voir site www.photos-mai68.com : à voir ou à revoir : mai 68 était un rêve éveillé...
Mai 1968 : écran noir sur les télés
Le long week-end de l’Ascension n’avait pas été cette année-là très joyeux dans les chaumières. Même si le temps avait été beau, l’inquiétude de l’avenir avait gâché la fête. La France était en grève et ce samedi-là quand à midi, tout le monde alluma la télé, l’écran resta noir. On se rabattit sur les radios mais elles aussi étaient muettes. Cela faisait quelques jours que les journaux n’étaient plus distribués et les magasins ravitaillés. Et lorsque l’on habitait au bout de la France, on se sentait beaucoup, beaucoup abandonné !
Dans cette région proche de la frontière espagnole, sans doute grandement délaissée par les pouvoirs publics, l’isolement économique se fit rapidement sentir. Les commerçants hostiles au mouvement de protestation générale né à la Sorbonne dès le mois de mars, surveillaient assez agressivement les pauvres et les étrangers, surtout les ouvriers et les jeunes issus des milieux populaires. Les autres, les riches bourgeois, notables confirmés à la crête rouge et au caquet hargneux, étaient favorisés. Alors que les rayons étaient vides pour le quidam socialement situé en bas de l’échelle, les produits alimentaires étaient cachés dans les réserves et vendus un peu plus cher qu’à l’ordinaire aux VIP des campagnes avant l’heure ayant pignon sur rue et bonnes à tout faire.
L’agressivité atteignait des sommets et il se murmurait, dans certains milieux, que le Général de Gaulle était trop vieux et poltron – « un comble » – et qu’il faudrait un autre maréchal Pétain plus à même de mettre au pas ces étudiants contestataires et ces ouvriers – « des gens de rien » - qui se permettaient par une grève générale de réclamer des privilèges – excusez du peu : des augmentations de salaire et de meilleures conditions de travail ! – alors qu’ils devraient être contents d’avoir un emploi payé à coups de fronde certes mais comme ils « touchaient » les allocations familiales, ils n’avaient pas le droit de se plaindre !
Ils oubliaient de préciser qu’eux aussi, les percevaient…
Je me passionnais pour les événements de contestation étudiante quoique la vie était devenue difficile à la maison. Mon père qui travaillait dans une usine doublée d'une carrière n’avait pas eu de paye en mai, comme tous ses collègues. Ils avaient été en grève tout le mois au grand dam du patron qui ne comprenait pas qu’on lui « faisait ça à lui ! Il était un si bon patron ! » En fait, il était furieux car le seul syndicat qu’il y avait dans sa boîte à savoir la CGT, avait lutté pour qu’un salaire fixe soit versé chaque mois à tous les ouvriers. Les employées de bureau l’avaient obtenu depuis longtemps (elles n'étaient que trois donc, ce n’était pas grave pour ses intérêts et puis il pouvait espérer une compensation murmurait-on... sans preuves bien évidemment) mais il préférait payer les ouvriers - une trentaine environ - au rendement car cela lui faisait faire de substantielles économies et augmentaient ses propres bénéfices…
Aucun d’entre eux n’avait intérêt à tomber malade car les revenus mensuels diminuaient vertigineusement ! Il était évident pour lui, qu'ils ne pouvaient pas bénéficier d'une complémentaire maladie (genre CNRO, que tout le personnel revendiquait), cela diminuerait sa cagnotte bien placée auprès des banques ! Mais tout le monde bourdonnait que s'il avait fait fortune après être arrivé en France pour fuir la misère dans son pays, c'était grâce à sa capacité de travail certes, mais aussi et surtout parce que pour faire oublier qu'il n'était rien d’autre qu’un ancien pauvre et étranger en plus, il devait entasser, entasser en exploitant sans vergogne… ses compatriotes en premier et les Français ensuite !
Tout avait bien fonctionné jusqu'à ce fameux mai 68 ! car le délégué CGT, un « Rouge » convaincu, avait fait de ce « salaire mensuel » son cheval de bataille. Il était sûr qu'il irait jusqu'au bout ! Il avait la rage et frisait l'apoplexie à tout moment ce qui inquiétait fort sa femme, fille de nouveaux riches de la fin du 19ème siècle et épousée, arguaient les mauvaises langues, tant pour sa fortune que pour acquérir plus rapidement la nationalité française. Cette brave dame, pour tenter d'exorciser son angoisse, avait choisi d'en rajouter une couche auprès de ses copines afin que chacune « parle» à sa bonne, en général épouse ou mère, ou fille d'un ouvrier, de convaincre les « ingrats » de ne pas écouter ces syndicalistes parisiens qui ne connaissaient rien aux problèmes des patrons et ne voyaient que ceux des « domestiques » (elle se trompait souvent dans l'appellation tant pour elle, le mot « ouvrier » lui inspirait de répugnance) pour appliquer le Code du Travail ! Une hérésie… Bien évidemment, les Pyrénéens étant tout des « caps bourrut » rigolaient franchement d'une telle sottise... Personne ne voulant céder, la grève était reconduite chaque jour.
Mon père Simon, descendant d'une très vieille famille de la région, qui était fatigué d'avoir tant travaillé depuis sa plus tendre enfance et proche de la retraite, ne comprenait pas ce qu'un salaire mensualisé leur rapporterait car en travaillant au rendement, on pouvait gagner « un bon petit mois ». Il fallait simplement tenir la cadence mais avec un peu de volonté et des heures supplémentaires, on y arrivait. Tandis qu'avec un salaire fixe et 40 heures obligatoires, on gagnait beaucoup moins. Il angoissait de plus en plus au fur et à mesure que le temps passait et que la grève durait. Ma mère lui répondait qu'il serait moins fatigué, qu'il rentrerait plus tôt et pourrait se reposer, qu'il n'avait plus l'âge pour travailler aussi durement, qu'il avait derrière lui toute une vie de labeur et qu'il était usé et qu'avec ces nouveaux avantages, ils sauraient mieux s'organiser et s'il était malade, les jours de maladie seraient payés en fonction de la paye et non pas en fonction de ce que déclarait le patron pour ne pas augmenter ses charges…. Mais il n’était pas convaincu.
La situation dura jusqu'en juin. Bien que rasséréné par la reprise en mains du pays par le général de Gaulle mais de guerre lasse quand même et pour se conformer aux accords de Grenelle, le patron céda tout en faisant remarquer aux « nouveaux salariés » que dorénavant, ils gagneraient bien moins, vu qu'il fallait appliquer les 40 heures et un salaire de base. Mais qu'il n'était pas question de baisser le rythme de travail – c'était bien fait pour eux – car sinon, c'était la porte et tout de suite. Ce à quoi certains ouvriers qu'il jugeait « mal dégrossis », grognèrent sourdement qu'en France il y avait eu 1789 et que s’il n'était pas content, il n’avait qu'à retourner dans son pays pour faire joujou avec le dictateur ! Le patron avait fait semblant de ne pas entendre, ils étaient 30 et lui … 1 ! Et tous, ou presque tous, Rouges….
Dans la région, la grande majorité des habitants avaient approuvé les manifestations étudiantes et ouvrières mais la droite et l'ultra droite ne décoléraient pas contre ces Rouges qui « foutaient la pagaille partout ». La France, la vraie France les avait enfin vaincus le 30 mai et dans le secret des riches chaumières, on avait envisagé un retour de l'OAS… pour mater ces « saletés de rouges à qui on avait autorisé les inscriptions d'étudiants issus des milieux populaires et modestes dans les facs de tout le pays et surtout à la Sorbonne, lieu prestigieux où le savoir ne devait être dispensé qu'à l'élite sociale ! Une honte, c’était une honte ! Il n'y avait plus qu'une solution : supprimer la démocratie et revenir aux fondamentaux d’une bonne dictature comme chez le voisin, le Paradis... » répétaient-ils à l'envi derrière le dos des Rouges, bien évidemment. Avec la frousse qu'ils avaient eu à la Libération en 1945, ils n’allaient pas tenter le Diable en les provoquant !
Cependant, devant les gardes-mangers et les frigos vides, la lassitude était vite apparue et on se réjouit du retour à la normalité. « Vive de Gaulle », cria-t'on devant certaines mairies au grand dam des Rouges les plus acharnés qui finirent par se calmer.
A suivre
Jackie Mansas
le 26 mai 2016
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