
Sources :
1 : je n'y suis pour rien !
2 : Suzanne Lamoure née Castex +
3 : Joseph Zaboto +
4 : Conrad Badia + et Angel Gallina + Suzanne Lamoure +
Je vous raconterai l'arrivée à Bertren des deux familles, en 1927 pour les Espagnols et en 1951 pour les Italiens un autre jour car ce fut de belles arrivées ! Ils étaient tous des gens bien, braves, honnêtes, travailleurs et serviables. Ils ont vécu dans le même "bain" que les Français.
Mais à partir de 1958, quelques prémices annoncèrent un changement. En 1961 et 1962, un cran fut franchi dans le domaine de l'intolérance avec l'arrivée de quatre familles étrangères au village et à partir de 1965, après les élections municipales, la belle harmonie éclata, hélas ! Cependant, ce fut à partir de l'été 1976, que le tournant décisif de la disparition d'un monde solidaire et fraternel fut effectif, malheureusement... Comme quoi, les visiteurs indésirables ne peuvent apporter que le malheur !
Nous allons donc rester dans l'histoire de ce village jusqu'en 1960. Pour se faire un peu plaisir ! Je n'ai pas envie de raconter des histoires tristes aussi j'édulcorerai le terrible drame de mai 1954 qui plongea les villageois dans une tristesse incroyable et qui déclencha une haine terrifiante chez les protagonistes (n'acceptant toujours pas d'avoir été jugés) qui dure encore, hélas ! Ni celui de 1968, destructeur de vies....
1900 : Lorenzo Cinotti arrive à Saint-Bertrand de Comminges
Lorenzo regardait par la fenêtre du wagon de troisième classe où il avait pris place sur la banquette de bois et installé sa malle, le paysage qui se déroulait sous ses yeux, indifférent au bruit des conversations des autres passagers. Il avait quitté l’Italie la veille et s’enfonçait maintenant dans la campagne française au rythme du train qui crachait sa vapeur blanche. Il la voyait caresser la vitre de temps autre comme le vent la portait.
Il avait parcouru du regard un journal abandonné sur le siège à côté de lui mais l’avait vite laissé ne sachant ni lire ni écrire. Il pensait à sa jeune épouse Catherina qu’il venait de quitter. Ils se connaissaient depuis l’enfance, avaient grandi dans le même village et s’étaient unis pour toujours deux ans auparavant en 1898. Ils étaient très jeunes, 22 et 20 ans et ils s’aimaient profondément. Elle était si belle, si douce et en même temps si volontaire et si gentille ! Il l’avait voulue pour lui et pour la vie. Elle lui avait donné, le 30 mai 1901, son premier fils, Joseph.
Ce n’était pas son premier voyage à l’étranger. Avant d’épouser Catherina, il était parti aux États-Unis, à Chicago, mais la société trop violente lui avait déplu. Il avait horreur des armes à feu malgré qu’il chassait pour améliorer l’ordinaire. Il n’acceptait pas facilement de tirer pour tuer. En fait, comme tous les italiens, il avait été ébloui par le mirage du Nouveau-Monde. Il était rentré très vite en Italie tout en sachant qu’il repartirait bientôt et la France l’attirait irrésistiblement. En cette année 1901, alors que le train crissait sur les voies, il rêvait à son foyer et à la France qu’il voyait défiler sous ses yeux. Le Vintimille-Irun se traînait vers Toulouse et la petite ville de Montréjeau où il devait descendre. Il savait qu’il était attendu, il ne s’inquiétait pas, tout avait été convenu et il n’y aurait aucun problème.
Il sentait au fond de lui qu’il resterait longtemps sur cette terre de France, qu’un jour sa femme et les enfants qui naîtraient le rejoindraient, mais il se refusait à y penser pour ne pas perdre un seul souvenir de sa Toscane. Il avait pris contact avec l’agence de l’émigration de Florence trois mois auparavant. Ces agences contrôlées par l’Etat depuis 1888 étaient tout à fait sérieuses. Il leur avait fait confiance lors de ses précédents voyages. La main-d’œuvre italienne était fortement demandée par les pays industrialisés et le commissariat à l’émigration avait pour mission d’accorder des licences aux transporteurs, de fixer les coûts des billets, de donner les ordres aux ports d’embarquement, de surveiller les conditions de santé des jeunes, de mettre en place des auberges de jeunesse, des établissements de soins et de conclure des accords avec les pays d’accueil pour prendre soin de ceux qui arrivaient. Certains pays n’étaient pas très prisés par les autorités italiennes, comme le Brésil où les conditions de travail étaient jugées inacceptables. Mais les hommes demandaient à partir vers n’importe quelle région du monde occidental du moment qu’au bout, ils étaient attendus.
Lorenzo, comme tous les autres émigrés, fuyait une pauvreté latente et voulait se construire un avenir qu’il imaginait radieux. L’émigration concernait toute la société italienne. Il ne s’agissait pas d’un départ de la misère mais plutôt d’un choix de vie. Les candidats à l’émigration étaient conscients des enjeux économiques que ce mouvement procurait tant dans les pays d’accueil qu’en Italie même. On leur donnait le choix de leur destination et cela fut bénéfique pour tout le monde. Lorenzo pouvait aller travailler dans les forêts de France, de Suisse ou d’Allemagne. En 1895, alors qu’il n’était pas encore fiancé, l’Agence lui avait proposé un emploi de charbonnier en Corse. Il accepta en emportant dans ses bagages, dans une boîte spécialement conçue pour lui, un chaton qu’il adorait. Il supporta les railleries de ses camarades quelques temps et puis un jour, se fâcha tout rouge. On finit par le laisser tranquille et il profita de son chat qui devint un gros matou. Son contrat terminé, il rentra à Maresca chez ses parents. Dès qu’il fut marié et bien que son fils aîné soit né, Lorenzo décida de repartir vers la France et la proposition qu’on lui fit l’enchanta parce qu’on lui assura que la vallée où il irait exercer son métier de charbonnier ressemblait à la sienne, celle de Pistoia : c’étaient les mêmes forêts, les mêmes paysages, la même abondance de sources et les mêmes gens. Il ne fut pas déçu. Et puis, la langue lui semblait belle et facile à comprendre...
Le train s’était arrêté à Toulouse un bon moment et il en profita pour se dégourdir les jambes sur le quai. Il regardait cette foule de français qui s’apostrophaient dans un joyeux brouhaha. On lui avait dit que le Midi de la France était plutôt exubérant et il souriait de voir les gens si amicaux les uns envers les autres ! Il écoutait, avide de sensations nouvelles, il était enfin presque arrivé au bout de son si long voyage. Il éprouvait une sorte d’angoisse mêlée de joie à l’idée que bientôt il serait arrivé là où il allait construire sa vie. Il avait dans ses papiers son contrat signé et son billet de train où le nom de la gare d’arrivée était écrit. Il avait appris par cœur le mot pour le reconnaître le moment venu.
Il avait aperçu les hautes montagnes des Pyrénées après Toulouse et les avaient suivies des yeux tout le temps qu’elles se rapprochaient. Maintenant, elles étaient là. Lorsque le train siffla et que le contrôleur passa entre les rangées de banquettes pour annoncer la destination, il se leva bien avant d’arriver dans la gare et prenant sa malle sur son épaule, se dirigea vers la porte. La plupart des voyageurs firent de même et il fut vite pris dans la cohue.
Il vit des groupes de femmes et d’hommes attendre sur le quai. Le train ralentit sa marche et s’arrêta tout doucement dans un crachotement aigu. Il aperçut deux messieurs à l’air digne et reconnut l’un d’eux à son uniforme : c’était un chef de district des Eaux et Forêts. Il se dirigea vers eux comme si c’était naturel et les salua. Les deux hommes lui rendirent son salut avec chaleur et le monsieur digne à la moustache impeccable se présenta. Il était le maire de Saint-Bertrand de Comminges et il était venu l’accueillir pour le conduire jusqu’à la ville où il allait résider. Lorenzo était sûr qu’on lui avait réservé une maison où il se sentirait bien. Mais il savait déjà qu’il n’y habiterait que l’hiver, qu’il construirait sa cabane là -haut dans un pâturage d’altitude, près d’un ruisseau et des arbres qu’il devrait couper, à proximité d’une charbonnière. Il voulait se réveiller avec le chant des oiseaux, le murmure de l’eau et avec l’aube blanche qui éclaire doucement le ciel.
La calèche était confortable, les chevaux placides. On rangea sa malle sur l’arrière et il prit place au côté du chef de district, le maire guidant l’attelage depuis le siège avant. Il fut ému lorsqu’il vit la cathédrale de Saint-Bertrand se détacher sur le vert des montagnes, vieille dame grise semblant monter la garde à l’entrée des vallées.
Les chevaux connaissaient leur chemin, la route était éclairée par le soleil et ils croisèrent des paysans menant leurs troupeaux et des tombereaux remplis de fumure dans les champs. On les salua au passage. Ils traversèrent les ruines romaines qui se dressaient branlantes dans un décor de champs et de prés bien entretenus et entamèrent la longue montée vers la cité. Le maire dirigea ses chevaux vers la porte Lhérisson, les arrêta au niveau du lavoir. Des femmes lavaient leur linge en bavardant et en riant. Elles dévisagèrent le nouveau venu avec intérêt. Un homme s’approcha d’eux et prit en mains les animaux et le bagage. Les trois hommes se dirigèrent alors vers la Mairie, sise juste à côté de la cathédrale et ils discutèrent avec force gestes pour arriver à se comprendre. Puis ils se rendirent tous jusqu’à la maison simple et petite mais confortable où l’attendait sa malle posée soigneusement à côté de la table.
Dès le lendemain, le chef de district et les agents l’emmenèrent jusqu’aux coupes où ils retrouvèrent les bûcherons. Les jours suivants, il montait le matin à l’aube et redescendait le soir à la nuit tombée. Très vite, il entreprit de construire une cabane faite de rondins de bois. La vie s’organisa simple et rustique autour de la charbonnière. Il la montait tout seul, n’ayant que le temps de la coupe l’aide de quelques bûcherons français. Ils se comprenaient très bien, parlant surtout par gestes. Mais il n’était pas le seul italien dans le pays : son collègue Gustavo Arcangéli travaillait dans les profondes forêts de Barousse, sur Ferrère, là où se trouvaient les meilleures essences. Il était arrivé avant lui en suivant la même filière.
Chaque année revoyait la même effervescence dans la forêt. La demande en charbon de bois était très forte car il était moins onéreux que la houille, non seulement au niveau industriel mais aussi à celui des particuliers quelque peu aisés qui avaient fait installer dans leurs demeures, pour les chauffer, des poêles en fonte recouverts de céramique dont le tuyau de fumée étaient emboîté dans les cheminées. Pour alimenter les foyers, il fallait de très grandes quantités de combustible qui était regroupé dans une scierie ou chez des marchands qui passaient les commandes et le redistribuaient à plusieurs kilomètres à la ronde. Des contrats de confiance étaient passés entre tous les maillons de la chaîne car une vraie filière avait été édifiée. Le charbon de bois était porté dans des charrettes tirées par des chevaux ou des mulets jusqu’à Toulouse mais on utilisa également les wagons à plate-forme des trains de marchandises, cela se généralisa dès que la production fut bien installée.
Et Lorenzo restait dans le Monsacon, le mont de "tous les dieux des Romains", massif couvert de taillis qui s’étend de Saint-Bertrand de Comminges (Haute Garonne) Ourde (Hautes Pyrénées). Il a été de tout temps exploité car couvert de belles forêts de hêtres qui cachent des sentiers silencieux où se promènent parfois les sangliers et autres cervidés... jusqu’au mois de novembre et remontait en mars de l’année suivante. Le premier hiver, il rentra en Italie. Ensuite, il travailla dans une scierie et tous les deux ou trois ans, revint à Maresca amenant le pécule qu’il avait réussi à économiser. Il envoyait la plus grande partie de sa paye par mandat tous les mois à sa femme, ce qui permettait à la famille de vivre.
Colosse de 1.92 mètre et de 110 kilos de muscles qui se contentait de peu, il était un bel homme que les femmes regardaient. Il ne parlait presque jamais, sauf pour dire des choses qu’il jugeait importantes et il manifestait en toute occasion une fierté que l’on pouvait juger hautaine. Mais ce n’était pas cela, au contraire. C’était tout simplement son sens de l’honneur et de la dignité qui était très fort et il ne défaillit jamais au code de vie qu’il s’était fixé.
Il arrivait à économiser pour son voyage et pour emmener des cadeaux aux enfants qui naquirent après chacun de ses retours : Guido le 1er avril 1903, Renato en 1905, Assunta le 9 juin 1908 et Fernanda en 1912. A chacun de ses séjours, il apprenait à connaître ses enfants. L’émotion le gagnait à chaque fois : il découvrait des petits bouts d’humain dont il ne connaissait que le prénom et qu’il devait aimer.
Les années passèrent toutes semblables, les charbonnières succédant aux charbonnières. En 1912, pourtant, il revint à Maresca se reposer quelque temps dans sa famille et repartit en emmenant les deux aînés, Joseph et Guido. Joseph, âgé de 11 ans était remarquablement doué pour les études et son instituteur protesta lorsque Lorenzo lui annonça qu’il partait pour la France. Il voulait le faire étudier, il était capable de pousser des études très loin et il essaya de convaincre le père. Mais Lorenzo fut intraitable, ses garçons devaient travailler, ils devaient apprendre le métier de charbonnier comme lui. Ce qui fut dommage mais Joseph n'en voulut pas à son père, c'était ainsi la vie….
Pour Guido, âgé de 9 ans, ne plus aller l’école était un rêve qui se réalisait car il était gaucher et de ce fait quotidiennement maltraité : plutôt que d’aller à l’école où il était battu et puni parce qu’il n’arrivait pas à se servir de sa main droite, il préférait passer de longues heures dans la nature à apprendre le monde. Il ne sut jamais lire ni écrire ni en italien ni en français mais quelque part, il s’en moquait. Ils n’allèrent pas à l’école de Saint-Bertrand, ils travaillèrent dans la montagne comme les autres bûcherons et pourtant ils n’étaient que des enfants !
En 1914, lors de la déclaration de guerre de la France à l’Allemagne, Lorenzo voulut rentrer en Italie avec ses fils. Il s’adressa au maire en premier lieu puis à la gendarmerie. On lui répondit qu’il était mobilisé en France parce que l’on avait besoin de charbon et qu’il ne retournerait dans son pays que lorsque les hostilités seraient terminées. Il ne put que s’incliner et demanda à ce que sa famille le rejoigne, ce qui fut accepté. Et ce fut donc en 1915, que Catherina, Renato, Assunta et Fernanda débarquèrent à la gare de Montrejeau. Ce fut encore le maire de Saint-Bertrand qui alla les chercher en calèche, accompagné bien évidemment de Lorenzo et de ses fils.
Catherine sut qu’elle devait rejoindre ce mari qu’elle ne retrouvait que lors de ses visites, le temps de lui faire un enfant. Elle n’avait pas vraiment vécu avec lui et se sentait un peu inquiète de devoir vivre désormais tous les jours en famille mais cette perspective la rendait malgré tout heureuse. Elle partit en train chargée de malles et de matelas enroulés. A Vintimille, les douaniers lui demandèrent de leur montrer ce qu’elle transportait sur elle et dans ses bagages. Avec volubilité et forces gestes, elle les convainquit qu’elle était une honnête citoyenne et de ce fait, personne n’eut l’idée de la fouiller. Ils auraient découvert caché sous sa jupe, dans sa ceinture, un petit sac crocheté doublé de soie et nouée par un ruban, qui contenait des pièces d’or. Elle avait converti ce qu’elle avait économisé sur les payes de son mari depuis quatorze ans. Ce "petit trésor" était son secret, elle ne l’avait dit à personne, même pas à Lorenzo qui l’ignorât jusqu’à sa mort.
Les douaniers, sans doute sensibles à son charme et sa beauté, lui montèrent avec galanterie les bagages dans le train. Le trajet fut long jusqu’à Montréjeau mais elle ne perdit rien du voyage. Les trois enfants étaient sages et quelque peu angoissés de quitter leur pays pour aller vivre avec un père qu’ils ne connaissaient pas. Toute leur vie était bouleversée. Catherine avait emporté un plein panier de victuailles et ils mangèrent de bon appétit sans bouger de leurs places. Après Toulouse, au fur et mesure que le train s’éloignait sur les voies, les montagnes approchaient. Les enfants avaient le nez collé contre la vitre pour ne rien perdre du spectacle.
Quand Montréjeau fut en vue, elle entreprit de pousser ses bagages vers la porte mais ils étaient trop lourds. Elle accepta l’idée que des hommes, sur le quai, les lui descendraient. Elle vit son mari par la fenêtre dépassant tout le monde d’une bonne tête et elle aperçut ses deux garçons qui avaient grandi et forci depuis trois ans. Elle faillit presque ne pas les reconnaître tellement ils avaient changé. Lorenzo se tenait roide auprès d’un monsieur élégant, le maire, Monsieur Soulé. Lorsqu’elle descendit sur le quai attrapant ses enfants les uns après les autres, Lorenzo se précipita. Il y eut d’abord les retrouvailles qui furent émouvantes puis il se décida à descendre les malles et les matelas pour les déposer dans la voiture qui suivrait la calèche où toute la famille allait se retrouver. Monsieur Soulé, tout ému d’avoir vu cet homme si grand et si fort, qui ne parlait que lorsqu’il le fallait et justement, fondre devant sa femme, petite bonne femme de 1,58 mètre et toute menue et ses trois autres enfants qu’il ne connaissait que peu, installa la malle et monta sur le siège avant pour guider l’attelage.
La route fut courte tellement tout le monde était heureux de se retrouver. Ils étaient en même temps impatients de connaître la maison simple, propre et bien abritée s’ouvrant sur la rue de Lhérisson. Catherina, que la fatigue du voyage ne semblait ne pas effleurer, s’activa pour installer ses enfants dès que le maire les eut quittés. Elle prépara le repas avec les restes du voyage et tout ce que Lorenzo avait acheté, tandis que son mari allumait le feu dans une cheminée propre mais dont la plaque de fonte était noircie de suie.
Et la vie s’organisa, Renato, âgé de dix ans, rejoignit son père et ses frères en forêt. L’été passa puis lorsque novembre arriva, froid et neigeux, Lorenzo et ses trois fils redescendirent au village. Joseph et Guido partirent travailler à la scierie mais Renato prit avec ses deux sœurs le chemin de l’école. Ils apprirent à vivre tous ensemble en famille.
Et l’année suivante, le 24 juillet 1916, vers deux heures du matin, dans le grand lit de ses parents, naquit une petite fille. Les matrones s’étaient déplacées, Lorenzo et ses fils étaient redescendus du Monsacon sachant que le moment était venu. On n’appela pas le médecin, l’enfant se présentait bien. Les plus petits étaient couchés et les deux grands attendaient avec leur père dans la cuisine. Lorsque les cris retentirent, Lorenzo se sentit très ému, c’était le premier de ses enfants qu’il "voyait" naître ; pour la première fois il était présent.
Le jour venu, il fallut déclarer la petite fille. Il décida de l’appeler Guisepina mais tout ne se passa pas comme prévu. Il ne sut jamais que l’instituteur qui servait d’employé de mairie, ignorait comment déclarer un enfant de parents étrangers et qu’il s’en sortit en ne mentionnant pas la nationalité des parents, ce qui fit que par un souci de véritable intégration, le prénom de Guisepina fut changé en Joséphine.
Le Maire estimait beaucoup Lorenzo et avait décidé avec son Conseil Municipal que le premier enfant qui naîtrait de parents immigrés serait baptisé dans la cathédrale et que les cloches sonneraient à toute volée. Le curé ne fit aucune objection, bien au contraire. Lorenzo demanda au chef de district des Eaux et Forêts avec qui il travaillait d’être le parrain et à sa femme d’être la marraine. Ils acceptèrent et décidèrent du déroulement de la cérémonie car Lorenzo et Catherine voulurent respecter la tradition italienne qui exigeait que les parents n’assistaient ni à la messe ni au repas. Le baptême fut donc célébré en grandes pompes, tous les forestiers en uniforme étaient alignés dans la cathédrale. Les cloches sonnèrent longtemps, la messe fut solennelle, le repas fabuleux. La marraine porta une part de chaque plat à toute la famille.
Dix jours après la naissance de Joséphine et juste après son baptême, ils partirent tous vivre dans la cabane dans le Montsacon jusqu’au début novembre. C’était une vie fabuleuse, il y avait la nature, la forêt, la montagne, les sources, les animaux partout et la petite fille apprit ainsi la vie.
La vie s’écoula tranquillement loin de la fureur de la guerre. Et le temps passa, lentement dans un monde où la nature était omniprésente. Joséphine fit ses premiers pas au Montsacon, avec un coq qui lui apprit marcher. Elle jouait devant la cabane, sur la plate-forme de la charbonnière et les volailles picoraient partout. Le coq passa devant elle, elle attrapa sa queue. Il se mit à chanter. L’oiseau ne protesta pas, se laissa faire et c’est ainsi qu’elle se leva et marcha. Catherine qui racontait volontiers cette anecdote pensait que le coq prit cela pour un jeu car tant que l’enfant ne marcha pas toute seule, il continua à se faire agripper.
En 1918, les habitants ne voulurent pas que les parents ou les garçons descendirent chercher le ravitaillement, de peur qu’ils n’attrapent le virus de la grippe espagnole. Tous les jours, le glas sonnait au moins une fois. Aux morts de la guerre s’ajoutaient ceux de la pandémie. Aussi, à tour de rôle, le maire ou un conseiller, portait les paquets à mi-chemin du Montsacon. Puis, une fois que le porteur s’était éloigné, Lorenzo venait les chercher. Ils échappèrent ainsi à la maladie. Catherine n’oublia jamais la bonté des habitants de Saint-Bertrand. Mais tout le monde était ainsi cette époque : n’ayant rien individuellement, ils avaient tout ensemble et la solidarité était totale ; tous ne faisaient qu’un.
Malgré leur éloignement dans la forêt, ils se tenaient au courant du monde. Joseph apprit le français en lisant les journaux que les bûcherons lui amenaient. Il faisait le compte-rendu des événements à toute la famille et les commentait. Il se passionna pour le Canard Enchaîné au grand effroi de sa mère qui ne pouvait accepter que l’on puisse lire un journal que l’Église condamnait. Il n’en avait cure et lisait, lisait. Il jouait de l’harmonica à la perfection sans connaître le solfège ni sans avoir appris la musique, rien qu’à l’oreille. Comme la plupart des musiciens qui animaient les bals. Lorsque sa petite sœur naquit, il ne put s’empêcher de faire remarquer à ses parents que le prénom de Guisepina ne lui plaisait pas du tout et qu’il préférait qu’on la surnomme Marcella. Comme il était têtu, tout le monde accepta et Joséphine eut deux prénoms toute sa vie. Il avait une opinion sur tout et rageait de ne pouvoir la dire car il était étranger. Il se rattrapa dès qu’il pu acquérir la nationalité française ! Il n’avait peur de personne, il était « grande gueule » parfois méchante en paroles mais juste, loyal et droit ! Il ne put jamais souffrir les injustices et n’hésita pas à les dénoncer.
Guido avait un don : il passait un mois avec un étranger et apprenait sa langue, de ce fait au sortir de l’adolescence, il parlait couramment, outre l’italien, le français, le gascon (qu’il pratiquait avec les gens du pays), l’espagnol, le portugais et le polonais plus tard. Il maîtrisa six langues sans savoir ni lire ni écrire... Il était d’une grande gentillesse, très doux, ne parlait pas beaucoup et ne contredisait ses interlocuteurs en aucune façon. Les filles s’intéressaient beaucoup à lui… Beaucoup eurent le cœur brisé lorsqu’il épousa une compatriote, Genni Arcangéli de Marliana, province de Pistoia en Toscane également.
Renato, quant lui, apprit le français à l’école l’hiver avec ses sœurs, en lisant beaucoup également et le gascon avec les habitants. Il était gentil, débonnaire, discret, réservé mais têtu. Il savait parler aux animaux qui lui obéissaient au doigt et à l’œil, il ne criait pas, ne battait pas, il leur parlait tout simplement. Il n’avait pas la forte personnalité de son frère aîné, il était hypersensible et de ce fait assez fragile et se montra de tout jeune, un véritable bourreau de travail.
Les filles allèrent à l’école de Saint-Bertrand toute l’année et au catéchisme mais du mois de mars au mois de juin, elles traversaient la forêt pour rejoindre l’école et l’église ; ensemble, elles n’avaient par peur. L’hiver, toute la famille restant en ville, les enfants jouaient avec les autres jeunes villageois. Le jeu favori de Joséphine était de faire rouler une balle dans la rue en pente et de lui courir après pour la rattraper. Mais son voisin, le fils du notaire, la lui prenait bien souvent. Quand il ne voulait pas la lui rendre, elle se mettait pleurer et il cédait aussitôt.
En 1920, les forestiers avertirent Lorenzo que les coupes de bois sur Saint-Bertrand étaient terminées et qu’il montait travailler à Mauléon-Barousse. Une maison avait été louée pour la famille et il partait sur le village de Ferrère puis rejoindrait Mauléon-Barousse. Ils ne s’en allaient pas au hasard, Lorenzo savait où se trouvaient ses coupes et un appartement avait été réservé chez Janie Arpajou au café-auberge. Janie menait sa maison d’une main de fer et assurait le portage du courrier grâce une petite voiture tirée par un cheval débonnaire, de la gare de Saléchan à la poste de Mauléon. Lorsque les coupes furent terminées sur Mauléon, il partit dans la forêt domaniale de Ferrère.
Joséphine avait quatre ans, c’était en 1920. La guerre était terminée depuis deux ans, la vie avait repris son cours malgré l’absence des jeunes hommes morts à la guerre. Les villages avaient perdu une partie de leur âme et les bras manquaient mais les femmes qui avaient montré un réel courage durant la guerre, continuaient à travailler dans les champs et menaient leurs maisonnées. Très fortes et généreuses, elles pensaient aux leurs mais aussi aux autres plus démunis. La solidarité, toujours, n’était pas un vain mot.
En 1921, ils montèrent donc à Ferrère où on leur avait réservé une maison pour les mois d’hiver. Lorenzo ne tarda pas construire une cabane où ils vécurent de fin mars à mi-octobre. La famille s’était intégrée à la population de cette vallée reculée et repliée sur elle-même. Assunta était devenue Eléonore par la volonté d’un employé de mairie qui francisa les prénoms. Mais il ne sut pas traduire celui-ci et lui en choisit un bien français. Guiseppe devint Joseph, Guido Guy, Renato René et Fernanda Fernande. Bien évidemment, les parents y eurent droit aussi, Lorenzo devint Laurent et Catherina, Catherine. Ils avaient accepté puisque ils savaient que désormais la France était leur pays.
Cette année-là, Eléonore fit sa communion à l’église de Ferrère, elle descendait à pied et remontait ensuite pour suivre l’école et les cours de catéchisme. Fernande l’accompagnait bien que plus jeune. Le curé sermonnait les enfants qui rechignaient à l’écouter attentivement en donnant l’exemple de la petite fille qui venait de là-haut.
Gustavo Arcangéli, arrivé avant Lorenzo, décida de créer sa propre entreprise en achetant la scierie de la Christinie à Mauléon-Barousse. Elle avait été créée au Moyen-âge en même temps que les moulins du lieu et de la vallée et avait été exploitée très longtemps par les Cagots. Il la développa et embaucha tous ses compatriotes dont il fit venir la plus grande partie des villages de sa province natale de Pistoia. Certains restaient sur le lieu pour travailler le bois en traverses qui étaient transportées à la gare de Saléchan où les ouvriers les entassaient sur les wagons à plate-forme. Elles étaient très lourdes et ils en avaient les épaules lacérées, les plaies saignaient beaucoup. Catherine, toujours généreuse et compatissante, leur cousit des coussinets qu’ils placèrent sur l’épaule sous la chemise et ils purent travailler dans de meilleures conditions.
Les autres ouvriers coupaient le bois ou fabriquaient le charbon dans les forêts de Ferrère, du Hourmigué de Sost, de Cazarilh et dans le Montsacon.
A suivre
Jackie Mansas
6 avril 2016
Ayant appris que des personnes indélicates se servent en les transformant, de mes articles à des fins personnelles, je me vois obligée de les faire protéger juridiquement.
RAPPEL :
https://www.adagp.fr/fr/droit-auteur/les-textes
LE CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
Deux lois ont posé les grands principes du droit d’auteur :
- la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique ;
- la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle.
Les dispositions de ces deux lois ont été intégrées au code de la propriété intellectuelle (« codifiées ») par la loi n° 92-597 du 1er juillet 1992.
C’est aujourd’hui le code de la propriété intellectuelle, complété notamment par la loi « DADVSI »du 1er août 2006 et les lois « HADOPI » de 2009, qui constitue le texte de référence en matière de droit d’auteur.
>> Consulter le code de la propriété intellectuelle sur Légifrance.
LES DEUX BRAMEVAQUE DES PYRENEES - 2
PHOTO JEAN-PIERRE POMIES (voir son site de photos, clic mots-clés son nom et son prénom ou bien Bramevaque en Couserans photos)