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Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...


Au fil des années à Bertren.... je voulais faire "gitane"

Publié par Jackie Mansas sur 27 Novembre 2017, 20:00pm

Catégories : #Culture et société pyénéennes

Autrefois, en roulotte ou bien dans un cirque : "ils arrivaient...en automne...."
Autrefois, en roulotte ou bien dans un cirque : "ils arrivaient...en automne...."

Autrefois, en roulotte ou bien dans un cirque : "ils arrivaient...en automne...."

http://capsbourrutdespyrenees.over-blog.com/ 2017/11/au-fil-des-annees-a-bertren.je-voulais-faire-gitane.htlm

 

Ma première rentrée au catéchisme

 

Le catéchisme avait recommencé également le jeudi 30 septembre 1955, la veille de la rentrée, une dizaine d’enfants y participait. Le curé avait demandé à la sœur Saint-Laurent de l’aider car il se sentait fatigué. Son foie et son estomac lui causaient de plus en plus de soucis. J' avais rejoint Yvette et Alfred sur le banc des tout petits. Maman avait fait remarquer à son mari que, bizarrement, dans le cadre du catéchisme, il n’y avait eu aucun empêchement à ce que je rentre en même temps que les deux autres !

 

Tout se passait bien à part que dès la seconde leçon, lorsque la sœur Saint-Laurent, qui était accompagnée cet après-midi là de sœur Saint-Roch, raconta que Dieu avait crée le Ciel et la Terre, les mers et les montagnes, les animaux et les hommes en six jours et que le septième, tout en regardant l’œuvre qu’Il avait accomplie, Il s’était reposé, le vieux curé demanda si quelqu’un avait une question à poser. Une petite voix demanda la permission de parler. Les sœurs, ravies que les enfants les écoutent, la donnèrent bien volontiers.

 

Je me levais de mon banc et demandais :  

- Et Dieu qui c’est qui l’a créé ?

 

Sœur Saint-Laurent leva les yeux au Ciel, poussa un cri d’effroi, se signa vigoureusement trois fois – sœur Saint-Roch l’imita avec un temps de retard – et cria :

 

- Mais qu’est-ce que tu racontes, enfant du Diable, enfant de Satan. Arrière Satan, quitte ce corps d’enfant ! Arrière, arrière !

 

Le curé me regardait ahurie parce que je ne comprenais rien à ce qui se passait, avec des yeux interrogatifs mais remplis de douceur et d’affection. Il ne protesta pas car combien de fois s’était-il posé la question sans oser en parler ! L’omnipotence de Dieu ainsi que l’alpha et l’oméga lui semblaient parfois bien contradictoires !

 

La sœur regarda les enfants tétanisés par les cris qui résonnaient dans la nef et envahissaient tout l’espace. Elle se calma et s’adressa à moi qui la fixait comme à mon habitude :

 

-Tu as autre chose à nous demander ?

 

Je soupirais puis me risquais :

 

- Oui, mais ma sœur, qui c’est qui a crée Dieu et qui c’est qui a crée celui qui a crée Dieu et …

 

La sœur s’étrangla :

 

- Je t’ai déjà dit que cette question est idiote et c’est un blasphème que de la poser. On ne doit pas prononcer le nom de Dieu à tort et à travers.

 

- Oui mais ma sœur, c’est quoi un « blachfaime »…

 

Les religieuses s’énervèrent et en nous houspillant, nous firent sortir en me conseillant d’aller demander à ma mère !

 

Le curé riait doucement en prenant bien soin de ne pas être vu.

 

Bien entendu, maman qui n’avait rien compris aux interrogations de sa fille : « Qui c’est qui a crée Dieu et qui c’est qui a crée celui qui a crée Dieu et… » et « Qu’est-ce que c’est un blachfaime », avait subi les remontrances des saintes femmes. Elles l’avaient franchement énervée parce qu’elle n’avait su quoi me répondre ; et en plus, elle savait qu’elle n’aurait pas la paix tant qu’elle n’aurait pas donné les explications attendues ! Elle n’avait pas apprécié la réprimande parce que j'avais posé tout haut la question que tout le monde, sans exception, s’était posée un jour !

 

 

Elle avait bien cherché dans le dictionnaire la définition de blachfaime, mais elle n’avait rien trouvé. De guerre lasse, elle demanda au curé qui éclata de rire et lui expliqua. Elle repartit rassurée, ce n’était pas un mot défendu, il existait mais avec une orthographe différente. Une fois que je sus ce que cela voulait dire, je passais à autre chose. Ma mère poussa un soupir de soulagement et pensa une fois de plus qu’il était vraiment heureux que ma soeur soit différente ! Elle ne parlait pas beaucoup mais enregistrait tout ce que je disais et faisais dire et tout le monde trouvait cela très bien.

 

 

Les Gitans.

 

 

L’automne fut beau, ce que l’on espérait après un été frais et humide et nous, les enfants, nous pûmes profiter des derniers beaux jours. Le jeudi 17 novembre, il faisait plutôt frisquet mais nous nous amusions à monter et à descendre la rue du Vignaou en vélo.

 

Quatre heures sonnaient à l’horloge de l’église quand Marie Mondon descendit en courant la rue pour avertir que les gitans arrivaient, qu’il fallait planquer les poules et « préparer le don » !

 

Une agitation fébrile envahit tout le quartier, on entendit les femmes appeler les volailles pour les faire rentrer dans leurs poulaillers respectifs et celles-ci protester vigoureusement : il était encore trop tôt ! Ma mère remplit un sac de pommes, y ajouta des poireaux et quelques carottes et monta la rue en nous tenant la main. Elle appela Anna qui ne répondit pas, elle parlait avec quelqu'un dans la cuisine et n’insista pas. Aux Quatre-Chemins, tout un attroupement s’était formé - certaines femmes avec le « sac du don » - autour de Jean Castex et de ses adjoints. Ils étaient tous impatients : les Gitans revenaient cette année encore !

 

 

La première roulotte, toute rouge et noire, apparut tirée par deux chevaux bruns pomponnés. Des sonnettes tintinnabulaient depuis le toit en bois. Les hommes marchaient à côté de l’attelage et les femmes aux costumes colorés et aux nombreux bijoux se tenaient sur la plate-forme. Les cris de joie fusèrent, les vivats, les bonjours s’élevèrent, puis la seconde roulotte apparut, celle-là était verte avec des grandes flammes rouge, puis une troisième, une quatrième et enfin, une plus petite toute blanche fermait la marche. Les enfants regardaient la scène avec des yeux grands comme des soucoupes. C’était un trop beau spectacle ! Les couleurs, les chevaux, les chiens, les chèvres qui suivaient… C’était féerique ! Un garçon avec des cheveux de jais jouait de la guitare depuis le toit de sa roulotte, J'étais fascinée, pour une fois, je ne faisais aucun commentaire mais ma mère attendait…

 

 

Le maire et les adjoints les accueillirent, le chef du clan parla au nom de tous les siens et ensemble, en devisant, ils avancèrent jusqu’à la place du Pujoulet où ils s’installèrent dans un joyeux brouhaha. Marie Bellan sortit en trombe de sa maison pour saluer sa vieille copine Melinda qui lui tomba dans les bras en faisant tinter ses nombreux bracelets.

 

 

Le groupe avait suivi la caravane, déposé les « dons » après avoir salué toute la tribu et passé la commande de paniers. Les hommes commençaient à porter des bourrasses de foin pour les animaux et quelques mesures de maïs. En échange, ils auraient ces paniers que les Gitans confectionneraient durant les trois jours où ils resteraient sur place. Et pour reconstituer les réserves, ils iraient couper les osiers le long des fossés.

 

Les femmes reprirent le chemin du retour et discoururent joyeusement sur l’évènement de la journée.

 

Soudain, je cessais de courir avec les autres, je pris la main de ma mère afin d’attirer son attention et je lui annonçais avec conviction :

 

- Tu sais, maman, quand je serai grande, je ferai gitane !

 

Il y eut un silence incrédule puis un grand rire. Marie C. commenta bruyamment mon projet d’avenir :

 

- L’année dernière, elle voulait faire reine, cette année c’est gitane. Marcelle, votre fille va d’une extrémité à l’autre. Remarquez qu’il est peut-être plus facile d’être gitane que reine ! Quoique, je ne sais pas, ni l’une ni l’autre sans doute ! J’espère qu’elle aura une autre idée bientôt ! Parce que si c’est cela qui lui plaît, vous n’êtes pas sortie de l’auberge !

 

Marie M. qui s’amusait franchement, la rassura :

 

- Ne t’en fais pas, ça lui passera de l’idée dès qu’ils seront partis !

 

L'autre Marie surenchérit :

 

- Qu’est-ce que ce sera la prochaine fois ? Elle nous fera toujours rire cette petite !

 

 

Elles arrivaient aux Quatre-Chemins comme Léonie * et sa belle-fille Bernadette * débouchaient sur la route en marchant à grands pas. Léonie portait son « don » et Bernadette arborait un coquard impressionnant à l’œil droit. Une dame s’empressa de lui demander comment elle s’était fait cette bugne et la jeune femme lui répondit :

 

- J’ai voulu ramasser un portefeuille dans la rue mais quand je me suis baissée, il s’est enfui, je l’ai suivi, je n’ai pas vu le portail du verger des Cap et j’ai cogné la poignée.

 

Les femmes la regardèrent interloquées : elle avait voulu rattraper un portefeuille qui s’enfuyait ? Comment pouvait-on être tartagnole à ce point, ce n’était pas possible ! Léonie s’impatienta, elle poussa sa bru en avant en lui intimant l’ordre de se dépêcher car elles avaient des paniers à commander et les bêtes à soigner avant le repas du soir !

 

 

Lorsqu’elles se furent éloignées, les femmes éclatèrent de rire. Mais pas méchamment, c'était la situation qui était risible. Maman baissa la tête sous le regard d'Emma Sabinotto qui lui demanda malicieusement :

 

- Marcelle, c’est le coquard de Bernadette qui a valu une fessée à vos filles avant-hier soir ?

 

Elle approuva d’un hochement de tête tandis que les femmes se tournaient vers elle. Marie M. la pressa de questions et elle s’exécuta :

 

- J’ai entendu crier, je suis sortie et j’ai vu Bernadette agenouillée devant le portail en train de gémir. Je l’ai aidée à se relever et à rentrer chez elle. Elle m’a raconté la même chose : un portefeuille courait dans la rue ! Léonie a crié quand elle l’a vue avec l’œil dans cet état et lui a asséné qu’elle ne savait pas ce qu’elle disait et qu’elle était complètement pègue. J’ai vite compris que les trois chipies étaient dans le coup. Je suis rentrée à la maison car je voulais savoir où elles s’étaient cachées. J’ai attendu patiemment et j’ai vu apparaître les trois têtes de l’autre côté du mur du verger des Cap. Elles ont sauté dans la rue et je les ai surprises tenant un portefeuille attaché à une longue ficelle. J’ai renvoyé Yvette chez elle et mes filles ont reçu une bonne fessée ! Je peux vous assurer qu’elles ne recommenceront pas !

 

 

Joséphine qui les avait rejointes nous défendit car, après tout, nous n’avions pas fait grand-chose de mal. Bernadette aurait dû réaliser que c’était une farce, un portefeuille était un objet pas un être vivant donc il ne pouvait pas courir tout seul sur la route ! Et puis, est-ce qu’on fonce la tête baissée pour attraper quelque chose qui bouge !

 

Le soir, alors que nous étions couchées, maman laissa la fenêtre ouverte et comme dans un rêve, alors que les étoiles et la lune brillaient là-haut au-dessus des montagnes et de la plaine, nous écoutâmes, comme venant de cette nuit profonde, les chants qui s'élevaient du camp des Gitans pour survoler le village...

Les voix accompagnaient les guitares et les claquements des castagnettes et c'était si beau que nous essayions de ne pas nous endormir.... 

 

A chaque arrivée des Gitans, lorsque le soir tombait, les jeunes gens du village venaient rejoindre les voyageurs sans attaches, à part celles que leur offrait le vent, autour du feu de bois et écoutaient, eux aussi émerveillés, ces voix puissantes qui racontaient ailleurs...

 

Jackie Mansas

1 novembre 2017

 

*  les prénoms ont été modifiés.

Et oui, le racisme n'existait pas comme on le connaît aujourd'hui et les "Gitans" avaient leur place dans la société. Pourquoi ? Parce qu'ils étaient des humains comme les autres et que leur venue était le signe d'un échange amical et quelque part "culturel" mais aussi, dès la base, un échange économique....

En ce qui concerne la farce, nous n'avons pas voulu faire du mal à cette dame que nous aimions beaucoup, elle s'est fait prendre au piège car elle pensait à autre chose en remontant la rue et ne s'est aperçue de notre présence derrière le portail du verger. Après la fessée, il ne nous a plus jamais paru amusant de faire une farce de ce genre....

 

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C
Je voudrais remercier les personnes de Bertren qui se souviennent encore de l'arrivée des Gitans avec ENCORE des yeux émerveillés ! Et une d'elles m'a également parlé "du don" qui n'était pas fait par tout le monde mais certains y tenaient en cadeau de bienvenue. Ils commandaient eux aussi des paniers qu'ils payaient, le don ne servait pas de monnaie d'échange, c'était un plus.<br /> Si tant de respect et de gentillesse pouvaient revenir...il y aurait sûrement beaucoup moins de violence et de racisme envers tout le monde.
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