Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Les caps bourrut des Pyrénées : rencontre avec les Baroussais d'autrefois

Actualités d'hier et d'aujourd'hui sur les Pyrénées Centrales, au travers de l'histoire d'une famille, celle d'un "pays", celui des Pyrénées. Le passé est omniprésent avec celui d'un petit peuple : la Barousse...


Au fil des années de mon enfance à Bertren... le curé et les Fellagas

Publié par Jackie Mansas sur 7 Décembre 2016, 00:06am

Catégories : #Culture et société pyénéennes

Eglise de Bertren. procession vers le Sacré-Coeur en 1935
Eglise de Bertren. procession vers le Sacré-Coeur en 1935
Eglise de Bertren. procession vers le Sacré-Coeur en 1935

Eglise de Bertren. procession vers le Sacré-Coeur en 1935


 

Nos villages sont déserts et personne - hormis à l'intérieur des groupes d'amis - ne fait plus attention à personne. Qui aurait l'idée saugrenue d'aller papoter un moment avec un tel ou une telle qui pourrait raconter les choses d'autrefois ? Personne. Mais ce n'est pas grave du tout puisque l'on peut écrire, encore.…

 

Preuve que la vie d'autrefois intéresse tout de même : il y a quelques gentilles personnes qui viennent visiter mon blog et que j'adore, comme quoi.... On peut aimer lire même des petits récits rigolos parfois, un tantinet moqueurs, j'en conviens mais je suis Baroussaise (mélangée n'oublions pas) alors, que voulez-vous.... Soyez rassurés, ce n'est pas du tout mais pas du tout méchant ! Et ce n'est contre personne.

 

Par contre me poser des questions et me faire raconter mes petites histoires, je ne crois pas que cela se pourrait. Ma réputation (grossie et amplifiée à l'extrême), de bavarde - pas toujours justifiée toutefois - l'empêche sans doute.

 

Mais je sais mieux écouter que parler tout de même, vous pouvez m'en croire : j'ai passé 8 ans à la Maison de Repos de Sante-Marie à faire cela, écouter, et un peu plus d'une dizaine d'années à la radio Barousse FM lors d'émissions où je recevais des invités qui venaient pour me raconter leur histoire, alors...

 

Mais bon chacun fait et pense ce qu'il veut ! Je comprends tout à fait. Seulement le fait de partager ces petits bouts d'histoire le jour de la Journée du Patrimoine en septembre me comble de bonheur :

 

- Siradan, Sainte-Marie, Saléchan en 2015 avec le Foyer Rural de Siradan et Barousse Patrimoine

- Saint-Bertrand de Comminges et le cœur médiéval de Mauléon-Barousse en 2016 avec l'association des employés du Tribunal de Tarbes qui ont cette année, découvert notre vallée et qui l'an prochain, iront ailleurs découvrir d'autres lieux, d'autres histoires avec quelqu'un d'autre qui sera aussi bavard que moi... ! L'essentiel étant que maintenant, ils la connaissent un peu.

Les deux rencontres : un régal ! Des gens gentils, ouverts, passionnés par notre monde paysan et surtout, surtout, qui s'intéressent !

 

Ah ! j'oubliais : j'avais tenté de participer à une manifestation en juillet dernier 2016 en proposant de faire "la Nuit des églises" en Basse Barousse avec la rencontre d'une belle église, la nuit, dans un cocon de lumières diffuses. Et bien, on ne m'a même pas répondu... cela ne passionnait à priori, personne : dommage pour eux et pour moi !

A moins que cela soit interdit ?

Non, quand même pas, c'est impossible, à mon humble, très humble avis.

Pourtant que la soirée aurait pu être belle et amicale, fraternelle même.... Chaque église a son histoire, celle des hommes qui l'ont construite et qui l'ont animée. 

 

Qui que vous soyez, particulier, professionnel, association, si vous voulez découvrir un petit bout de notre vallée perdue au milieu des montagnes, au patrimoine exceptionnel qu'il soit entretenu ou bien oublié, en ruines, sous les ronces, vous pouvez me contacter via ce blog.

Quelque soit le sujet, je suis à votre disposition.

 

Mais pour l'heure, je vais continuer à parcourir le Bertren de mon enfance, celui qui vivait selon les règles ancestrales avant qu'il ne disparaisse... après le départ pour un monde dit meilleur de ceux qui avaient perpétué la mémoire immémoriale...

 

La société se composait donc :

 

- les bourgeois rentiers ou fonctionnaires (métropole et colonies)

- le curé, les religieuses et l'instituteur

- les artisans et commerçants

- les paysans, quelles que soient leurs origines

- les ouvriers, idem

 

Au niveau politique :

 

- le maire et son conseil municipal, selon les tendances politiques et les élections. Par exemple : à la Libération, la gauche rouge/rose chassa la gauche rose/blanche écru. En 1947, ce fut la droite blanche et grise-brune qui prit le pouvoir suprême jusqu'en 1953.

 

A cette date, la gauche rouge/rose/blanc écru repassa et perdura jusqu'en 1965. Elle refila la patate chaude à la droite (??) sans aucune opposition ni plus petite contestation, les artisans admirateurs de Pierre Poujade et les retraités de droite étant majoritaires.

 

A partir de cette date, il n'y eut plus aucun changement, la gauche et la droite et même plus étant unis vers un même but. 

- les électeurs qui retrouvaient la primauté selon qui gagnait les élections.

 

En dehors de ces clivages, on trouvait, immuables et solides, le curé, les religieuses et l'instituteur.

 

Donc aujourd'hui, je vais vous raconter une anecdote concernant notre bon vieux curé vers la fin de son sacerdoce et malheureusement de sa vie. Cette histoire se passa au début de la guerre d'Algérie vers 1956. Mr le Curé commençait à montrer des signes de lassitude et parfois de raisonnement confus. Il était bien évidemment contre l'Indépendance.

 

Il n'éprouvait aucune détestation des Algériens, des "colonisés" qui se devaient de rester sous la coupe des Français. Par contre, il ne pouvait cacher une haine totale envers les Fellagas qui osaient se rebeller contre la grandeur de la France et clôturait ses discours  avec un "Ingrats va....".

 

Ne jugeons pas avec nos yeux d'aujourd'hui : c'était l'époque et tous les partisans d'une Algérie Française au service de la France étaient nés au 19ème siècle !

 

Monsieur le Curé et les Fellagas



Ce jour de fin mai parfumé à souhait, Monsieur le Curé avait réuni les enfants du catéchisme et quelques grands pour procéder à une toilette générale de l'église, les communions étant pour bientôt.

 

Dehors, sur la place des Quatre-Chemins, des dames papotaient avec Madame Castex accoudée à la fenêtre de son café en attendant les clients de la chopine du soir. Elles furent interrompues par des cris perçants venant de l’église. D'un seul élan, elles se précipitèrent toutes ensemble vers le porche juste au moment où deux jeunes filles recouvertes d’un drap blanc se sauvaient vers la montagne.

 

Le curé jaillit comme un diable sur le parvis, un balai à la main, échevelé, la barrette en goguette et hors de lui.

 

Il criait en envoyant l'engin couvert de toiles d'araignées dans tous les sens :

- Les Fellagas sont là, il faut prendre les armes ! Aux armes, citoyens, formez vos bataillons ! Marchons, marchons, qu’un sang impur abreuve nos sillons !

 

Les femmes se regardèrent ahuries : le curé chantait la Marseillaise ? Mais que lui arrivait-il ? Joséphine l'attrapa par le bras et lui parla doucement pour le rassurer :

- Monsieur le Curé, calmez-vous, il n’y a pas de Fellaga ici, ils sont en Algérie, ne vous inquiétez pas, ils ne vont pas nous envahir.

 

Il tremblait tellement que Marie C se joignit à elle et lui prit fermement l'autre bras. Elles le raccompagnèrent au presbytère tandis qu'une autre dame allait avertir les religieuses. Il fallait que quelqu'un vienne s'occuper de lui. 

Ce qui fut fait illico presto et dans les règles les plus élémentaires de la bienséance.

 

Mauricette Cap qui était sortie de chez elle suivie de sa mère en entendant les cris, rouge comme une tomate tellement l'état du pauvre homme l'avait choquée et suspectant une farce de mauvais goût, décida d’aller jusqu’à l’église interroger les gamins. Les autres femmes la suivirent. Ils étaient encore perchés sur leurs échelles doubles en bois plus ou moins opérationnelles et s’amusaient à se taper avec les têtes de loup attachées à l'extrémité de longues perches. Vu qu'ils se démenaient avec une remarquable brutalité, les échelles tanguaient et plus elles tanguaient, plus ils riaient.

 

Mauricette cria et ils s’immobilisèrent immédiatement :

 

- Qu’avez-vous fait à Monsieur le Curé ? Il est tout affolé, perdu ! Vous n’avez pas honte ? C’est un vieux monsieur malade ! Descendez de là et vite !

 

Ils obéirent et lorsqu’ils furent regroupés devant elle, elle les somma de raconter ce qui s’était passé. Le plus grand s’exécuta :

- Hé bé, Monsieur le Curé ne supporte pas que l’on parle des Fellagas mais il veut bien dire ce qu’il pense de la guerre d’Algérie.

- Oui, cela je le sais, il veut que l’Algérie reste française mais d’en discuter ne peut pas le mettre dans cet état. Donc, dites-moi ce que vous lui avez fait !

- Mais Mauricette, on ne lui a rien fait. C’est (quelqu'une)(1) qui a fait semblant d’être un Fellaga depuis la porte.

- Je ne comprends pas : comment Mr le Curé a-t-il pu croire qu'un Fellaga se trouvait là ?

- Parce qu’elle avait mis un drap blanc sur elle et nous lui avons dit qu’ils nous attaquaient.

 

Mauricette rougissait de plus en plus, les autres femmes exprimaient bruyamment leur contrariété. On ne traitait pas comme cela un saint homme !

 

Elle leva la main comme pour frapper le garçon qui recula mais c’était simplement une menace. Elle les admonesta puis leur intima l’ordre de déguerpir le plus vite possible. Ils ne perdaient rien pour attendre, ils allaient revenir pour nettoyer TOUTE la nef du haut en bas !

 

- Du haut en bas, s’indigna le garçon, mais on ne va pas y arriver !

- Bien sûr que si, je serai là pour vous expliquer. Allez, ouste, dehors et que je ne vous revoie plus dans le coin de sitôt !

 

Elle ferma la lourde porte d’entrée à clé et le groupe se dispersa. La mère des deux soi-disant "Fellagas" se fit sermonner par les religieuses le lendemain mais elle leur tint tête : ses enfants avaient parfaitement le droit de s’amuser comme ils le voulaient et si le curé était malade, il n’avait qu’à prendre sa retraite, d’ailleurs il était assez vieux pour faire un mort !

 

La paix revint lorsque le pauvre homme eut la force de sortir à nouveau. Il ne se souvenait plus de ce qu'il s’était passé et retrouva tout son petit monde comme si de rien n'était.

La nef fut nettoyée et abondamment fleurie. Elle brillait comme un sapin de Noël le dimanche où les communiantes et communiants entrèrent dans la communauté chrétienne sous le regard heureux et satisfait du bon curé.…

Il continua à rouspéter après les Fellagas et tout le monde l'écouta respectueusement .... en pensant qu'il devrait vraiment prendre sa retraite. 

 

Jackie Mansas

6 décembre 2016

 

1 - Prénom inconnu


 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents