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Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...


Le jour de la grande inondation, le 3 juillet 1897 - 4

Publié par Jackie Mansas sur 17 Octobre 2017, 09:10am

Catégories : #Culture et société pyénéennes

Le maître d'école d'autrefois (régent) ne plaisantait pas : aïe, aïe, aïe : la règle et le doigt pointé !

Le maître d'école d'autrefois (régent) ne plaisantait pas : aïe, aïe, aïe : la règle et le doigt pointé !

 

L'histoire se termine : découvrez le régent qui fait la morale parce que les villageois parlent gascon....

 

 

LA CUITE DE PAULIN

 

 

4- FIN

 

 

"Le printemps 1898 était bien entamé lorsque le moumoun arriva en ce monde le 4 du mois d'avril. Bien après qu'il eut poussé son premier cri, Bernard fut autorisé à visiter sa femme et à connaître sa fille ! Après trois garçons, c'était un don de Dieu. Quand il se pencha sur le berceau, il sursauta, déconcerté, le bébé était très blanc et très blond et ses yeux grand ouverts étaient gris ! Il ne ressemblait à aucun membre de la famille… Berthe le regardait, quelque peu inquiète de sa réaction. Il se reprit très vite car un brouhaha dans le couloir annonçait que les voisines, parentes et amies venaient en visite, suivant la tradition.

 

 

Il fit entrer Louise et sa fille Baptistine qui précédaient la vieille Jeannou courbée sur sa canne, le fichu noir du dimanche tout propre noué serré sous le menton, qui marchait lentement. Elle était suivie par les deux tantes célibataires de Berthe venues en calèche depuis Sauveterre de Comminges.

 

 

Jeannou parla la première, son âge et sa position de veuve de maire lui conférait cet avantage, ensuite viendrait le tour de Louise et des parentes puis de Baptistine. L'usage serait ainsi respecté. Elle félicita le papa d'abord, car selon la croyance unanimement répandue, c'était uniquement grâce à lui que le bébé était arrivé là. Elle se tourna ensuite vers Berthe puis se pencha sur le berceau et eut un soubresaut que tout le monde prit pour un hoquet dont elle souffrait souvent. Quand tout le protocole eut été respecté, que Louise et Baptistine eurent pu constater que leurs craintes étaient fondées, que les tantes se soient extasiées sur la beauté du bébé, on se mit à parler, à rire et à commenter l’arrivée de « l’enfant de l'aygat » vu que Bernard avait eu la bonne idée d'honorer son épouse durant cette période ce qui ne pouvait apporter que du bonheur à tous ….

 

 

On était lundi et l'heure de la sortie de l'école ayant sonné, les trois fils du couple déboulèrent tous joyeux dans la chambre suivis du régent qui venait rendre ses devoirs et féliciter Berthe. Il était de la ville, de là où les femmes occupaient une meilleure place. Les garçons s'approchèrent timidement du berceau puis exprimèrent une joie sincère, ils avaient enfin une petite sœur ! Cependant Ernest, 9 ans, le dernier de la couvée, avait des questions à poser.

 

 

- Papa, comment elle va s'appeler notre petite sœur ?

- On n'a pas choisi, on croyait que ce serait un garçon. Mais il faut trouver un prénom pour que je puisse la déclarer à la mairie ce soir.

 

 

Ernest avait un sens aigu de l'observation et le don de mettre le pied dans le plat quand il ne fallait pas :

 

 

- Dis papa, pourquoi elle est si blanche ? On dirait qu'elle a trempé dans du lait toute la nuit ! Pourquoi elle est pas comme nous ? Elle est si jolie !

 

 

Se doutant que l'enfant allait faire la gaffe de sa vie tant il avait l'esprit leste et la parole facile, Louise s'était approchée de lui et avait posé sa main sur son épaule. Et bien sûr, il la commença cette grosse bêtise :

 

- On dirait qu'elle ressemble au p… Aïe ! Aïe ! Aïe !

 

 

Louise serrait très fort pour que le petit se taise et en profita pour diriger la conversation dans une autre direction :

 

- Ernest a raison, elle ressemble à un ange comme sa grand-tante Blaisine ! Tu te souviens Jeannou, de Blaisine que l'on surnommait Tête d'Or quand elle était petite ?

 

 

La vieille femme appuyée sur sa canne et dont les yeux bleus malicieux mangeaient le visage, répondit du tac au tac :

 

 

- Ô pauvre ! mais oui, tu as raison la Louise ! Elle est le portrait craché de ta tante, Bernard ! Tu ne te souviens pas d'elle car elle est partie à l'Amérique bien avant que ta mère n'ait pensé qu'un jour elle allait te pondre ! Elle était une vraie beauté !

 

 

 

Bernard ouvrait des yeux ronds comme des soucoupes car il ne comprenait rien à ce qu'il se passait tellement il était subjugué par la joliesse du minuscule visage de porcelaine auréolé d'un duvet doré comme du miel. Il avait réussi à faire ça, lui ? Après trois garçons aussi bruns et aux yeux si foncés ?

 

 

Néanmoins, il répondit poliment à l'Ancienne :

 

- Je sais qu'elle est partie avec un colporteur qui se faisait passer pour un comte en goguette, mama me l'avait raconté mais je ne savais pas comment elle était, je croyais quelle lui ressemblait...

 

 

Jeannou le coupa vivement :

 

- Ah non, alors ! Elles étaient différentes, totalement opposées, ta mère ressemblait à une mauresque et elle à une vasigore comme ta fille…

 

Personne ne comprit ce qu'était une vasigore mais n'osa demander, par respect pour son grand âge. L'instituteur, quant à lui, ne s'embarrassa pas de scrupules et lui posa la question. Elle répondit en accentuant son air espiègle habituel :

 

 

- Enfin moussu le régent, c'est étonnant que vous qui êtes si intelligent ne savez pas ce qu’est un vasigore. Enfin ! C'est un peuple qui a envahi la France et a chassé les Romains, non ?

 

 

L'instituteur, blême tant il était scandalisé, s'exclama :

 

- Mais enfin, Madame Jeannou, on ne dit pas vasigore mais wisigoth !

 

 

- C'est ce que j'ai dit !

 

 

- Non, non, vous avez dit vasigore et non wisigoth, ce n'est pas la même chose, voyons. Changeons de conversation, voulez-vous et puisque vous connaissez toutes les histoires de ce village, parlez-nous de Blaisine et sans déformer les mots s'il vous plaît ! Si vous les prononcez de travers, comment voulez-vous que les enfants m'écoutent ensuite ?

 

 

Jeannou n'était pas contente du tout d’être sermonnée et le fit savoir, fière de sa mauvaise foi :

 

- Pfftt ! Toujours à cheval sur la grammaire ! Je parle patois moi, môôôôssieur et en patois on dit vasigore… Pfftt ! Pfftt ! Bon, Blaisine était une belle jeune fille très courtisée par les garçons. Mais il n'y en avait qu’un qui lui faisait battre le cœur, un colporteur dont le petit nom était Joseph et qui venait très souvent vendre son linge au village pour la voir. Tes grands-parents, Bernard, n'étaient pas contents du tout car ils l'avaient promise à un garçon d'Izaourt, un riche héritier. Alors, un soir d'été, vers minuit, Blaisine s'échappa sans bruit pour rejoindre Joseph.

 

 

 

Elle s’interrompit, mutine en diable... De naturel taquin, elle avait une envie folle de lancer une pique à Bernard - et par là même au régent - sans qu'ils se doutent un instant qu'elle leur était destinée ! Et elle la leur décocha en prenant un air angélique qui ajouta à la cocasserie de la conversation :

 

 

 

- Il faisait un vent à décorner tous les cocus du village – et il y en avait un grand nombre, pfftt ! - quand elle s’est enfuie, c'est pour cela que sa famille n'a rien entendu ! On ne les a jamais revus mais elle a souvent écrit à ta mère de « nouilleaorque » où ils avaient ouvert un négoce de lingerie fine. Il paraît qu'ils ont fait fortune mais elle doit être morte maintenant, ou alors elle est aussi vieille que toi, Louise… Elle était de ton âge, il me semble ? Quand j'étais jeune, il en venait aussi des colporteurs mais je n'étais pas aussi jolie qu'elle alors ils ne se sont jamais intéressés à moi. Sinon, j'aurais fait la même chose.

 

 

 

L'instituteur fronçait ses épais sourcils car le « nouilleaorque » lui restait en travers de la gorge. Il avait bien compris qu'elle avait voulu dire New York mais se garda de le lui faire remarquer craignant encore une répartie acide dont elle avait le secret. Il ne pouvait supporter, en bon serviteur de la République dont le français était la langue officielle, que l'on puisse encore parler le gascon ! Il y avait des mots qui n’existaient pas dans ce langage ringard et quand ceux qui le parlaient voulaient les traduire, c'était toujours par des inepties !

 

 

 

Personne n'ayant pu retenir où Blaisine et Joseph avaient fait fortune, le silence devint pesant. Ce fut Ernest qui le rompit car il voulait savoir où se trouvait – il croyait avoir compris - « nouilledeporc », pour le chercher sur la carte de géographie à l'école. Il osa demander au régent où se trouvait ce pays ou cette ville. L'instituteur lui répondit en appuyant sur les syllabes, par une perfidie destinée à la vieille femme :

 

 

- New York se trouve sur la côte est des États-Unis d’Amérique, c'est une ville où l'on trouve comme à Chicago, le plus grand nombre d'émigrés venu d'Europe et en particulier de France. Ta grand-tante a réussi sa vie en devenant une dame tandis que ses amies restaient courbées à travailler la terre.

 

 

 

Jeanou s'apprêtait à répondre vertement mais Louise, sentant venir l'orage, interrompit la discussion qui s'annonçait houleuse, par un péremptoire :

 

- Nous avons tous eu la vie que le Bon Dieu a voulu nous donner et nous devons souhaiter à cette petite fille à qui on doit donner un petit nom, un destin rempli de bonheur qu'elle soit en Amérique ou ici !

 

 

Bernard approuva d'un signe de tête complice et se tournant vers ses fils, leur demanda :

 

- Comment voulez-vous que l'on appelle votre petite sœur ?

 

Les deux grands se regardèrent ne sachant que répondre mais Ernest s'imposa promptement :

 

- Je voudrais qu'on l'appelle Noëlle comme le père Noël qui a sauvé Triquette le premier jour de la crue.

 

 

Des regards médusés se tournèrent vers lui. Le régent, redoutant une raison un peu singulière voulut savoir :

 

 

- Le père Noël a sauvé Triquette ? Mais qui est Triquette ?

 

 

Le jeune garçon s’empressa de prendre la parole pour ne pas la lâcher d'un bon moment comme à l'accoutumée, avec un débit de paroles ahurissant :

 

- C'est ma chienne ! Elle allait mourir noyée par la Garonne quand il est rentré dans l'eau pour aller la chercher et il a perdu sa barrette ! Et il n’a pas eu peur, il a nagé et pourtant la soutane l'embêtait. Mais il est ressorti avec Triquette qui a eu si peur, je l'ai consolée et réchauffée tout de suite à la maison ! Aussi, je voudrais qu'on donne son nom à ma petite sœur comme cela, on n'oubliera pas ce qu'il a fait, il est un héros !

 

 

Bernard profita qu'il reprenait sa respiration pour récupérer l'avantage sinon, le soir, on y serait encore tant Triquette occupait une grande place dans le cœur de l'enfant :

 

- Je suis d'accord, il a sauvé la chienne et il est un héros car maigre comme il était, il a eu du courage pour entrer dans l'eau avec le courant qu'il y avait ! Et surtout pour sauver un animal ! Et toi, Berthe ? Ce petit nom te plaît ?

 

 

Berthe était aux anges, ses amies avaient sauvé son mariage et garantit à sa fille l'amour d'un père fier de sa progéniture qui n’en douterait plus jamais ! Et en plus, il proposait lui-même de lui donner le prénom de son véritable géniteur ! Mais il ne savait pas qu'il avait été cocu… et il devait l'ignorer toute sa vie. Dieu était bon et pardonnait les péchés d'amour. Elle acquiesça :

 

- Moi aussi, je suis d'accord mais au lieu de Noëlle, je propose Noëllie-Blaisine, ça lui portera bonheur.

 

 

Voilà, c'était fait, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

 

 

Louise attendit que tout le monde fut sorti sauf sa fille, pour rester un moment seule avec Berthe. Elle lui chuchota :

 

- Je n'ai rien contre le fait que tu prennes des amants à la pelle – quoique ce n'est pas très moral vis à vis de ton mari - mais le prochain, tu ne le choisis pas piucèu ça t'évitera de faire des bêtises car on ne sera peut-être pas là pour t'aider et Bernard finira par se douter de quelque chose.

 

 

Baptistine, qui pratiquait assidûment un franc-parler ironique, surtout envers son amie, lui lança un tantinet rageuse :

 

- Il finira par penser que tu as "le feu au cul" si tu  continues à te jeter sur tous les hommes qui arrivent au village... Quand même ! Tu as le plus gentil - avec mon Siméon - des maris qui soit au monde et la seule chose que tu sais lui faire, c'est qu'il porte des cornes... A ce rythme-là, il ne pourra plus passer les portes ! Alors promets que tu vas essayer d'être convenable à l'avenir ! 

 

 

Berthe sourit, promit et après une hésitation,  s'adressant à Louise, voulut savoir :

 

- Elle était comment Blaisine ? Tu l'as connue ?

 

 

Louise sursauta et alors qu'une lueur malicieuse traversait ses yeux vert brillant dans la lumière du soir qui inondait la chambre, elle répondit tranquillement :

 

- Oui, j'étais jeune mariée quand elle est partie…

 

- Et ?

 

- Et elle ressemblait à sa sœur, noire comme du charbon au niveau des cheveux, des yeux et sa peau était aussi très sombre… Comme tes fils….

 

- Oh ! Pauvre de toi ! Tu vas aller à confesse pour te faire pardonner ce gros mensonge ?

 

- Penses-tu ! Je ne sais pas de quoi tu parles à partir d'aujourd'hui...

 

 

Le dimanche suivant le père César annonça - comme si le hasard s'en mêlait - après la messe, la nomination du père Noël à un poste au Vatican. Il commençait une belle carrière au sein de l’Église Catholique mais il avait assuré qu'il n'oublierait jamais les paroissiens de sa première cure. « Ceux qui savaient » pensèrent ironiquement tout en se réjouissant pour lui : « On s'en serait douté ! ».

 

 

« Ceux qui savaient » connaissaient tous Blaisine… et garderaient à jamais le secret du « gros mensonge » de Louise, de Baptistine et de Jeannou. L'enfant de l'aygat pouvait grandir heureuse.

 

 

Et cela, et bien, c'était l'essentiel.

 

 

Jackie Mansas

4 novembre 2017

 

Pour le plaisir de retrouver les jolies cartes d'autrefois qui nous faisaient rêver.... enfants !

 

 

 

C'est fini mais prochainement, rendez-vous avec la crue de l'année 585 à St-Bertrand de Comminges..

 

 

 

Bien évidemment, dans chaque nouvelle, j'ai romancé les faits et imaginé les personnages dont on m'a vaguement parlé... Et pour les plus anciennes, j'ai totalement imaginé les situations !

 

 

Les deux dames qui m'ont raconté les crues de 1875 et 1897 et glissé au passage quelques petites infos sur certains personnages, (j'ai bien entendu brodé, brodé, brodé d'après leurs commentaires), m'ont dit que donc, ma bisaïeule (arrière grand-mère), Louise Verdier né à Tibiran-Jaunac et mariée à Bertren était d'une gentillesse confondante. Lorsqu'un problème d'ordre privé arrivait chez quelqu'une dame de la commune, lorsque des conflits éclataient pour une peccadille, on venait lui demander conseil. Elle trouvait toujours une solution à tous les ennuis. Je n'avais pas compris ce qu'elle avait pu faire de bien dans cette histoire d'adultère alors, une des deux dames m'a dit coquine, malicieuse "ce qu'il faut toujours faire pour éviter des divorces : mentir puis se taire pour que tout le monde soit heureux". Et oui.... et là elle avait trouvé la solution ! 

 

 

Les personnages

 

 

Berthe la bonne du curé est l'épouse de Bernard le maçon, braconnier de son état

Le père Noël, jeune curé dont Bertren est la première cure après sa sortie du séminaire

Le maire

Jean-Marie de Poutchet, mon grand-père

Louise de Poutchet, mon arrière-grand-mère

Baptistine, sa fille et donc ma grand-tante

Jeannou, veuve d'un ancien maire, dite "l'Ancienne"

Germaine, la garde-barrière et Paulin son mari le sacristain alcoolique

Barthélémy, le garde -champêtre

 

 

 

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R
Quel bonheur tes "broderies"!!!! bisous à toi et bonne continuation. J'espère que tu profites du beau temps quand même!
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