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Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...


Pierre et Rose : un amour perdu dans la guerre 14-18...épisode 1.

Publié par Jackie Mansas sur 31 Octobre 2017, 09:20am

Catégories : #Culture et société pyénéennes

La Rosière de Nanterre en 1908 : la jeune fille choisie pour sa vertu était couronnée après une grande messe... et dotée.
La Rosière de Nanterre en 1908 : la jeune fille choisie pour sa vertu était couronnée après une grande messe... et dotée.

La Rosière de Nanterre en 1908 : la jeune fille choisie pour sa vertu était couronnée après une grande messe... et dotée.

Dans les bois de Ferrère et du Nistos en 1893...

 

 

Mon grand-oncle Pierre Saint-Martin de Ourde était garde communal forestier à Hèches et allait passer garde forestier domanial ... août 1914 le voit partir en première ligne des combats avec son régiment de chasseurs forestiers. La mort mettra fin à ses cauchemars mais il laissera à Hèches, l'amour de sa vie rencontré dans les estives du Nistos ....

 

 

J'ai imaginé son histoire comme ça, pour que son souvenir reste... 

 

 

 

La fille dans les bois

 

 

 

Flop... fit la rosée en tombant sur le visage du jeune homme endormi au pied d'un hêtre centenaire. Son nez se fronça comme si quelque chose le chatouillait mais il ne se réveilla pas et se retourna en grognant un peu.

 

 

Flop... fit la rosée en touchant le creux de l'oreille. Pierre commença alors à sortir du sommeil profond qui l'emmenait depuis toujours dans des rêves sans fin où une sarabande de filles aux joues roses lui donnait le tournis et l'enveloppait d'une douce chaleur ! Il essuya la goutte d'eau en caressant le lobe sans s'attarder puis ouvrit les yeux et vit l'horizon s'éclaircir, la nuit s'éloignait doucement, il bailla en s'en décrocher la mâchoire. Il aperçut alors un merle dodu qui picorait un bouquet de feuilles au-dessus de sa tête et qui semblait rire lorsque les gouttes de rosée tombaient. Les trilles s'envolaient et l'écho répondait.

 

 

 

Il étira ses longues jambes en cambrant son bassin, ce qui déclencha une réaction tout à fait naturelle chez un jeune homme de 18 ans et il savoura cet état de béatitude. Mais le merle dodu continuait son manège saluant le jour à sa manière par des sifflements stridents et bien évidemment pour éviter un accident subit, Pierre se redressa et face au ciel qui se dorait parce que le soleil grimpait derrière la montagne en face, étira ses bras comme s'il le saluait. Et il cria de bonheur. Plusieurs fois. Les cris s’enfuirent vers les rochers de la falaise et l'écho les renvoya à l'infini. Phébus ne jaillirait en haut du mont que dans une heure, la lumière s'étendrait chaude et légère et la forêt s’illuminerait. Pierre était habitué au spectacle magique du lever du jour dans les Pyrénées mais une fois de plus, une fois encore, il était ébloui, fasciné, irradié de bonheur.

 

 

 

Il se dirigea vers un arbre, déboutonna sa braguette et prit son temps. Puis il se dirigea vers la source pour laver son visage et ses mains. Et enfin, il se rassit face au levant, ouvrit sa musette, tira le morceau de pain que sa mère avait enveloppé dans un torchon avec un gros morceau de fromage. Il n'en mangea que la moitié gardant le reste pour midi puis alla boire à la source. Rassasié et motivé, il se dirigea vers le sentier de l'estive du Bas sur les montagnes d'Ihet en vallée d'Aure. Il se doutait bien que le bouc qui s'était échappé de leur troupeau la veille en fin d'après-midi depuis celle du Mont Aspet avait rejoint en ce lieu, les chèvres de Prosper un berger ronchon, susceptible et querelleur. Un acariâtre de premier ordre ! Jamais un mot aimable, jamais un sourire, toujours à râler pour un oui pour un non et toujours à contester n'importe quoi que l'on pouvait lui dire ! Mais personne ne le fuyait, au contraire, il était le meilleur… Et les trois hommes qui gardaient les troupeaux avec lui en étaient fiers. Pierre allait l'affronter sans trop d'appréhension car il aimait les joutes verbales mais il savait qu'avec lui, il n'aurait peut-être jamais le dernier mot !

 

 

 

Au fur et à mesure qu'il avançait sur le sentier, la lumière le suivait mais l'ombre refusait de s'en aller. Lorsqu'il s'enfonça dans le bois touffu de Cuneille pour rejoindre le col de Bas, le soleil jaillit comme un beau diable et la forêt s'enflamma. Il se trouvait à cheminer dans une gerbe de lumière et soudain décida de sautiller de tâches d'ombre résistantes en tâches d'ombre fuyantes comme un cabri joyeux ! Il voulait arriver sans être vu car en remontant la pente et en se cachant derrière les rhododendrons et les myrtilliers, il pourrait surveiller la cabane des bergers et ainsi repérer son bouc, un sacré bon reproducteur que tout le monde leur enviait. Auguste, son frère aîné, l'avait averti :

 

- Tu l'as laissé s'échapper, alors tu le retrouves et tu ne reviens pas à la maison sans lui sinon, il t'en cuira. Tu demandes un chevreau que tu iras chercher quand les chèvres qu'il aura sailli auront mis bas et tu ne te laisses pas faire : 1 chevreau par chèvre saillie !

 

 

Pierre n'avait pas bronché. Il était le cadet alors il devait se soumettre à l'aîné, l'héritier et il était parti immédiatement à la recherche du fugueur sans demander son reste en prenant au passage la musette que sa mère lui tendait.

 

 

 

Auguste était né en 1872 mais il secondait Simon, leur père âgé et malade depuis ses treize ans. Très dur et autoritaire, il menait la maisonnée à la baguette, il n'était pas question de lui tenir tête et de le contrarier. Il n'avait jamais levé la main sur quiconque mais il inspirait une crainte irraisonnée dès qu'il haussait la voix. La seule qui osait lui répondre était leur sœur Félicie. Amélie, l'aînée de la couvée qui ne se laissait pas faire non plus, était entrée au couvent en 1888 à l'âge de 17 ans pour fuir le prétendant qu'il voulait lui imposer. Simon avait approuvé d'un hochement de tête fatigué le projet de son fils. Mais comme ses sœurs, Amélie ne voulait pas du destin de leur mère, elle ne voulait pas épouser un homme qu'elle n'aurait pas aimé et comme le « futur » était plus âgé qu'elle, elle le refusa. Elle ne voulait pas faire des enfants qui vivraient à leur tour ce que tous les huit enfants de Simon et Clémentine supportaient. Elle préférait se lier pour toujours à Dieu. Elle avait fait ce choix secrètement après sa profession de foi parce que l'engagement des Petites Sœurs des Pauvres lors de leurs quêtes annuelles l'avait convaincue que sa vocation n'était pas de travailler la terre mais de se mettre au service des plus pauvres.

 

 

 

Et Auguste accepta cette décision radicale mais même s'il eut un serrement de cœur car il savait qu'il ne la reverrait plus jamais, il se réjouit de la belle vie qui l'attendait et aussi parce que son départ soulageait les finances de la famille, il y aurait une bouche de moins à nourrir. Le prochain à caser était Pierre mais en tant que cadet, il pourrait rester quelques années de plus à la ferme au moins jusqu’à la fin de son service militaire, dans cinq ans. Quant à Félicie, 16 ans, dès sa majorité, elle devrait obtempérer néanmoins la tâche s'avérait difficile, vu le caractère entier et tout aussi autoritaire que le sien, doublé d'une avarice difficile à gérer qu'elle manifestait à tous moments.

 

 

 

Marie 14 ans, Bertrand 13 ans, Jean-Marie 11 ans et Victorine 9 ans devaient grandir encore mais il songeait déjà à leur avenir en dehors du village, en dehors de la vallée ; pour les filles, cet avenir était tout tracé : ou le couvent ou le mariage, il n'y avait pas à discuter, ce serait comme cela, il l'avait décidé. Pour les garçons, il y aurait trois alternatives : l'armée, l’administration, le clergé. Tout le monde avait accepté sa détermination à les voir réussir leur vie future mais Félicie avait fait la tête durant une semaine, elle ne se marierait pas et elle n'entrerait pas au couvent. Elle resterait à la ferme avec sa mère. Têtu il était, têtue elle était aussi. Pourtant au fond d'elle-même, elle savait qu'elle devrait choisir un jour où l'autre. Le destin de chaque femme était d'obéir au pater familias sans jamais protester et en baissant les yeux et en l’occurrence, dans sa famille, le chef était son frère. Un frère qui n'admettait pas qu'on lui tienne tête et qu'on le contredise et pourtant, il n'avait que 22 ans… Ça promettait...

 

 

 

L'horizon s'éclaircissait et Pierre allait sortir de la forêt mais il s'arrêta pour écouter les bruits autour de lui. Outre les trilles des oiseaux sous le couvert, le glatis de l'aigle tournoyant dans le ciel et les frôlements des animaux dans les fourrés, il entendait monter de l'estive des bêlements, le hennissement des ânes et un claquement de métal ; sans doute, Prosper ou l'un de ses aides affûtait-il un outil, une faux plus précisément, le sifflement de la meule sur le fil de l'acier frappait l'air léger du matin. Tout le courtaou était à l’œuvre, il fallait maintenant attendre le bon moment pour affronter le majouraou.

 

 

 

Sans quitter le bois, il en longea la lisière en partie cachée par des hautes fougères. Les myrtilliers couverts d'une multitude de fleurs blanches leur succédaient en remontant le talus. Il s'immobilisa à nouveau avant de prendre la carretère serpentant entre les deux végétations pour évaluer le terrain. En marchant courbé, il pourrait arriver jusqu'à la source qui sourdait à quelques mètres de la cabane. Les animaux venaient d'être lâchés et après avoir bu, s'éparpillaient sur la pâture. Ils seraient rentrés le soir dans l'enclos clôturé par des planches et des panneaux de bruyère sous la garde des deux ânes et des trois gros patous immaculés. Si les loups ou les ours venaient rôder, les chèvres et les brebis seraient protégées, les gardiens faisant leur office immédiatement et les bergers, alertés, sortiraient aussitôt, le fusil à la main. En général, ils tiraient en l'air et les visiteurs fuyaient sans demander leur reste. Les deux labris hargneux dormaient dans la cabane d'un seul œil et l'oreille aux aguets... Les hommes pouvaient se reposer en toute confiance, ils étaient bien gardés.

 

 

 

Pierre se pencha en avant et avança doucement en évitant de frôler les fougères. Il rejoignit la source et vit que le gros chêne à la ramure imposante était toujours là. En trois bonds, il le rejoignit, se cacha derrière l'énorme tronc puis grimpa jusqu'à une grosse branche faisant face à la cabane. Son cœur tapait comme un fou et il respirait fort.

 

 

 

Rassuré parce que personne ne l'avait repéré, surtout pas les chiens, Pierre se cala confortablement et commença sa surveillance. Il fallait attendre le moment propice pour se montrer et affronter Prosper qui ne voudrait pas, cela était plus que certain, le laisser récupérer son bien.

 

 

 

Il reconnut le plus jeune des aides-bergers, Firmin de Bize, 18 ans comme lui, amoureux fou de la montagne comme lui et de toutes les filles qu'il pouvait rencontrer, comme lui ! Ah ! L'amour , la danse, le bon verre de vin et les petits verres de gnôle que l'on pouvait boire les jours de fête patronales et dans les cafés, les matins de marchés ! 

 

 

A suivre

 

 

Jackie Mansas

17 octobre 2017

 

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