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Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...


Barousse : la vie aux champs au XVIIIème siècle ...2

Publié par Jackie Mansas sur 25 Octobre 2017, 11:11am

Catégories : #Culture et société pyénéennes

Barousse : la vie aux champs au XVIIIème siècle  ...2

 

 

La société en Barousse au 18ème siècle.

 

Les casalours, propriétaires presqu'essentiellement au 17ème siècle, parfois commerçants au 18ème, dominaient la vie sociale. Ils travaillaient leurs terres ou la louaient et agrandissaient méthodiquement leurs domaines au détriment des laboureurs et des brassiers. Ils obtenaient toutes les places honorifiques, représentaient les communautés dans les assemblées de la vallée. On choisissait parmi eux les consuls et les syndics. Mais il leur fallait malgré tout être irréprochables, montrer des qualités exceptionnelles de probité, d'honnêteté, de fermeté et de clairvoyance. In fine, des familles entières accaparaient toutes les charges et ainsi agissaient selon leurs désirs et ceux de leur entourage.

 

Pourtant, la classe dominante a été celle des paysans. Certains possédaient de 20 à 30 journaux au 18ème siècle, un peu moins un siècle plus tard. Mais il faut remarquer que la population avait doublé. Les cadets ne se mariaient plus afin de ne pas diviser le bien le laissant à l'aîné qui les considérait comme ses domestiques.

 

Les filles, si elles n'avaient pas la chance de trouver un mari qui les prenait sans dot, se retrouvaient servantes (1). Maltraitées, souvent engrossées par des maîtres sans scrupules qui ne se gênaient pas pour les violer même à un âge où elles étaient à peine sorties de l'enfance, elles vivaient misérablement, travaillant durement comme les hommes. Pour fuir un sort aussi peu enviable - si l'on peut dire - dans toutes les vallées pyrénéennes, beaucoup partirent après 1840 se placer comme "bonnes" en ville où elles n'étaient guère mieux traitées mais où elles avaient une grande chance de se marier. A partir de 1870, cet exode féminin (ajouté aux entrées "en masse" dans les couvents des nouvelles congrégations créées à partir de 1850) fut tel qu'il fallut que les hommes aillent se "pourvoir" en épouses en .... Espagne, principalement dans le Val d'Aran où les filles étaient encore plus maltraitées qu'en France et donc... pour elles, l'exil ressemblait au paradis....!

 

Les cadets et parfois les aînés agirent de même. Ils partirent se placer comme employé ou domestique chez des parents puis ils ouvrirent un commerce. Presque tous acquirent une fortune plus ou moins conséquente mais aussi la considération, ce qu'ils n'auraient pas eu s'ils étaient restés en Barousse sous les ordres de leur frère, l' héritier....

 

Beaucoup choisirent le métier de "marchand colporteur", allant de ville en ville, de villages en hameaux et gagnèrent beaucoup d'argent. Ce qui leur permettait de revenir dans leurs villages apporter un peu de bien-être à leurs familles. Qui du coup, pouvait mieux se nourrir et donc être en meilleure santé.

 

A 1864, à Izaourt, a été délivré 21 passeports pour l'intérieur pour toute la France à des colporteurs et à des domestiques : 10 marchands et ouvriers pour Toulouse, Marseille, Béziers, Paris, soit 2 colporteurs, 4 marchands, 1 tisserand, 2 maçons ; 11 domestiques pour Niort, Paris, Nantes, Agen tous célibataires et âgés de moins de 25 ans. Leurs départs soulageaient  les parents qui pouvaient donner de plus grosses parts de nourriture aux enfants restant dans le foyer.... et eux-mêmes prendre des forces... !

 

On assiste vers la fin du 19ème siècle, à un exode important de la population qui, en Barousse, diminua sensiblement à partir de 1850.

 

Quant à la classe dite pauvre, elle était surtout composée de personnes ne possédant qu'un champ ou deux et une masure, derniers vestiges de partages successifs ou bien de ventes forcées. Mais la mention "mendiant" que l'on rencontre parfois dans les documents ne veut pas dire que cette personne était du lieu. Elle pouvait venir parfois de loin et avoir trouvé un coin pour s'installer avec l'approbation de tous. On ne laissait jamais quelqu'un seul face à la misère et on l'aidait par tous les moyens. Parfois, des femmes et des hommes ne possédant rien nulle part et ne pouvant plus travailler à cause de leur âge ou d'une quelconque infirmité venaient en Barousse terminer leurs voyages.

 

Dans chaque paroisse trois ou quatre familles "aisées" donnaient le gîte et le couvert aux malheureux de passage. On mettait leur couvert chaque jour soit en bout de table, soit au coin de la cheminée. Ils arrivaient, ils mangeaient puis ils allaient dormir sur une paillasse avec une couverture, sous la soupente de l'escalier ou dans le grenier à foin. Et le lendemain, ils partaient vers un autre village, une autre maison où ils trouveraient  le gîte et le couvert pour une nuit, un matin...

 

Les pauvres connaissaient les "bonnes "adresses où se rendre et revenaient souvent tout au long de leur vie errante.  Beaucoup mourraient ainsi. On ne demandait pas leurs noms, on ne posait aucune question, on les enterrait et on les oubliait.

 

A Izaourt, le 25 août 1841, une femme inconnue paraissant âgée de 80 ans mais sûrement beaucoup plus jeune - la misère vieillit et détruit plus rapidement que la vie par elle-même - portant sur elle un habit de laine noir et bleu, se présenta chez le nommé Lussan qui lui donna à manger et lui permit de dormir dans la paille du grenier au-dessus de l'étable. Le lendemain, vers les deux heures de l'après-midi, il la trouva morte (2).

 

Je me souviens dans mon enfance avoir été étonnée par cette assiette creuse posée en bout de table avec des couverts - une cuillère et une fourchette ensemble - et un grand verre à moutarde. Ma grand-mère n'oubliait jamais de laver le tout après chaque repas alors que personne ne s'en était servi. Cela m'intriguait mais je ne posais pas de question car bien entendu, pour moi, du moment qu'il s'agissait de nourriture, c' était normal. 

Mais enfin à quoi pouvait-elle servir cette assiette toute craquelée et festonnée de feuillage vert ?

 

Mon étonnement augmenta d'un bon cran le jour où mémé commanda à mon père de nettoyer la "chambre" du "pauvre" dans le grenier à foin. Il obéit et alors, quel nettoyage : il brûla la paille qui couvrait le sol, ôta les toiles d'araignée, fit la poussière des poutres, vérifia le ciel ouvert, boucha quelques tuiles qui s'étaient écartées avec des bouts de planchettes, balaya et passa une serpillère sur le plancher. Les gouttes d'eau firent flop, flop, flop, sur le sol de l'ancienne étable. Puis il attendit que tout sèche, remonta de la paille neuve et propre. Pendant ce temps mémé secouait une couverture brune avec un liseré rouge en bas et en haut, vigoureusement, en la tapant contre le mur du jardin. Elle frotta également avec respect une croix où un Christ en bois penchait sa tête et fit briller la plaque INRI.

Il nous était interdit de monter au grenier mais à travers les planches disjointes, on comprit grâce au bruit des pas qui faisait tomber la poussière de la paille, que papa posait en haut du lit improvisé cette couverture qui avait repris un peu de couleur, pliée soigneusement en quatre. Il remit sans doute la croix à sa place.  Puis il sortit, referma la porte avec le loquet qui grinçait et redescendit.

 

C'était vraiment un grand mystère, qui pouvait dormir là-haut ? La personne qui mangeait dans l'assiette toujours vide ?

 

C'est maman qui nous en donna la clé : on devait attendre le "pauvre" qui pourrait se présenter et être toujours disponible pour lui. C'est pour cela que l'assiette, le verre, les couverts et la serviette tout comme sa "chambre" devaient être propres... Le "pauvre" était quelqu'un qui n'avait pas de maison et pas d'argent pour manger, alors c'était un devoir pour nous qui avions un toit et qui mangions à notre faim de l'aider parce qu'il faut toujours regarder plus petit que soi afin de ne pas croire être ce que l'on n'est pas...

Mémé ajouta : "Le Seigneur L'exige sinon on ne va pas au Paradis !".

 

A Bertren, trois "feux" pratiquaient cette coutume : chez mes grands-parents, chez Mme Mondon et chez Mr Vignolle. Bien évidemment dans les années 50, elle avait disparu, il n'y avait plus de "pauvres" qui venaient mais pas question d'enlever l'assiette et de ne pas entretenir la "chambre" ! En cas que...

 

De ce fait, après avoir cogité pendant un jour ou deux, comme nous voulions aller au Paradis et que d'apprendre qu'il y avait des gens qui ne mangeaient pas nous avait fait de la peine, ma sœur et moi, le soir venu, nous avons pris deux assiettes et deux verres dans le buffet pour "notre pauvre" à chacune et nous les avons posés en bout de table avec une fourchette et une cuillère, ce qui fit que papa en rentrant du travail, avant de s'asseoir pour le dîner demanda à maman qui elle avait invité...

Les restos de Coluche, le Secours Populaire et tant d'autres associations ont remplacé les "assiettes des pauvres".... Mais quelque part la coutume de partage et d'amitié est restée la même.... 

... alors qu'à cause des "bullistes arrogants", soit 1% de la population mondiale, qui accaparent sans vergogne aucune, les richesses de la planète - richesses volées au grand jour aux populations autochtones n'ayant pour avenir que de gratter la terre afin de tenter de survivre....et leurs yeux pour pleurer -...

....et à cause de la rapacité des banques où officient des gens sans scrupules, - on serait tenté de croire qu'ils doivent rendre compte chaque année de leur quota de SDF pour grimper dans la hiérarchie - la pauvreté est devenue galopante comme une pandémie ....(4)

 

Même dans notre pays ! Oui même en France, la pauvreté dans la rue comme dans les chaumines cachées s'amplifie.  Elle aurait dû disparaître depuis longtemps mais l'hiver montre au grand jour tant d'hommes et de femmes, bien souvent des enfants, dormir dehors ou bien dans leurs voitures car ils ont été chassés... de leur "maison". Qui entendra le message envoyé par tous les bénévoles ?

Pas les candidats à n'importe quelle élection, ils sont tous bien pourvus...

 

Les artisans et les laboureurs se situaient au même niveau.

 

Très peu représentés aux assemblées, ils occupaient tout de même les emplois de marguilliers et de gardes-champêtres. On rencontrait tous les métiers en Barousse : broyeur de pierres, cabaretier, (au moins un par paroisse), tisserand, tailleur d'habits, menuisier, charpentier, chirurgien (barbier), laboureur, cultivateur (cette appellation n'apparût qu'à la Révolution), brassier, sabotier, maçon, meunier, cordonnier, forgeron, charron, officier de santé, notaires, hommes de loi, forestier et chez les femmes, nous trouvons des sages-femmes et des couturières.

 

Aucun instituteur n'est mentionné dans les registres jusque vers les années 1830 où par décret royal, une école dût être ouverte dans la plupart des communes (3). On sait qu'au Moyen-Age une seule fonctionnait à Esbareich, pourtant à partir de 1730, le nombre de personnes sachant signer se multiplia chez les laboureurs. Les curés se chargeaient sans aucun doute de dispenser l'enseignement mais uniquement aux garçons. Bien sûr, le contraire aurait été étonnant...

 

A suivre

Jackie Mansas

27 avril 2017

 

1-  J.L. Pène les appelaient "les servantes de l'infortune"

2 - registre d'Etat-Civil d'Izaourt

3 - registres de délibérations d'Izaourt.

4 - je vous raconterai un cas, vous devrez vous asseoir avant de lire l'histoire....

Consulter les registres paroissiaux et registres d'état-civil de chaque commune : naissances et mariages qui diminuent progressivement en nombre dès 1870 et décès très nombreux.

 

 

 

 

 

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