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Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...


Le certificat d'études de 1937 à Mauléon-Barousse

Publié par Jackie Mansas sur 15 Février 2016, 19:58pm

Catégories : #Culture et société pyénéennes

Le certificat d'études de 1937 à Mauléon-Barousse

Où les garçons de Bertren se firent remarquer et traiter de crétins par leur instituteur Monsieur Rumèbe .....

 

« Passer le certif» était un événement. On attendait ce jour avec impatience dès le début juin. Dans tous les villages, on en parlait, on encourageait les enfants et on essayait de tranquilliser les parents ! On se demandait sur quels programmes porteraient les sujets de français et de calcul. La dictée faisait un peu peur car les correcteurs étaient sévères, qu’on en juge : ¼ de faute pour une ponctuation ou un accent oubliés ; ½ faute pour des mots écrits de façon tout à fait farfelue, 1 faute pour une conjugaison défectueuse ou un accord omis ; on arrivait vite à 5 et au zéro en dictée ! C’était la honte assurée !

 

Les filles dont les longs cheveux avaient été lâchés et coiffés avec des rubans blancs, vêtues d’une sage jupe bleu marine, d’un chemisier blanc et d’un gilet en tricot également bleu marine, chaussées à neuf de chaussures brillantes, montèrent dans la voiture du maître très intimidées. Les garçons étaient habillés d’un short noir retenu par des bretelles - le tout acheté pour l’occasion et qui servirait ensuite tous les dimanches - de hautes chaussettes tricotées par les grands-mères, d’une chemise et d’un gilet. Certaines mères avaient passé du temps à frotter les souliers montants lacés de leurs rejetons et à les cirer pour qu’ils aient l’air d’être neufs ! Elles étaient bien conscientes qu’en fin de journée, ils auraient retrouvé leur aspect habituel mais il fallait faire bonne impression ce jour tant redouté !

 

Tous avaient les cheveux coupés en brosse. Les coiffeurs de Loures-Barousse n’avaient pas chômé les jours précédents, chaque maître de chaque village présentant des élèves !

 

Les familles étaient tellement angoissées que les mères et grands-mères avaient déposé et allumé devant la Vierge de l’église de chaque village, un cierge pour protéger leur « petit » qui allait tellement souffrir durant toute la journée du « certif » ! Partout, les autels de Marie croulaient sous les bouquets de fleurs. Il fallait mettre toutes les chances de son côté, même si l’on savait que le candidat était aussi fainéant qu’une carpe au repos !

 

Quelle animation sur la place du chef-lieu ! Certains enfants qui habitaient les villages voisins arrivaient à pieds. Les examinateurs –instituteurs (tous venus du canton voisin) attendaient les petits candidats de pied ferme devant le portail de l’école.

 

Ils firent ranger les garçons d’un côté et les filles de l’autre, la voix autoritaire et le regard sévère. Ils étaient aussi anxieux que leurs collègues car ils ne souhaitaient qu’une chose, que tous rentrent chez eux le soir avec le « certif ». Le diplôme était un sésame pour leur vie future même s’ils partaient travailler sur les chantiers, à l’usine ou restaient sur l’exploitation de leurs parents.

 

Les maîtres, les femmes dans un coin du préau, les hommes un peu plus loin dans la cour, étaient rongés par l’angoisse, c’était leur année de travail que l’on allait juger, leur savoir, leur pédagogie. Plus ils auraient de reçus, mieux ils seraient notés. Et leur fierté serait grande. Ils s’étaient regroupés et parlaient entre eux de leurs meilleurs élèves. On échangeait des anecdotes, on riait de certains travers, on critiquait toutefois la violence sous-jacente que l’on devinait derrière les petites mesquineries quotidiennes ; si l’on n’y prenait garde, elle se déchaînerait.

 

L’attente fut longue, la matinée s’étira lentement.

 

A midi, les copies de l’épreuve de calcul relevées, les candidats se regroupèrent autour de leurs maîtres respectifs après avoir récupéré leurs casse-croûte gardés au chaud dans une gamelle en fer blanc briquée elle aussi pour l’occasion et s’installèrent sous le préau pour le déguster avec appétit, étroitement surveillés par les instituteurs qui veillaient à ce que personne ne se tâche ! Il fallait rester net pour les épreuves de l’après-midi : les sciences naturelles, l’histoire et la géographie et l’inévitable récitation d’une poésie réservée aux filles après l’épreuve de couture. On exigeait des garçons de chanter le premier couplet et le refrain de la Marseillaise. Il y avait des couacs qui amenaient des sourires et certains mots étaient mangés ou avaient été transformés de façon on ne peut plus fantaisiste !

 

Les instituteurs se rappelaient les bons moments passés à écouter les garnements chanter des Marseillaise très originales plus ou moins justement.

 

Rouget de Lisle n’aurait sûrement pas reconnu le sens guerrier qu’il avait voulu donner à son chant révolutionnaire car la distraction et la mauvaise volonté des charmants élèves du 20ème siècle de Bertren l’avaient converti en 1937 en une parodie qui fit rire jaune les examinateurs du certificat d’études !

 

Apprendre en classe l’hymne national était pour tous une véritable corvée et ils pensaient souvent à autre chose. Il advenait alors que les mots n’étaient pas très bien compris et comme il fallait suivre - ou bien on recevait des coups de règle sur le bout des doigts - on inventait et on s’échangeait volontiers les trouvailles. Impossible ensuite de rétablir les paroles initiales, l’habitude était définitivement prise. Personne n’avait réussi à savoir s’ils croyaient vraiment en ce qu’ils chantaient et s’ils en comprenaient surtout le sens.

 

Les maîtres évoquèrent par la suite chaque année la session du certif de 1937 où chaque candidat de Bertren avait entonné un couplet assez singulier (1) :

 

« Allons enfants de la Marine »

« Le jour ma gloire est arrivé ! »

« Contre nous de la Birmanie »

« L'espentard sanglant est levé »

« Entendez-vous dans nos campagnes »

« Rougir « céféro » le soldat ? »

« Ils viennent jusque dans vos bras. »

« Égorger vos fils et vos campagnes ! »

 

Le refrain avait été et c’était un miracle, correctement chanté. Mis à part un étourdi qui oubliant où il était, le termina par un « Tas de couillons ! » - rimant avec « nos sillons » - retentissant.

 

Il faut dire, pour ne pas les accabler, qu’ils avaient grandi jusqu’à la première rentrée de classe en ne parlant que le gascon. Le français était vite assimilé à l’école mais la grande majorité des enfants ne le pratiquait pas à la maison et en société. Le français était l’école, le gascon était la vie. Alors toutes les subtilités de la langue de Molière n’étaient pas totalement intégrées à la fin du primaire quoique tous parlaient ensuite un français plutôt châtié.

 

Sachant cela, les instituteurs n’avaient pas été trop sévères. Mais celui de Bertren n’apprécia pas du tout d’être ridiculisé par une bande de chenapans de 13 et 14 ans qu’il avait dû mener à la dure durant toute l’année. Comme ils avaient été tous reçus, ils échappèrent à l’orage mais s’entendirent traiter de crétins tout au long du chemin du retour.

 

Monsieur Rumèbe ne put s’empêcher de leur demander :

- Au fait, les merdeux, dites-moi : pourquoi la Birmanie ?

 

Les garçons se regardèrent en riant sous cape et le chef de bande répondit :

- Mais Monsieur, c’est vous qui en avez parlé au mois d’avril ! Vous nous avez montré où le pays était sur la carte et vous avez dit que les « Rosbiff » avaient une fois de plus sévi en le séparant de la dinde !

- De l’Inde, crétin ! J’ai dit de l’Inde, c’est aussi un pays ! Mais de quels crétins ai-je hérité dans ce village ! Et puis on ne parle pas des Anglais en les appelant les « Rosbiff » !

- Mais Monsieur, c’est vous qui…

- Je sais, je les ai nommés ainsi mais vous n’avez pas besoin de répéter comme des perroquets ! Ce n’est pas possible d’être crétin à ce point ! Et puis, vous n’en avez pas assez de faire des bêtises ? Cette année a été catastrophique car non seulement vous n’avez rien écouté mais en plus vous avez failli mettre le feu à la charpente de l’église et pour finir, vous avez inventé de nouvelles paroles à la Marseillaise rien que pour m'ennuyer ! Est-ce que je me trompe ? Non ? J’aurai tout vu dans ma carrière d’instituteur !

 

Il se tut un instant et se remémora ce fameux jeudi d'avril 1937 où avec le maire, il travaillait sur un dossier lorsqu’ils entendirent des cris monter de la place. Des gens désignaient de la fumée qui s’échappait du toit en ardoise de l’église !

Les hommes s’apprêtaient à retourner chez eux chercher des seaux et des pelles lorsque Simon Mansas s’engouffra dans le clocher et monta les marches quatre à quatre. On entendit des cris sous la voûte et une galopade dans l’escalier. Des garçons dont son frère Bertrand Mansas et Roger Soulé, des grands gaillards de quinze ans, déboulèrent sous le porche en se frottant les fesses. Ils s’arrêtèrent net devant le groupe d’adultes qui les attendait, pas content du tout. Ils baissaient la tête faussement contrits lorsque Simon apparut portant une blague à tabac, du papier Job, un briquet, des cigarettes à demi-consumées et un gros magazine où des femmes nues souriaient lascivement à chaque page.

Il expliqua que les garnements se tenaient sous la charpente dans l’étroit espace entre la voûte de la nef et le toit et qu’ils fumaient comme des pompiers en salivant devant des photos très, très érotiques… . Ils avaient été délogés manu militari à coups de pieds dans le bas du dos : Simon n’avait pas lésiné ni sur le nombre ni sur l’intensité de la correction.

 

Les plus jeunes en reçurent autant à la maison et partirent au lit sans souper. Quant aux deux grands imbéciles, ils furent privés de vélo durant une semaine ! Cela ne les empêcha pas d'imaginer - pour se venger - une énorme bêtise qui faillit causer un drame...

 

Jackie Mansas

le 15 février 2016

 

(1) : volontairement pour se venger du régent trop sévère et selon les dires "méchant" !

 

Sources : Charles Couret + et Roger Soulé + de Bertren

Madame Combes + et Marcel Seilhan + de Sacoué (pour leur certificat d'études à eux !)

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